Interview


Auteur(s) :

Mario HEIMBURGER

Jean-Luc


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Eastenwest > 3 - La Chasse et les Chasseurs



Jean-Luc Bizien

Une interview réalisée par Jean Luc et Mario Heimburger

Un programme parmi d'autres dans le tas des manifestations Colmariennes : le Salon du Livre, rendez-vous annuel de tous les amoureux du papier. Et là, au milieu des invités, un nom qui se détache comme par enchantement des autres : Jean-Luc Bizien, invité au stand du Liseron. L'occasion est trop belle : pour une fois qu'un auteur de jeux de rôles se déplace en province.

Immédiatement, un plan d'attaque est préparé pour interviewer l'auteur de Hurlements et de Chimères : appareil photo sur l'épaule, magnétophone et micro au point, nous investissons le parc des expositions. L'homme est sollicité de partout : de nombreux lecteurs viennent se faire dédicacer ses ouvrages, parus chez Bayard. Mais Jean-Luc Bizien, d'abord surpris par notre demande, se laisse finalement prendre au jeu de l'interview. Paroles d'un auteur sans langue de bois :

Hurlements et Chimères sont vos créations: comment voyez vous ces jeux avec le recul ?

- J'ai écris Hurlements du premier jet. J'avais passé un été à lister tout ce que je détestais dans le JdR et tout ce que je voulais y trouver. Je me suis aperçu que j'avais le plan pour mon jeu et je l'ai écris comme ça. Je n'ai jamais écris des règles, cela ne m'intéressait pas. Je voulais juste donner un univers que des gens pouvaient s'approprier et en faire ce qu'ils voulaient. Tous ceux qui se sont penchés sur le système de règles de Hurlements se sont arrachés les cheveux et ont fait leur sauce. Avec Chimères, ça a été l'excès inverse. En entrant chez Multisim, je suis tombé sur des gens passionnés, qui eux avaient réfléchi à des systèmes de règles et qui en ont plaqué un sur le jeu. Je ne vais pas vous raconter de bêtises, je ne l'ai jamais lu. J'ai toujours joué à Chimères sans règles et en m'amusant.

Que vous a apporté le jeu de rôle ?

- Même si j'ai perdu de l'argent dans le JdR, j'y ai appris mon métier. Et puis, il y a tellement de conflits d'ego dans ce milieu que cela m'a forgé le caractère. Je pensais avoir affaire à des adultes, que c'était un monde sérieux et je me rend compte maintenant que c'était juste un bon tremplin pour le monde de l'édition. Christian CAROLI, un auteur de JdR mort il y a une dizaine d'années, avait cette phrase merveilleuse : "le jeu de rôle est une grande famille, il laissait un petit temps ... les Borgia aussi étaient une grande famille.". C'est le drame de ce milieu. Je suis toujours ravi de rencontrer des gars dynamiques qui font des fanzines et je suis toujours atterré de voir la même ambiance de guérilla au Monde du Jeu ou je suis retourné cette année. Je ne comprend pas ça. Il y a tellement peu d'espaces ou le JdR a droit de cité... Le salon de la maquette a été une pantalonnade pendant des années mais on a bien été obligés d'y aller parce que c'était le seul endroit où on pouvait poser des trétauts et rencontrer des joueurs. Le problème du jeu de rôle, contrairement à la littérature, est que ça reste une passion et que tout ce qui est passionnel est irrationnel. A l'époque d'Hurlements, j'en arrivais à ce stade d'incompréhension où des gars venaient me voir en disant que mon scénario n'était pas dans l'esprit du jeu ! Il n'y a que dans ce monde-là que tu peux le trouver. Tu te dis : qu'est-ce qu'on est ? On n'est pas des auteurs, on a eu une idée mais on n'a rien inventé du tout, c'est Garry Gigax qui a tout inventé.

Mais Chimères est pourtant très littéraire comme jeu, non ?

- C'est parce que j'ai toujours été un écrivain frustré. Maintenant je peux enfin faire ce que je veux. On a toujours pillé la littérature sans jamais renvoyer l'ascenseur. Gigax citait pèle mêle une cinquantaine d'auteurs et de titres passionnants qu'il a pompés.

Peut-on considérer que vos jeux ont bien marché ?

- Qu'est-ce que c'est qu'une bonne vente de jeu de rôle ? A l'époque d'Hurlement, c'était 3000 boites. On l'a épuisé à 3500 boites. Tout le monde est persuadé que cela ne s'est pas vendu, alors qu'à l'époque c'était un carton phénoménal. Chimères aussi c'est bien vendu. Aujourd'hui un jeu est rentable à 600 exemplaires. Quand ils en vendent 1000, ils sont contents. Il faut le savoir, ce sont les chiffres. Le drame des français (je vais encore dire du mal des petits camarades mais tant pis), c'est qu'ils voudraient à la fois faire un truc super élitiste pour pouvoir se regarder dans la glace en se disant : moi monsieur je suis un créateur; et en même temps faire un carton commercial. Il faut faire un choix. Avec Chimères, on savait que l'on n'en vendrait jamais 100.000 exemplaires. On s'est fait plaisir et le contrat était là. Multisim a joué le jeu et l'a très bien joué. A un moment donné, ils n'ont plus eu envie de continuer à mettre de l'argent sur un truc qu'ils n'étaient même pas sûrs de rentabiliser à terme. Le jeu a été rentable et a rapporté de l'argent mais les suppléments... La règle à l'époque, c'était : tu vends un supplément pour deux boites de jeu vendues. Donc tu fais très vite la règle de trois pour savoir si c'est rentable ou pas.

Qu'est-ce qui fait que Dongeons et Dragons est toujours le jeu le plus vendu en France et dans le monde ? Un type qui rentre dans un magasin pour s'acheter une boite de jeu a d'un coté une armoire de jeux et de l'autre un jeu qui vivote avec deux ou trois suppléments. Le choix est vite fait : on a beau critiquer, moi je reste persuadé que Dongeons a raison. C'est un jeu grand public, un jeu fourre-tout et donc n'importe quel joueur peut y mettre ce qu'il veut et s'amuser avec.

N'y a-t'il pas une opposition entre le JdR qui essaye de se vendre et le fait qu'il n'est pas nécessaire d'en acheter pour y jouer ?

- Je crois qu'il faut que les auteurs arrêtent de se pignoler sur leur oeuvre. A partir du moment où tu mets un produit à disposition, tu le vends, cela ne t'appartient plus, il faut lâcher le bébé. Tu vends un produit que tu as calibré pour un certain esprit, un certain univers et tu ne peux pas lutter contre les joueurs qui se l'approprient qui en font ce qu'ils veulent. A partir de là, le joueur est libre ! On vend un mode d'emploi.

Que pensez-vous de la situation du jeu de rôle, du nombre de joueurs, des oppositions jeux vidéos/jeux de rôles ?

Je pense qu'il y a toujours autant de joueurs mais il ne faut pas oublier qu'il n'y a pas de renouvellement. On a cru à un moment donné que les cartes, parce que cela touchait les gamins, allaient donner une nouvelle génération de rôlistes. C'est faux, les mômes qui ont fini de jouer aux cartes sont passés aux jeux vidéo. Ils ont besoin de l'immédiateté. Quand on leur donne un livret de règles de dix pages pour jouer aux cartes et qu'ils savent après qu'ils vont jouer des centaines d'heures, ça ne les dérange pas. Quand on inverse le truc et qu'il faut des centaines d'heures pour intégrer des centaines de pages de règles et qu'ils savent que la partie va durer quelques heures... C'est un investissement, non pas financier. Il faut arrêter de nous faire rire : ce sont les mêmes joueurs qui râlaient sur le prix des jeux de rôles qui étaient capables de dépenser 1000 francs par mois à l'Oeuf Cube pour des cartes. Il y a plein de choses comme cela mais c'est toujours pareil, on n'est pas dans le rationnel, on est dans le passionnel et voilà ! Vous devez le ressentir à votre niveau tous les jours.

Je compare souvent le JdR au rock'n roll : cela a passionné nos parents mais cela ne nous intéresse plus. A un moment donné, cela a permis de faire évoluer les choses et ça va se retrouver ailleurs. Mon fils écoute maintenant Marylin Manson, il n'a que dix ans, ça promet ! On se rend compte que AC/DC qui faisait frémir nos parents, c'est juste un groupe de blues. On évolue ! Le JdR a permis à toute une génération d'ouvrir les yeux, de découvrir la littérature, les films et la musique et ça va donner autre chose. On a maintenant une génération de jeunes mecs qui montent et qui s'intéressent aux médias de leur époque. Vous êtes sur Internet les gars, il faut ouvrir les yeux. Pour la nouvelle génération des 17-25, le jeu de rôle, c'est du jeu vidéo.

On a beau leur expliquer que ce n'est pas exactement la même chose. Je pense que le JdR version papier a vécu. On va alimenter une génération pendant quelques années et puis il faudra vraiment passer à autre chose.

Avez vous des projets en cours ?

- On voudrait adapter l'intégrale de Serge Brussollo en JdR. J'y travaille avec Serge mais c'est un projet énorme. Je ne me vois pas perdre un an de ma vie sur un truc dont je sais qu'il ne touchera qu'une poignée de gens. Si on fait ce jeu, on le déclinera sous forme de jeu de rôle papier, de jeu vidéo, etc.. Mais alors ce n'est même plus un scoop, c'est un embryon de début de piste de travail parce qu'on part sur un boulot de deux ans.

Ca doit être viable, comme Druillet qui décline son univers en jeux vidéo, en spectacle son et lumières...

- Druillet a créé la série Excalibur sur Canal et il l'a entièrement dessinée, tout en images de synthèse et c'est somptueux. C'est un projet énorme mais derrière il y a toute l'armada éditoriale qui est là pour le soutenir. Je crois que c'est dans ces termes-là qu'il faut réfléchir. Les gens qui continuent à se battre en étant les gardiens du temple pour fabriquer des livres se fourvoient à mon avis parce qu'il faut décliner d'autres choses.

Avez-vous écrit des romans pour la jeunesse en utilisant l'expérience acquise dans le jeu de rôle?

- Je n'ai pas perdu mon temps, j'ai appris mon métier. J'ai commencé par faire des albums pour la jeunesse, maintenant je suis sur des romans que Bayard appelle "young adult", c'est en fait pour mettre d'accord les adultes et leurs enfants ou les ados et leurs petits frères. On essaye de décliner les thèmes qui sont notre passion. On essaye d'exploiter ce vécu, cette connaissance et cette technique de narration pour toucher d'autres médias. Je pense que ce n'est pas tant une création que la somme de tout ce que j'ai pu faire avant. En fait, j'apprends depuis dix ans, cela n'a rien d'exceptionnel.

Y a-t'il eu des romans tirés de l'univers de Chimères autres qu'au Masque, chez Mnemos par exemple ?

- Il y a eu un roman Chimères. A l'époque Mnemos reposait sur les magasins de jeu de rôle pour sa distribution et pour sa survie. Les magasins, voyant que le jeu s'arrêtait, n'ont pas suivi un produit pour un jeu qui est mort. C'est toujours la même logique en France ! Chimères a été assassiné par les boutiques parce que le bruit a couru que c'était Hurlements II, le retour et qu'Hurlements ne s'était pas vendu. On a eu beau leur expliquer que tout le stock s'était vendu et qu'au contraire c'était un carton pour l'époque, ils ont refusé de le prendre. Maintenant, est-ce que j'ai le droit de pleurer en disant que Mnemos n'a pas voulu d'un bouquin que le Masque a édité en grand format ?

Certains scénarios de Chimères ont un découpage très cinématographique, avez-vous des projets dans ce sens ?

- Il y a des studios qui sont prêts à écouter ça. J'ai rencontré quelqu'un qui bosse sur une chaîne cryptée française, section Idées et qui m'a demandé de lui passer des trucs. C'est aussi essentiellement une question de temps.

J'adorerai aussi explorer la BD. Je suis de longue date un dessinateur frustré et j'ai l'opportunité via les salons du livre de rencontrer des tas d'illustrateurs et j'ai très envie de retravailler cela. Le seul truc, c'est que si on se lance sur un projet de production images, ce ne sont que des projets à long terme, il faut mettre deux, trois ans et pour l'instant je n'ai pas le temps. J'ai envie de travailler sur une BD par ce qu'on est dans l'immédiateté, on va très vite, on sait qu'au bout d'un an si on se lance sur un projet, le bouquin sort, il existe et on peut passer à autre chose.

Finalement la conclusion de tout ça, c'est que le JdR mène à tout à condition d'en sortir ?

- C'est dur pour les copains qui y sont toujours mais je connais aussi des gens très biens dans cette profession. Je me suis aperçu déjà que lorsque je travaillais sur chimères, j'avais arrêté de jouer. Le simple fait de réfléchir à des scénarios ne me donnait plus envie. Je trouvais beaucoup plus excitant intellectuellement de projeter sur des parties virtuelles ce que les joueurs allaient en faire, plutôt que de les jouer moi-même et de les tester. Cela ne m'intéressait plus du tout. Il m'a fallu quelques années avant de retrouver une bonne bande de copains et de me remettre à jouer tranquillement de temps en temps.
Le jeu de rôle reste une école. Il y a ceux qui ne veulent pas passer le cap mais ils ont souvent un autre métier, et ceux qui ont vraiment envie d'en faire le leur et dans ce cas il faut qu'ils passent à autre chose, qu'ils réalisent très vite que ce n'est pas ce qui va les nourrir. Ils sont une poignée de

gens en France qui en vivent. Il y a plein de jeunes mecs qui arrivent avec des yeux brillants en pensant qu'ils rentrent dans la caverne du Père Noël et qui réalisent qu'ils seront payés avec une bonne poignée de main et un grand sourire. Je ne vais pas cracher dans la soupe : je suis entré aux éditions Gründ pour les livres jeux d'enfants parce que j'avais été scénariste et auteur de JdR; je suis passé chez Bayard parce que j'étais entré chez Gründ et j'ai atterri dans le bureau de Brussolo parce qu'il avait vu ce que je faisais avant. L'idée est soit de le faire en dilettante et se faire plaisir à un moment donné de sa vie, généralement plutôt quand on est jeune ou alors on décide qu'effectivement c'est vraiment une école et je vais comparer ça à un stage en entreprise. On est pas payé mais on apprend un boulot et après on peut le monnayer.

Bibliographie de Jean-Luc Bizien :

 Jeux de rôles :

      - Gamme Hurlements (suppléments Hurlelunes)
      - Gamme Chimères (édité chez Multisim)

Aux éditions du Masque :

      - Le masque de la bête

Livres-jeux (edités chez Gründ) :

      - La librairie aux 100 trésors (avec Emmanuel Saint)
      - La colline aux 100 fées
      - La citadelle aux 100 tours (avec Emmanuel Saint)
      - Le cirque aux 100 prouesses (avec Didier Graffet)
      - La pyramide aux 100 malédictions (avec Emmanuel Bazin)
      - L'océan aux 100 abîmes (avec Didier Graffet)
      - La tour aux 100 menaces (avec Didier Graffet)
      - La forêt aux 100 sortilèges (avec Didier Graffet)
      - L'école aux 100 farces (avec Gilles Bonotaux)

Les Empereurs-mages (édités chez Bayard) :

      - 1. Le souffle du dragon
      - 2. L'éveil du dragon
      - 3. L'envol du dragon

Collection Bestiaire de Noé (edités chez Gründ)

      - Noé et le lion (avec Emmanuel Chaunu)
      - Noé et le zèbre (avec Emmanuel Chaunu)
      - Noé et le dauphin (avec Emmanuel Chaunu)
      - Noé et le loup (avec Emmanuel Chaunu)