Scénario


Pour : Appel de Cthulhu


Auteur(s) :

Benjamin SCHWARZ

Mario HEIMBURGER

Illustrateurs(s) :

Benjamin SCHWARZ


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Eastenwest > 23 - De piquants et d'épines

Sur la grève où l'on dévore nos songes

Les Contrées du Rêve recèlent autant de dangers que le monde réel. Elles semblent lointaines, mais ne sont finalement séparées du monde de l’Éveil que de quelques psychotropes. Et lorsqu’un ingénu la visite, il peut déclencher une série d’événements qui risquent de mettre à mal la ville de New York. Directement entraînés par le lien des rêves, les investigateurs vont avoir une fois de plus l’occasion de se placer entre le danger et l’humanité. De gré ou de force. La possession du supplément “Les secrets de New York” n’est pas indispensable, mais peut vous permettre de mieux décrire les ambiances des quartiers visités. De même, une des anciennes versions des suppléments “Les Contrées du Rêve” peuvent permettre de mieux rendre l’atmosphère onirique de la seconde partie du scénario.

“Un jour, les guerriers de Sarnath décidèrent de détruire Ib. [...] tous marchèrent vers la cité grise dont ils massacrèrent les habitants. Pour ne pas avoir à toucher ces étranges créatures, ils poussèrent leurs corps dans le lac à l’aide de longues perches.”

"La malédiction de Sarnath", H.P. Lovecraft

Prologue : Le coyote, le lapin et l’oursin

Ce scénario est centré autour de trois “êtres”. Leur histoire et leur personnalité seront la cause directe des maux qui s’abattront sur les investigateurs. Il est donc hélas indispensable de s’attarder un peu sur chacun d’eux...

Nukpana Silver, “le Coyote”

Ce n’est pas parce que les Indiens n’ont jamais connu Freud qu’ils échappent à une des relations les plus anciennes de l’humanité : celle d’un père qui est quelque peu déçu par son fils et par ce même fils qui subit l’ombre du père. Ainsi est la relation entre Nukpana et le grand et sage Chamane Hopi Qaletaqa “œil-du-ciel”.

Ce dernier est considéré comme un des plus sages chamanes que les Hopis aient jamais produit. Détenteur de nombreux secrets et de savoirs qu’il sait utiliser avec prudence et parcimonie, il tenta d’enseigner sa sagesse à son fils unique. En vain. Il ne put qu’observer son fils rejoindre peu à peu le rang des paresseux et des hommes mesquins, peut-être contaminé en cela par l’influence de l’homme blanc. Avec tristesse, mais sans colère, il accepta cette dérive comme un coup du sort.

Après avoir passé sa jeunesse tumultueuse dans la tribu mourante de son père, Nukpana décida de couper les ponts avec ses ancêtres et de commencer une nouvelle vie dans ce Nouveau Monde que beaucoup d’Indiens refusaient d’embrasser. Des années à observer son père n’ayant pas réussi à faire de lui un leader, un chef ou même un conseiller, cette défection apparut à tout le monde comme inévitable. Rejetant ses traditions, conservant tout de même un savoir technique de magie indienne sans y voir cependant un quelconque intérêt culturel, il fit route vers New York, centre de gravité de l’Amérique, en compagnie d’un autre Indien de sa tribu qui souhaitait lui aussi échapper au déclin de son peuple, Honovi.

En arrivant à la Grande Pomme en août 1920, tous deux choisirent un nom plus adapté aux formulaires d’embauche : Nukpana Silver et Honovi L’Indien. Le seul emploi qu’ils purent trouver était celui de manœuvre sur un des innombrables chantiers d’une ville qui connaissait alors une frénésie de construction sans précédent. Mais si cette situation convenait bien aux muscles puissants de Honovi, Nukpana ne put soutenir longtemps le rythme et décida de chercher une autre voie. Ce fut la voie de la langue fourchue, celle de la manipulation, du paraître, du baratin. S’il avait cru alors aux traditions de son peuple, il aurait reconnu la voie du Coyote. Tandis que Honovi trimait sur les chantiers, Nukpana récoltait quelques sous grâce à de menues arnaques, dont les cibles principales étaient les ouvriers du quartier où il s’était installé : Gashouse District.

Les dangers inhérents à ce mode de vie lui valurent quelques blessures et notamment une vilaine balafre zébrant le côté gauche de son menton jusqu’à l’oreille. Désormais âgé de 32 ans, redoublant de prudence, Nukpana vivotait, multipliant les rencontres à la recherche du prochain bienfaiteur. Celui-ci ne tarda pas à apparaître sous la forme d’Albert Farrow.

Albert Farrow, notre “lapin”

La vie d’Albert Farrow n’a rien à voir avec celle de Nukpana. Mais elle a comme point commun de ne pas satisfaire celui qui la vit. Albert Farrow est destiné à de grandes choses et ce destin lui pèse. Fils de Mark Farrow, un architecte décédé dans un accident de chantier alors qu’Albert n’avait que 10 ans, il vit depuis avec sa mère, Selina, qui a reporté toute son affection sur son fils unique. Mark n’ayant pas laissé une grande fortune à son épouse, Selina a accepté la proposition de son frère, Reginald Pidgwell, un banquier spécialiste de l’investissement boursier qui a bâti une véritable fortune, de venir vive avec lui dans un grand manoir bâti dans le Queens, à Steinway. A cette époque, le Queens n’est touché par l’urbanisme galopant de la ville que sur sa façade nord-ouest.

Reginald est un obsédé de la famille, en particulier parce que son union avec Emma ne lui a donné aucun enfant. Or, la fortune de Pidgwell demandait à être transmise, et le seul candidat actuel est Albert. C’est donc sous la pression de Reginald que fut orchestrée l’union prochaine entre Albert et Loretta Franklin, fille de sénateur, afin d’agrandir le prestige de la famille Pidgwell et la fortune de la famille Franklin. Qu’Albert manifeste si peu d’intérêt pour ce mariage est évidemment un problème majeur, mais Reginald restait confiant jusque récemment.

Pour faire vivre sa petite famille autant que par inclinaison, le père d’Albert était un véritable bourreau de travail, si bien que sa mort ne peina que peu le jeune enfant qui en définitive l’avait peu connu. À certains égards, l’arrivée à New York à la suite de ce décès fût, elle, vécue comme un plus grand traumatisme. Élevé jusqu’alors essentiellement par sa mère, Albert eut alors à subir l’influence de l’oncle Réginald dans les choix de son cursus. C’est ainsi qu’il se retrouva à la Clifford School, sans réel goût pour les études, comme la majorité de ses condisciples soit dit en passant, mais peut-être avec une plus grande aversion qu’eux.

Élève moyen dès son plus jeune âge, Albert se distinguait surtout de ses camarades dans ses aptitudes pour les arts picturaux. Bringueballé géographiquement au gré des contrats que son père obtenait dans cette Amérique en pleine construction, Albert a gardé le souvenir et le goût des grandes étendues du Middlewest américain qui prêtent à la rêverie et à la contemplation mystique. Sans grand génie, ni beaucoup d’imagination, mais doué d’une patience certaine et d’un goût pour la technique, il réalisa très tôt une série de paysages inspirés de ces souvenirs et influencés de toiles vues au Metropolitan Museum of Art. À l’âge de quinze ans il fit aussi la fierté de sa mère en réalisant sur demande une série très réussie de portraits des amies de cette dernière.

Ce ne fut que récemment, au passage à l’âge adulte, que le rejet de ce que représentait son oncle fut consommé. Délaissant de plus en plus des études d’économie laborieuses, Albert se mit à s’intéresser davantage à ce qui n’était pas mesurable : l’âme, la psyché, les rêves et les mythologies humaines en général et américaines en particulier. De librairies en conférences, il rencontra de nombreuses personnes qui partageaient ses intérêts, mais manifestaient une passion étrange et dont Albert se méfiait : une exaltation qui ne servait chez ces amateurs qu’à masquer leurs doutes. Circonspect, Albert se liait difficilement.

Deux jonctions s’opérèrent alors quasi-simultanément : Albert découvrit le milieu de l’art à travers le groupe intellectuel dirigé par Léa McMurphy, une galeriste d’envergure réduite. Grâce à elle, il rencontra de nombreux artistes qui vantèrent les tableaux maladroits d’Albert comme s’il s’agissait de nouvelles toiles de Leonardo Da Vinci (et quémandèrent en retour une appréciation qu’Albert ne fut que trop heureux d’accorder). Ce groupe auto-entretenu vivait dans une hypocrisie saine et équilibrée.

Parallèlement, Albert multipliait les sorties liées au mysticisme, autant en quête de savoir, de sensations que d’inspiration pour ses “œuvres”. Lors d’une conférence organisée par une association d’hommes blancs en faveur des peuples indiens, il rencontra Nukpana. Celui-ci fréquentait souvent ce genre d’endroits riches en blancs crédules et Albert semblait comme un cadeau du ciel pour l’Indien roublard. Leur rencontre déboucha sur de nombreuses autres, et Nukpana, de manière subtile et progressive, affermit son influence sur le jeune homme, réussissant à lui soutirer quelques sous en échange d’histoires indiennes et de bribes de savoirs chamaniques.

On s’en doute, tant de sorties et si peu d’assiduité aux études finirent par mener à une crise domestique. La dispute entre Reginald et Albert fut homérique et déboucha sur l’inévitable : désormais adulte, Albert claqua la grande porte et revint par la petite. Sans grandes ressources, il fut en effet obligé de quémander quelque argent à sa mère, en échange de fréquentes visites. Avec le petit pécule, toujours renouvelé au besoin - Selina ne pouvait rien refuser à son fils, même si elle gardait ses dons secrets pour ne pas provoquer l’ire de Reginald - et l’entregent de Léa McMurphy, Albert se dénicha un petit appartement/atelier dans lequel il s’installa définitivement.

Sous l’influence de Nukpana et des secrets que celui-ci lui enseigna, ses œuvres prirent rapidement un tournant, devenant plus originales, plus personnelles, plus marquées. Bientôt, Léa proposa à Albert une petite place dans une exposition prochaine. Albert accepta, mais à ce moment, il avait déjà un souci de taille...

Les Eq’Netheryns, race très ancienne

Dans les Contrées du Rêve vit une race très ancienne en voie d’extinction : les Eq’Netheryns. De triste réputation, que ce soit dans le monde réel ou dans les contrées, on ne sait en fait que peu de choses de ce peuple, si ce n’est qu’il vaut mieux s’en tenir éloigné car dans son sillage traînent oubli et folie. Incompréhensible pour l’esprit humain, on ne peut que supposer que la race se laisse mourir, se contentant de soutirer au monde du plaisir sous une forme redoutable.

On ne sait rien de leurs origines, certains érudits du monde du rêve assurent qu’ils seraient issus d’un peuple décadent, banni dans les terres des rêves par les Anciens dont ils avaient tenté de dérober les songes. Le fait est qu’ils ne semblent pas se reproduire, et que leur colonie ne compte plus aujourd’hui qu’une centaine d’individus hantant la grève ravagée de l’Île Pointue, à quelques brasses du rivage où l’on peut encore contempler les ruines de l’ancienne cité maudite de Sarnath. Dans le monde réel, rares sont ceux qui ont entendu parler de cette race, et ce savoir n’est que rarement évoqué de peur d’attirer la curiosité. Le récit de la chute du grand aigle (cf. encadré) est enseigné à tout aspirant chamane, et en tant que tel a été transmis à Nukpana Silver par son père Qaletaqa “œil-du-ciel”. Si cette légende est souvent comprise comme un récit symbolique illustrant les dangers des arts magiques et exhortant à l'obéissance des apprentis envers leurs aînés, il n’en reste pas moins qu’une description de l’aspect des Eq’Netheryns, d’oursins lumineux à taille humaine, y est donnée et que leur lieu de résidence y est clairement identifié, en même temps que la menace de contamination qu’il représente. De fait, même s’il ne prend pas l’histoire au pied de la lettre, aucun chamane ne se risquera jamais de ce côté là des songes...

Dans les faits, si l’on ne peut les qualifier à proprement parler d’êtres malfaisants, les Eq’Netheryns sont à tout le moins des êtres néfastes. En se nourrissant des rêves d’autrui, ils en effacent les souvenirs jusqu’à ne laisser d’un individu qu’une carcasse vide. Pire, au cours de ce mécanisme de sustentation, ils se délectent des sentiments les plus prégnants de leur victime, et ce faisant ils sont capables de remonter une “piste affective” jusqu’à l’esprit de la cible de ce sentiment. Ce phénomène psychique n’est en aucun cas sujet aux contraintes géographiques, ce qui rend la “contagion par affect” particulièrement redoutable. Lorsqu’ils sont affamés, les Eq’Netheryns dévorent les songes d’un être humain en quelques jours, et rebondissent rapidement d’esprit en esprit jusqu’à coloniser un bon millier de personnes en un mois de temps. Leur période de fringale assouvie, ils ne dévorent plus que partiellement l’âme de leur victime et passent plus calmement à la suivante.

Concrètement, l’Eq’Netheryn harponne sa proie au moyen d’une “épine éthérée”, puis aspire les songes au travers d’un “boyau éthéré” qui le connecte au cerveau de sa proie. La “longueur” de cette connexion n’a aucune limite de temps ni d’espace, et si pour harponner sa première proie il faut que celle-ci se trouve physiquement à proximité, les victimes suivantes peuvent être harponnées à distance sans aucun soucis en remontant la trame affective de la victime précédente.

En temps normal, le boyau éthéré est invisible à l’œil nu, mais on peut le percevoir dans certains cas de conscience altérée, comme sous l’effet de drogues ou lorsqu’on se trouve soi-même partiellement endormi. Dans le monde des rêves, la perception en est plus aisée. Le lien se manifeste concrètement par une sorte de boyau lumineux pulsatile aux couleurs chatoyantes émanant du crâne de la victime et qui le connecte à l’Eq’Netheryn au travers de circonvolutions plus ou moins grandes et mobiles. Qui plus est, lorsqu’un humain est en proie à la succion de ses souvenirs, il n’est pas rare qu’il perçoive le boyau parasite, ce qui engendre des perceptions visuelles colorées accompagnées le plus souvent de fortes migraines.

Le destin de la tribu du Grand Aigle.
[ Légende indienne enseignée aux apprentis chamanes ].

Dans les temps anciens, parmi toutes les tribus indiennes, il en était une particulièrement crainte et respectée pour la sagesse et la puissance de ses chamanes. Leurs secrets sont à jamais perdus maintenant, mais on dit que leurs pouvoirs étaient sans limites ; qu’ils pouvaient marcher dans l’espace entre les rêves et tordre notre univers selon leur désir grâce à leur maîtrise du “don de l’aigle”. Mais les voies du rêve sont à double tranchant, et d’autant plus dangereuses que le pouvoir est grand. Un jeune apprenti chamane, faisant fi des mises en garde de ses aînés se trouva happé par les “dévoreurs de rêves” qui hantent les récifs déchiquetés faisant face aux ruines de l’”ancienne cité”. Comme le grain de sable qui entraîne à sa suite l’ensemble de la montagne, l’apprenti emmena avec lui l’intégralité de sa tribu, car en mangeant ses souvenirs, les dévoreurs de rêves accédèrent aux songes de ses aînés. Malgré leur grande sagesse, les puissants chamanes de la tribu de l’aigle ne purent rien faire pour endiguer le malheur, et l’un après l’autre ils firent les “rêves colorés” qui précèdent la folie. C’est l’un d’entre eux cependant -peut-être le plus sage, peut-être le plus fou- qui, sentant sa raison lui échapper, imagina et mit en œuvre la seule solution pour endiguer le mal dont sa tribu était à l’origine : l'éradication de sa tribu par les tribus voisines. On dit qu’il y eut un millier de survivants au massacre, et que ceux-ci décidèrent de s'exiler dans les rêves, peut-être pour se soustraire à la vindicte des autres tribus, pour les soustraire à la menace des dévoreurs de rêve, ou encore pour affronter leurs tortionnaires. Ce qu’ils sont devenus, nul ne le sait, car depuis cette nuit d’ouragan et d’éclairs sans pluie qui les a vu disparaître, personne ne les a plus jamais revus.

Événements récents

Pour affermir son pouvoir sur le jeune artiste, Nukpana initia celui-ci à certains rituels chamaniques et à certaines des substances utilisées au cours de ces cérémonies, le tout soigneusement enrobé d’explications mystiques plus ou moins cohérentes et partiellement inventées.

L’une des drogues a cependant un effet fameux : il permet à celui qui l’ingère de voyager mentalement dans les Contrées du Rêve. Ce sont ces voyages qui inspirèrent à l’artiste ses œuvres les plus marquantes. Au début, Nukpana fut toujours présent pour accompagner son “protégé”, mais le temps passant, ce dernier s’affranchit de plus en plus de l’aide et de la compagnie de son ami.

Un jour que les deux voyagèrent aux abords des ruines de Sarnath, le jeune Indien se souvint d’une mise en garde de son père au sujet d’un monticule rocheux solitaire et surmonté de ruines aux angles aigus, et le retranscrit avec emphase (bien que de manière imparfaite) : “voici un lieu dont il ne faut jamais s’approcher car ces ruines abritent un secret de l’ancien temps dangereux pour l’esprit.”

Mais la curiosité tua bientôt le petit chat : lors d’un de ses voyages solitaires, Albert Farrow passa à nouveau à proximité de l’Île Pointue... et finit par arriver assez près pour attirer l’attention d’un Eq’Netheryn. Ce dernier ne manqua pas de harponner une proie si rare et ce fut le début des ennuis pour le peintre, le chamane et bientôt, les personnages...

Les voyages de Farrow se restreignirent de plus en plus aux alentours de Sarnath comme un satellite est capté par une planète, et ces paysages, ainsi que le contact avec la race ancienne, lui ouvrirent de nombreux horizons artistiques. Mais durant les phases de vrai sommeil, les Eq’Netheryns se délectèrent des rêves du peintre et y dénichèrent bientôt la trace rémanente du chamane, qui fut à son tour contaminé.

Petit à petit, Albert sombra dans une folie obsessionnelle et distraite. Et le chamane suivit rapidement la même pente, bien que plus doucement. Comprenant ce qui était arrivé, Nukpana entra en panique. Fuyant d’abord le contact du peintre, il s’aperçut rapidement qu’il était condamné, se souvenant des leçons de son père. Puis un changement s’opéra en lui : ne pouvant être sauvé, il désira bientôt s’amender et retrouver une partie de la noblesse de son peuple en prenant ses responsabilités. C’était à lui de stopper la contamination, et le mieux pour cela était d’éliminer tous les contaminés, lui-même compris...

Nous en sommes là de l’histoire au moment où débute le scénario : la semaine précédente, Albert a été retrouvé délirant et babillant dans les rues de New York. Ramené discrètement au domicile familial où il est soigné depuis, il continue de sombrer dans une folie qui fait la honte de son oncle. De son côté, Nukpana lutte contre le sommeil en préparant sa “sortie” de ce monde. Ne pouvant se résoudre à se suicider, il a résolu d’assassiner Albert Farrow avant de suivre les traces de la tribu de l’aigle en utilisant un rituel terrible hérité de ses ancêtres, un rituel qui lui permettrait d’abandonner sa vie dans le monde réel et de la poursuivre dans le monde des rêves, où il espère encore trouver un moyen d’échapper à la folie et au contrôle des Eq’Netheryns...

Deux introductions plutôt qu’une

C’est enfin le moment d’impliquer vos personnages dans cette histoire. Ceci se fera en deux temps : d’abord lors d’un dîner mondain où vos personnages seront impliqués de force ; puis de manière plus concrète par une requête ambivalente de Reginald Pidgwell, agissant à la demande de sa sœur désespérée.

Un dîner très (peu) conventionnel

En ce 13 septembre 1921, un dîner-gala est organisé dans la formidable résidence de Reginald Pidgwell, grand financier et investisseur, dont le nom figure sur une bonne centaine de plaques de remerciement de différents organismes. La richesse du personnage est légendaire. Son franc-parler également. La plupart, si ce n’est tous les personnages sont invités à cette soirée (référez vous à l’encart “Comment impliquer les personnages ?” afin de voir pourquoi).

Le dîner était prévu de longue date, mais il apparaît bientôt évident à tous que le maître de cérémonie, mais aussi sa sœur Selina Farrow, n’ont guère le cœur à la fête. Ils semblent nerveux et préoccupés. Ce sera l’occasion d’entendre quelques rumeurs parmi les autres invités sur la situation familiale des Pidgwell et consorts. Finalement, il n’y a guère que Emma Pidgwell qui joue à merveille son rôle d’hôtesse. Les mauvaises langues prétendront d’ailleurs qu’elle n’a jamais su faire que cela... Albert Farrow ayant réintégré le domicile familial dans un état proche de la démence, Reginald avait souhaité annuler le gala. Mais les invitations avaient déjà été envoyées...

Laissez les personnages tenter une approche, obtenir éventuellement de la part de Reginald une brève rebuffade ou au contraire un accord bourru. On repérera assez facilement parmi les personnages ceux qui seront rapidement mal à l’aise et ceux qui sont nés dans le bon milieu. Arrangez-vous pour que les personnages aient quelques scènes mondaines en commun afin qu’ils fassent connaissance (il n’est pas indispensable qu’ils s’apprécient, bien que ce soit plus agréable pour l’ambiance de la table...). Assurez-vous que chacun ait rencontré au moins deux autres personnages lors de la soirée, cela aura son importance par la suite.

C’est vers 22h, à l’heure où de nombreux convives ont déjà trouvé des prétextes plus ou moins bons pour s'éclipser, que retentissent quelque part dans la propriété plusieurs coups de feu, qui ne seront reconnus comme tel qu’à ceux qui réussissent un jet d’Écouter. Personne ne peut cependant ignorer que la nervosité devient alors croissante, et que des serviteurs viennent rendre des comptes à un Pidgwell agacé et à une Selina qui quitte rapidement l’assemblée en courant, visiblement paniquée.

Gageons que les joueurs sauront faire preuve de curiosité ou d’opportunisme et se mêleront à l’action. Dans le cas contraire, un médecin dans le groupe sera sollicité directement par Pidgwell.

Comment impliquer les personnages ?

Afin de pouvoir prétendre à être invité au manoir Pidgwell, les personnages doivent être dans l’un des deux profils suivants : soit ils ont à quémander une aide financière pour un projet ou pour la poursuite de leur carrière, soit ils gravitent déjà dans l’environnement du philanthrope bougon parce qu’ils ont bénéficié de ses largesses par le passé.

Il est bien sûr préférable que les investigateurs se connaissent déjà avant d’arriver au manoir, ce qui renforce les liens entre eux. De plus, la présence d’un médecin dans le groupe est chaudement recommandée.

Voici quelques exemples de personnages adaptés :

  • un(e) dilettante adossé à un grand nom, mais féru de mystères et d’intrigues policières.
  • un professeur d’université spécialiste des mythes indiens et qui souhaite obtenir une bourse de recherche (à priori, aucune chance, sauf s’il parvient à aider Pidgwell).
  • un employé de banque modèle qui est invité pour son activité émérite dans la banque et souhaite briller auprès de son patron.
  • un docteur surpris de son invitation (mais en fait spécialiste des troubles mentaux et/ou des actions psychotropes)

Dans l’hypothèse où le groupe comporterait une minorité de personnages moins “reluisants”, ceux-ci ne pourront être invités à la soirée, mais seront impliqués à l’aide des liens affectifs (de précédentes aventures ?) qui les unissent aux personnages invités. À ces derniers de leur proposer ensuite d’intégrer le groupe lorsque l’enquête débutera.

Ce qui vient de se passer est simple : alors qu’Albert Farrow accomplissait sa promenade quotidienne dans le parc de la propriété, il a échappé momentanément à la surveillance de sa nurse, Adelheide Gritzen, une immigrée autrichienne manquant sévèrement d’empathie. Nukpana, qui attendait en embuscade derrière un bosquet, en a profité pour tenter d’assassiner le jeune artiste avant de fuir. Mais les balles, pourtant tirées à bout portant, ont miraculeusement évité les organes vitaux et Albert n’est pas mortellement touché. C’est donc un jeune homme baignant dans son sang, entouré de serviteurs désemparés, que les personnages peuvent découvrir.

S’il y a un médecin parmi eux, il sera immédiatement sollicité pour aider le blessé, tandis que les autres peuvent tenter de retrouver l’assaillant. À la surprise des personnages, sans doute, Albert sera facile à sauver - autant pour le cliché du mourant dans les bras des PJs. Le jeune homme jette un regard plein de gratitude et de fièvre à tous ceux qui essaieront de l’aider. Un regard qui fera graver l’image des personnages dans les délires oniriques du peintre, une nouvelle trace à suivre pour les Eq’Netheryns...

Dans le parc, par contre, peu de traces... il sera facile de déterminer qu’un homme seul semble avoir attendu un long moment dans les fourrés devant la fenêtre d’Albert Farrow (fenêtre brisée sous l’impact des balles), mais sa ligne de fuite est décourageante : il est très facile d’entrer et sortir de la propriété, et la ville n’est pas loin. Suivre la piste est quasiment impossible et mène jusqu’à la cité proche de Steinway.

Tout au plus pourra-t-on déterminer que l’assassin a meublé son ennui en fumant à la chaîne des Lucky Strike (“it’s toasted!”) et en buvant une espèce de décoction amère d’une calebasse qu’il a abandonnée à moitié vide dans les buissons. Il sera possible d’y reconnaître une décoction de guarana par quiconque réussit un jet de chimie, culture amérindienne ou un succès spécial de Savoir. Les vertus énergisantes de cette décoction sont connues, mais la concentration de la boisson est très importante (et semble indiquer un grand besoin de rester éveillé).

Ce n’est pas ce soir que les personnages auront toutes les réponses aux questions qu’ils se posent, mais les PJs auront été remarqués par les Pidgwell et surtout par Albert Farrow. Ils seront sans doute assez sèchement éconduits, avec des remerciements un peu contraints, par le maître de maison qui décrète la fin de la soirée... De quoi frustrer les joueurs.

Qu’ils ne s’inquiètent pas : durant la même nuit, ils seront contaminés par les Eq’Netheryns à travers les rêves d’Albert, puis des rêves de chacun d’entre eux (ainsi que quelques victimes innocentes). Dès maintenant, vous pouvez faire intervenir les événements décrits dans la partie “Visions d’un autre monde”, plus loin...

Trois jours vont se dérouler avant que cette affaire ne se poursuive...

Rendez-vous artistique

Vraisemblablement éconduits un peu vite lors du gala, les personnages voudront peut-être se renseigner sur la famille Pidgwell : en vain. Pas grand chose de croustillant à découvrir, mais l’arbre généalogique et les événements publics peuvent être collectés avec un peu d’entregents.

Trois jours, c’est le temps de faire apparaître des premières bizarreries dans la vie des personnages. Et puis, Reginald Pidgwell finit par reprendre contact avec les personnages, d’une manière originale : il leur propose de se retrouver dans une galerie d’art située au deuxième étage d’un immeuble situé sur Madison Avenue.

Là, c’est un vernissage classique (caricatural, diront les moins portés sur le monde de l’art) qui les attend. L’examen des tableaux et sculptures exposés en montrera pour tous les goûts, mais un jet de Trouver Objet Caché permettra de repérer avant l’heure une série de trois toiles signées Farrow (Albert).

Ces toiles présentent de manière assez abstraite des paysages acérés, se découpant sur de grandes étendues bleues (une mer ?), ainsi que des cercles de couleurs superposés à l’ensemble, comme en transparence. Ces cercles ont eux même des rayons multicolores et barbelés. Le tout passe pour de “l’art moderne”, et les amateurs d’art pourraient y découvrir un certain talent, une patte sensible. Les autres hausseront simplement les épaules d’incompréhension ou d’indifférence.

C’est devant une de ces toiles que les rejoint Reginald Pidgwell. Visiblement mal à l’aise, ronchon, il commence par une salve bien sentie à propos de la communauté présente dans la pièce... puis, se rendant compte de sa mauvaise humeur, se concentre à nouveau sur les personnages.

À mots couverts, il évoque la situation de son neveu, Albert Farrow. Bien que physiquement hors de danger après cette tentative de meurtre à laquelle les personnages ont assisté, Pidgwell évoque l’état de folie croissant et inquiétant du “peintre”. Pour Reginald, la cause de cette déchéance est connue (il balaye la salle du regard de manière équivoque), mais hors de portée du financier qui n’est clairement pas de ce milieu.

Bien qu’il soit là essentiellement pour faire plaisir à sa sœur, Selina Farrow, il affirme avoir eu de grandes ambitions pour son neveu, et souhaite, à défaut de châtier les responsables, au moins connaître l’identité des artistes qui ont amené Albert à son état mental actuel (“sans doute aggravé par le partage de substances illicites”).

Bien sûr, Pidgwell ne manquera pas d’évoquer une forte reconnaissance de sa part en cas d’aide efficace des personnages... de quoi faire dresser l’oreille à tous ceux qui sont venus quémander de l’argent et sont partis bredouille il y a trois jours.

Pressé d’être plus précis, Pidgwell ne manquera pas de marquer son agacement et risque de prendre un éventuel questionneur indélicat en grippe avant de lâcher qu’en clair, il souhaite savoir ce qui s’est passé pour Albert et est prêt à apporter tout soutien financier ou autre à ceux qui l’aideraient à connaître la vérité.

Ils sont libres de refuser cette offre... mais de toute façon, les personnages sont déjà impliqués et une perte de temps pourrait leur coûter cher par la suite...

I. Je règle mon pas sur les pas de l’artiste

La première partie du scénario est très libre et devrait être gérée sur plusieurs jours. Il faudra infiltrer le milieu artistique auquel appartenait Albert Farrow, découvrir ses amis et ses lieux de résidence et remonter la trace jusqu’à un mystérieux Indien, devenu sur le tard une véritable ombre pour lui. Durant tout ce temps, des phénomènes étranges ne vont cesser de se produire et mèneront peut-être les investigateurs à douter de leur santé mentale.

Environnement artistique

Albert Farrow n’a en définitive que peu d’amis, mais on lui trouvera quelques connaissances ainsi que de nombreux solliciteurs.

Léa McMurphy

La quarantaine glorieuse, sèche dans son corps comme dans son attitude, Léa ressemble à s’y méprendre à la journaliste d’Otto Dix, avec peut-être un goût vestimentaire un tantinet plus sobre ainsi que des cheveux longs tirés en un chignon strict. Issue de la petite bourgeoisie, Léa sévissait déjà comme critique d’art dans la gazette de son école de journalisme. Remarquée pour son ton incisif et son goût certain, il lui a été proposé d’en faire sa profession, profession qu’elle exerce toujours à l’heure actuelle. Le décès de sa mère lui a laissé un petit héritage qu’elle a investi avec succès dans une galerie d’art où elle expose essentiellement des talents qu’elle a l’intelligence de déceler, de pousser, et de révéler aux quelques riches mécènes de sa connaissance, se sucrant au passage. Certains prétendent qu’elle n’aime pas les hommes. C’est on ne peut plus faux, il lui arrive d’avoir des relations avec ses petits protégés, “juste pour l’hygiène”. Léa n’aime simplement pas les gens en général. Léa ne fait pas encore partie de ce cercle qui fait la pluie et le beau temps en matière d’art, mais elle s’y emploie corps et âme. Léa a rencontré Albert au début du mois de février 1921, il lui a été amené par Paul Trebin, un de ses “protégés”. Léa a tout de suite compris le potentiel d’Albert, tant sur le point artistique que par la fortune qui se cachait derrière le jeune homme. Pidwell ce n’est certes pas Rotschild, mais ça n’en est pas loin.

“Un artiste des plus intéressants, spontané et fougueux, songez qu’en à peine quelques mois, il a déjà mué deux fois, pour produire du neuf et de l’explosif à chaque fois. J’avoue que lorsque j’ai vu ses dernières productions, j’ai d’abord été choquée, mais cet agencement de couleur, ce dynamisme, il enfonce les Delaunay et autres Kandinsky... L’Amérique n’est peut-être pas mûre pour recevoir un tel message pictural, mais croyez moi, avec lui, elle n’a rien à envier à l’Europe !

Et puis une imagination vraiment débordante qu’il tire en grande partie de ses propres rêves. J’ai eu l’occasion de feuilleter un “carnet de voyage onirique”, pour lequel je tuerai proprement, des notes de voyage dans un monde imaginaire, avec des aquarelles de toute beauté. Non, vraiment, je vous assure, c’est réellement un placement intelligent, seulement 3000$ aujourd’hui, et dix fois plus d’ici quelques années.”

Léa pourra fournir l’adresse de l’atelier qu’elle avait aidé Albert à dénicher. Elle pourra encore donner les noms et adresse d’Anton Willard, Mickael Lonsbow et Paul Trebin, trois de ses protégés qui avaient visiblement lié amitié avec Albert.

Paul Trebin

Petit, barbu et déjà presque chauve, Paul Trebin est d’un caractère ingrat : timide à l’extrême, il peut soudainement s’enflammer sur un sujet au point de bégayer d’émotion, ce qui le mortifie et le fait à nouveau retomber dans sa timidité maladive. Un tel handicap énerve les interlocuteurs, ou les émeut.

De fait, Trebin est devenu le seul véritable ami d’Albert, peut-être parce qu'issu lui-même d’une bonne famille, et en but à une problématique familiale similaire. C’est lui qui a convaincu Albert de quitter le milieu familial pour s’adonner sans contrainte à son aspiration artistique. Étant son confident, de tous ses amis, c’est le seul à pouvoir parler des problèmes personnels d’Albert, de ses aspirations et de ses déchirements, à condition de parvenir à le faire parler !

Il révélera en outre que le jeune homme avait récemment changé. Albert avait développé une fascination pour le spiritisme au cours du mois de mars, vraisemblablement en rejet de la forte croyance catholique qu’il avait eu jusque là. Cette passion exclusive rendait néanmoins difficile la discussion, et Paul avait patiemment attendu que passe la phillie, mais elle s’était amplifiée et diversifiée se mâtinant de charabia mystique indien. Les rencontres entre les deux amis s’étaient irrémédiablement distendues, et au mois de juillet Albert n’ouvrait plus sa porte qu’avec circonspection, n’attendant que de manière à peine cachée le départ de son visiteur et ne prenant aucun intérêt ni aucune part à la conversation, lui qui quelques semaines auparavant était intarissable sur le sujet mystique. Paul suspecte son ami de s’être adonné à la drogue et se reproche de n’avoir rien fait pour l’en empêcher.

Mickael Lonsbow

Image d’Épinal de “la vie de bohème”, touche à tout impénitent, doué d’un excellent relationnel, Mickael est à l’aise partout et sa devise pourrait être “carpe diem”. D’autant plus honnête et sincère qu’il est superficiel avec tout le monde. Il a rencontré Albert, qu’il décrira comme un de ses meilleurs ami, un individu d’une grande richesse émotionnelle mais d’une timidité maladive liée au carcan familial. Dans les faits, Mickael a largement profité de la curiosité de son ami, en le promenant de fête en événement, où Albert en était systématiquement de sa poche pour les deux comparses. Les liens entre les deux “amis” se sont naturellement distendus au mois de mars, quand Albert ne montrait plus de curiosité pour autre chose que la médiumnique.

Anton Willard

Ami de Mickael Lonsbow, féru de sensationnel et d’étrange, c’est lui qui a initié Albert au spiritisme au cours du mois de mars. Tout d’abord instigateur des sorties, il a rapidement cédé le pas à Albert qui n’en avait jamais assez. Intéressé essentiellement par le spectacle et les aspects pseudo scientifiques, Anton a néanmoins continué d’accompagner son “ami” même lorsqu’il diversifiait son intérêt. Il se souviendra de la dernière manifestation à laquelle ils ont assisté ensemble, début juin, et qui concernait le mysticisme amérindien. Au cours de cette manifestation ils ont rencontré un chamane Indien du nom d’Istaqa (Nukpana n’a pas tout de suite donné son vrai nom) qui a accepté d’enseigner son savoir aux deux jeunes garçons. Mais s’il était visiblement plus résistant que son ami Mickael, l’intérêt d’Anton n’a pas survécu à l’enseignement aride professé par un charlatan métèque.

Notez que Willard pourra éventuellement décrire Nukpana, mais s’en tiendra aux faits marquants : un Indien au visage balafré, parlant beaucoup. Tout le reste pourrait être déformé par la méfiance naturelle de Willard envers les Indiens.

Dans l’atelier du peintre

Albert dispose d’un appartement au centre ville qui lui sert tout à la fois de garçonnière, d’atelier de peinture, et de lieu de rassemblement pour sa petite cour. Sans tenir du taudis, le lieu n’est pas du plus haut standing, mais avec ses trois pièces en enfilade dont une comportant une large verrière il convenait parfaitement aux prétentions de vie artistiques du jeune peintre. Et puis, l’eau et les latrines sur le pallier, après tout, ça n’est pas si mal pour l’époque.

Les PJs iront probablement s’enquérir auprès de Miss Thea Preiss, la concierge et logeuse de l’immeuble, une veuve quinquagénaire italienne maigrichonne et xénophobe qui ne cachera pas son désarroi concernant son locataire. “Un jeune homme raffiné et dont on sentait l’éducation, il payait toujours son loyer en main propre et avec la régularité d’une horloge. Par contre que dire de ses fréquentations pour le moins hétéroclites ?” Ont en effet fréquenté le lieu des galeristes bien habillés, des artistes dépenaillés, ainsi que des médiums de tout poil. Quelques séances de spiritisme ont d’ailleurs été organisées auxquelles il a fallu mettre le holà suite aux plaintes de voisins pour tapage en raison du va-et-vient occasionné à des heures indues. Enfin, la concierge ne manquera pas de mentionner avec dégoût qu’un métèque à la mine patibulaire venait de plus en plus souvent rendre visite à Monsieur Farrow. Pour elle, il ne fait aucun doute d’ailleurs que c’est cet Indien là qui a cambriolé l’appartement.

Les PJs apprendront ainsi que l’appartement a été “visité” le soir du 13 septembre, la concierge ne l’a pas vu elle même, mais elle en connaît l’histoire dans les moindres détails. Dans les faits, c’est Julia Wresko, la voisine de pallier d’Albert, qui a dérangé l’intrus. Ayant découvert la porte de l’appartement de son voisin entrouverte et n’entendant aucun son en émanant, elle y est entrée, non sans s’être dûment annoncée. Elle aurait alors été instantanément bousculée par un homme qu’elle décrit comme un Indien musculeux et de grande taille. La violence de la situation et son caractère traumatique empêchent une meilleure description que ce soit des vêtements ou des caractères faciaux du voleur. La gardienne ne tarira pas de médisances sur le compte de la police qui ne fait jamais rien, c’est bien connu, que de toucher des pots de vins des mafieux. Le fait est qu’après écoute du maigre témoignage de Wresko, la police a décidé de ne pas donner suite, en tous cas en attendant le dépôt de plainte du locataire de l’appartement fracturé. Pensez, ils ne se sont pas même donné la peine de poser les scellés...

De fait, les personnages se retrouveront devant une porte d’entrée à la serrure fracturée, et colmatée tant bien que mal par une concierge peu bricoleuse.

La première pièce, faisant office de cuisine et de salon est vraisemblablement la plus rangée de l’appartement. Le mobilier hétéroclite comporte quelques fauteuils et chaises ainsi qu’une table et un guéridon, mais aucun élément d’importance pour l’enquête. Ensuite vient la chambre à coucher, derrière une épaisse tenture de velours violet. Il y règne un désordre lié pour moité au caractère bohème de Farrow et pour moitié au récent cambriolage. Une fouille permettra de déceler quelques anomalies dans un scénario de cambriolage : l’argent liquide a disparu, mais pas les objets de valeur tels qu’une tabatière ou un coupe-papier en argent pourtant bien en évidence. La commode a été fouillée, les deux tiroirs du haut systématiquement retournés sur le lit où leur contenu est encore visible pèle mêle : papiers d’identité, lettres diverses et nécessaire d’écriture. Pour le reste, sous-vêtements épars et lit défait, ils sont plus certainement à mettre sur le compte de la discipline défaillante de l’artiste. Tout porte à croire que le cambrioleur a brutalement mis fin à sa fouille après avoir trouvé ce qu’il cherchait, en l’occurrence le carnet de voyage onirique que tenait l’artiste et qui a maintenant disparu. S’il avait continué sa fouille un peu plus longtemps d’ailleurs, le cambrioleur aurait aussi trouvé le petit sac bariolé aux motifs indiens contenant les champignons séchés vendus par Nukpana à Farrow pour lui permettre de “mieux rêver”. Le sac ne sera pas perdu pour tout le monde, puisque les investigateurs, ayant tout leur temps, ne manqueront certainement pas de le récupérer avec la substance organique inconnue qu’il contient.

Enfin, dans la troisième pièce, l’atelier, règne un désordre étudié. Pinceaux et peintures jonchent les deux tables dans le fond de la pièce, et sur trois chevalets se présentent les dernières toiles en cours de l’artiste, à première vue de la peinture dans les mêmes tons pastels de blanc, jaune, rose, vert et violet, chaotiquement étalée. De nombreux carnets de croquis et autres toiles sont entreposés contre les murs ou dans des reposoirs verticaux le long des murs. On y trouvera quelques croûtes achetées à des amis nécessiteux, mais principalement la production d’Albert, que l’on pourra classer chronologiquement en trois catégories.

Dans un premier temps, l’artiste semble avoir affirmé sa technique sur des sujets pompiers avec une nette préférence pour les paysages agricoles du Middlewest, avec profusion de granges et de bétail, ainsi que quelques descentes de croix et autres adorations de la Vierge.

Vient ensuite et sans transition une période courte où Albert affirme son intérêt pour le spiritisme et son rejet des vérités convenues du christianisme (on voit des fantômes et autres médiums vomissant des ectoplasmes). Ces scènes sont peu à peu remplacées par d’autres, plus mystérieuses, dans lesquelles le spectateur averti reconnaîtra des éléments du mythe (portraits de Gugs ?). Dans l’atelier on trouvera une dizaine de peintures de cette période à divers niveaux de finition, ainsi que de nombreux croquis préparatoires. Par contre, aucune trace du fameux “carnet de voyage onirique” évoqué par Lea McMurphy.

Enfin, la dernière période consiste en des abstractions colorées dans lesquelles l’artiste a tenté de représenter les aberrations chromatiques qui ont de plus en plus occulté son champ de vision dans les derniers mois.

Bien évidemment, chacune de ces périodes est encensée par divers galeristes mondains de l’entourage de l’artiste, parfois avec sincérité. Reginald Pidgwell, quant à lui, qualifierait tout cela de “crotte de bique”.

Les pistes sans substance

Les investigateurs pourraient être amenés à explorer des pistes plus proches de la famille Pidgwell, mais celles-ci n’apporteront qu’un intérêt très limité, permettant juste au Gardien de poser un peu plus une ambiance “famille riche”...

Du côté du manoir des Pidgwell, pas grand chose de plus à découvrir : les relations entre Selina et son frère peuvent être approfondies, tandis qu’Albert est dans une espèce de délire comateux, jetant sur ses visiteurs des regards tantôt perdus, tantôt affectueux.

Tout au plus les personnages pourront-ils apprendre que les Pidgwell ont été obligés de changer récemment de médecin. Le précédent, Jonathan Poll, pourtant un ami ancien de la famille et tout à fait digne de confiance, ayant décidé de démissionner et d’aller se reposer dans sa propriété en Floride, prétextant un surmenage. Le pauvre homme se plaignait depuis quelques jours de troubles de la vision, en particulier des altérations de couleurs. Le nouveau, Phillip Sahrinov, est davantage là pour constater l’état mental irrémédiable du jeune homme que pour le soigner. Il a simplement prescrit des soins palliatifs.

Selina pourra être poussée à avouer qu’elle fournissait encore fréquemment de l’argent à son fils (“je n’allais pas le laisser dans la misère, tout de même”). Si l’on évoque devant elle le mot “drogue”, elle fondra en larmes, soudainement persuadée d’avoir alimenté les habitudes destructrices de son Albert bien-aimé. Mais hormis torturer la brave dame, aucune nouvelle révélation ne viendra aider les personnages.

Enfin, interroger Loretta Franklin, la promise d’Albert, ne pourra que troubler les relations entre les deux familles : Loretta n’a croisé Albert que deux fois, de manière très conventionnelle, et avant même d’apprendre de la bouche de sa propre mère qu’un mariage entre eux se préparait. Guère amoureuse, mais soumise à la règle familiale, Loretta acceptait cette union de bonne grâce, mais beaucoup moins si les personnages laissent échapper des informations diplomatiquement empoisonnées.

Visions d’un autre monde

À partir de la nuit suivant la tentative d’assassinat d’Albert Farrow, les personnages sont “infectés” par les Eq’Netheryns. Les créatures très anciennes ont suivi avec avidité les nouveaux liens qui se sont formés dans les rêves du peintre, les conduisant tout droit aux investigateurs. Dès lors, ils sont “reliés” aux créatures et aux Contrées du Rêve. Au fur et à mesure que l’enquête avance, les Eq’Netheryns vont aspirer les rêves des personnages, et accentuer le lien qui les unit au monde onirique. Ces actions vont avoir des conséquences sur le “réel” tel qu’il est perçu par les investigateurs, et paradoxalement ces visions vont également apporter de nouveaux indices aux personnages.

La partie qui suit présente un exemple de gradation de visions, que le Gardien est libre d’agrémenter avec toute autre “anomalie” qu’il souhaite mettre en scène en rapport avec l’histoire. On peut essentiellement classer celles-ci en deux types :

Toutes ces expériences sont destinées à faire comprendre aux personnages que le temps presse et que quelque chose leur arrive (la même chose que ce qui est arrivé à Albert, cela pourra éventuellement être reconstitué à l’aide de témoignages). Il leur faudra impérativement trouver les sources du problème et trouver une solution... s'il y en a une !

Rencontre nocturne avec un clochard indien

Un soir, après le 14 septembre, les personnages se retrouvent dans la rue (par exemple en rentrant du vernissage) quand ils remarquent, au pied d’un lampadaire, un clochard indien vêtu d’une manière assez étrange : des vêtements de laine, démodés, sales et déchirés. Malgré l’éclat du lampadaire, il porte une sorte de lanterne et la lève à hauteur des yeux pour éclairer le visage des investigateurs.

“Qui êtes-vous, et que faites-vous ici” ? lance-t-il avec ce qui ressemble à de la peur dans la voix. “Vous êtes les gens du dessous ? Les créatures que j’entends rôder ? Je ne vous laisserai pas me dévorer ! Si vous approchez, je vous lance un mauvais sort !”.

Les personnages peuvent papoter un petit moment avec l’Indien, qui écoute avec méfiance leurs explications... son visage prend bientôt une expression de pitié et de tristesse. Puis il secoue la tête de dépit, quitte le halo lumineux du lampadaire et disparaît aussitôt, comme s’il n’avait jamais existé.

Les personnages auront quand même eu l’occasion de remarquer sur sa mâchoire une cicatrice qui prendra tout son sens plus loin dans le scénario.

Perte de SAN : 0/D3

Le coyote récurrent

À n’importe quel moment, les personnages vont retrouver sur leur chemin, toujours dans des endroits pauvres et isolés, un coyote au pelage miteux. À New York, la chose est évidemment étrange, mais pas horrible. Ce coyote semble se complaire à fouiller les ordures des ruelles, à détaler rapidement d’une poubelle ou à renifler le corps d’un clochard mort d’avoir trop consommé d’alcool frelaté.

Perte de SAN : 0

Des visions de cavernes et de ruines

Au travers de leurs rêves, les personnages vont avoir un aperçu de la zone de Sarnath. Visions de ruines, d’un lac tranquille, d’une île aux contours déchiquetés, mais aussi vision des cavernes dans lesquels le chamane a élu domicile, avec son content de dépouilles indiennes et de pétroglyphes chamaniques ainsi que la vision d’un grand aigle stylisé. On peut aussi imaginer que ces visions les prennent lorsqu’ils sont éveillés, par exemple dans un état altéré comme après un repas un peu trop arrosé ou dans une grande fatigue. Le fait de mélanger rêve et réalité peut motiver 0/D3 perte de SAN.

Des rêves bleus

Dès les premières nuits, les personnages vont faire des rêves plutôt apaisants dans lesquels ils se sentiront flotter dans ce qui semble être une large étendue d’eau. Bien que dans l'impossibilité de respirer, le rêveur ne ressent aucun sentiment d’oppression.

Au deuxième stade, ces rêves seront agrémentés de bouffées d’émotions fortes, sans origine particulière, et très éphémères (un sentiment de tristesse rapide, une colère aussitôt disparue, un amour quasi-extatique mais vite éteint, …). Les sensations pourraient même ressurgir en pleine de journée, au moment le plus absurde.

Enfin, le troisième stade agrémentera l’étendue d’eau de multiples corps de créatures monstrueuses et d’humains qui semblent s’abîmer vers le fond de l’eau, vers un destin horrible.

Perte de SAN : 0 au premier stade, 0/1 au second et 0/D3 au dernier stade.

Des visages connus

Les personnages se mettront à voir dans leurs rêves des visages familiers (amis, famille), ainsi que des visages oubliés depuis longtemps. Seul point commun : il ne s’agit que de personnes encore en vie.

Il est possible que durant la journée, les propriétaires de ces visages tentent de reprendre contact avec les investigateurs : ils ont en effet aussi rêvé d’eux, et cela leur a donné l’idée de leur proposer une invitation à dîner ou une rencontre. Pure coïncidence ?

En poussant plus loin, ces connaissances pourraient aussi annuler le rendez-vous prévu parce qu’ils souffrent de quelques désordres (problèmes de vue...) et le remettre à plus tard.

Perte de SAN : la perte de SAN est nulle mais devrait inquiéter les joueurs.

Un visage jaune

Un personnage en pleine discussion avec un PNJ constatera que le visage de ce dernier est jaune. D’un jaune vif. Citron. Mais il est le seul à le percevoir ainsi. Cet épisode donnera probablement des malus aux tests basés sur la communication avec ce personnage, et pourra être décliné avec d’autres couleurs vives pour d’autres personnages (un ciel constellé de cercles verts ? Une voiture rouge ? Des bouteilles remplies de liquides mauves ?).

Perte de SAN : 0/1

Anomalies dans les rues

Après quelques jours, les personnages vont commencer à voir les Contrées du Rêve (et plus particulièrement la zone autour de Sarnath) envahir par petites touches les rues de New York. Cet effet s’ajoutera épisodiquement aux moments de déformations colorées. Soudainement, la baie de New York se verra entourée de ruines (qui disparaîtront dans la brume quand les personnages tenteront de s’en approcher). Les parois des immeubles vont ressembler à la paroi d’une grotte humide. Il est même possible que la 53e rue fasse soudainement un angle et semble plonger vers les profondeurs (et les personnages risquent une surprise quand leur véhicule se retrouvera au bas d’un escalier menant à la cave d’un speakeasy)...

Perte de SAN : 0/D4 (et beaucoup d’ennuis avec d’éventuels témoins/policiers...)

Céphalées

Dès la quatrième jour, les personnages auront de terribles maux de tête qui ne cesseront de s’aggraver. En pratique, le gardien pourra décider de malus aux actions aux moments les plus inappropriés. La sensation est d’ailleurs assez curieuse : les personnages ont l’impression d’avoir un hameçon dans la tête et pourront repérer que la douleur ne se produit que lors de certains gestes. Par la suite, les personnages pourraient être amenés à ne pouvoir tourner que vers leur droite, ou ressentir des douleurs en allant dans une direction particulière seulement (évidemment l’endroit où ils souhaitent se rendre)...

Perte de SAN : 0/D4

Rêves de servitudes

Dans le stade (presque) final, si les personnages tardent trop à se rendre dans les Contrées du Rêve, les Eq’Netheryns auront suffisamment de contrôle sur les investigateurs pour les amener à effectuer certaines actions, à l’aide d’aiguillons de douleurs s’ils ne les exécutent pas. Ces actions doivent toujours amener une réponse émotionnelle forte (tuer quelqu’un, faire l’amour, se planter devant un tramway en approche et se jeter de côté au dernier moment, …). Le personnage a la désagréable impression d’être observé, d’être lui même spectateur.

Perte de SAN : 0/D6

Mauvaises fréquentations

Avec cette abondance d’indices pointant sur un mystérieux indien, les joueurs devraient naturellement penser à enquêter du côté de cette minorité ethnique. N’ayons pas peur des stéréotypes, le plus simple et le plus efficace reste d’aller voir du côté de ces chantiers titanesques de la Grande Pomme où les indiens trouvent naturellement de l’embauche dans les travaux acrobatiques pour lesquels ils sont réputés être naturellement doués. Sinon, le troquet proche du chantier reste une valeur sûre, tout comme les dortoirs que les marchands de sommeil leur louent à prix d’or.

Sur la piste de l’Indien

Les personnages disposent sans doute de différents éléments : un indien balafré, un sac tissé avec un motif spécifique... tout cela les mènera vers le chantier du Firmingham Building, et de là, vers un speakeasy situé dans la rue voisine, dans un sous-sol. Entrer dans le bar sobrement connu sous le nom “Chez Joe” (un contremaître indien qui fait des extra le soir) est facile. En sortir risque d’être plus délicat...

Les indiens ont de bonnes raison de se défier de l’”homme blanc”, aussi le contact sera-t-il systématiquement froid, pour ne pas dire glacial. Néanmoins, on trouvera toujours un individu plus prompt à briser la glace, peut-être contre quelques billets verts ou contre un verre d’alcool.

Le sac trouvé dans la garçonnière d’Albert Farrow sera immanquablement reconnu comme un “sac médecine” utilisé par les chamanes hopis, qui plus est, sa facture et les motifs sont typiques d’une tribu Chirikawa bien spécifique et dont les seuls membres présents à New York se sont rassemblés en “campement” dans un terrain vague, sur la 56e rue, site d’un futur building. Le nom d’un référent dans la communauté sera même rapidement lâché Honovi “chien noir” l’Indien, un membre de la même tribu que Nukpana.

Sur Nukpana lui même, les indiens sont peu diserts. On pourra apprendre qu’il travaillait sur les chantiers de construction, qu’il se tenait globalement à l’écart des gens, et en particulier de ceux de son peuple. Outre leur réticence à parler à des blancs, les indiens n’aiment simplement pas parler de Nukpana, qu’ils surnomment souvent “Coyote”, car l’individu leur fait peur. Peu d’entre eux peuvent se targuer d’avoir de réelles attaches avec leur culture ancestrale, mais ils restent indubitablement entachés de superstitions. Le père de Nukpana était réputé chamane très puissant, maîtrisant toutes les voies du rêve et de l’éveil, et son fils ne saurait être différent. À bien des égards d’ailleurs le déni de Coyote pour les traditions et son isolement contribuent à sa légende.

Dans ce contexte d’ailleurs, si les joueurs font mention d’avoir rencontré un coyote dans les rues de la ville, cela sera immanquablement interprété comme l’esprit totem de Coyote, très certainement pas un bon signe pour les investigateurs, et une bonne raison pour couper court à la conversation.

Rencontre avec Honovi

Le campement vers lesquels sont dirigés les personnages abrite certes des indiens, mais aussi une foule de laissés-pour-compte qui occupent un terrain vague en attendant que des travaux y soient lancés. Des planches et des tôles font office de cabanes et des détritus odorifères sont brûlés dans des bidons ou des feux de camp. Pour se réchauffer, de l’alcool frelaté est utilisé en abondance. Tout est sale, confus et hostile.

C’est donc dans une véritable cour des miracles que les personnages vont mettre les pieds, ce qui - compte tenu de leur niveau social - risque de donner lieu à des situations explosives. Essayez de rendre cette scène oppressante, dangereuse (sans pour autant mener les personnages à la mort) et incompréhensible (“ces gens ne réagissent pas comme nous”).

Il faudra que les investigateurs dosent avec prudence leur apparence, leur attitude et l’argent qu’ils emmènent. Si de plus, à ce stade, les hallucinations dont ils sont victimes s’accroissent, la scène peut véritablement devenir cauchemardesque.

Il est difficile de prévoir un fonctionnement optimal pour cette scène. Voici quelques exemples de méthodes pour parvenir jusqu’à Honovi :

Imposer le respect : il y a toujours une forte tête dans un groupe. Lui donner une leçon à coups de poings réglera sans doute la question, mais personne ne se bat à la loyale dans ce milieu. Et encore faut-il que les personnages en aient les moyens physiques !

Au terme de leurs tribulations, les personnages sont dirigés vers Honovi. Celui-ci, un peu à l’écart des autres “communautés”, qu’elles soient indiennes ou d’une autre origine, passe le plus clair de son temps libre à boire des tisanes allongées d’alcool dans une cabane sans la moindre décoration. Fonctionnelle, elle permet à peine d’accueillir trois personnes assises, mais Honovi préférera de toute façon mener la conversation à l’air libre, où il sera davantage libre de ses mouvements.

Rapidement, les personnages vont comprendre que l’indien, bâti comme une armoire qui aurait des muscles noueux, est plutôt hostile envers les hommes blancs. Il multipliera les provocations, et ceci d’autant plus qu’il aura vite compris que les personnages ont besoin de lui.

Il ne nie pas connaître l’homme que les investigateurs recherchent. Il leur en parlera avec assez peu de respect, pourra évoquer sa vie, ses origines, ses habitudes... Mais en aucun cas il ne donnera son adresse avant d’avoir pu raconter une histoire qu’il a lui-même entendu par le père de Nukpana.

Quand il raconte l’histoire, il s’assure que les personnages comprennent bien que celle-ci évoque les rapports entre les hommes blancs et les indiens. De ce point de vue là, Honovi a mal compris l’histoire que racontait Qaletaqa, car l’histoire est tout simplement celle de la chute de Sarnath...

Honovi estime avoir humilié les personnages blancs par cette histoire, et si les personnages montrent la moindre crainte ou de l’humilité, il acceptera alors, comme s’il faisait une offrande du sage au fou, de leur apprendre où loge Nukpana, son frère de tribu.

Il faut que les personnages gardent de cette rencontre une impression de malaise. Une partie de l’histoire prendra sens quand ils auront rejoint les contrées du rêve.

La chute des profanateurs
[ Légende indienne, interprétation du récit de la chute de Sarnath ]

”Il y avait un peuple qui vivait en paix dans l’adoration de son totem. Mais il y avait aussi une ville non loin qui jalousait cette paix. Un jour, les hommes de cette ville sont venus pour chasser et tuer ceux qu’ils jalousaient. Ils envoyèrent d’immenses armées, et les tuèrent tous, sans les toucher, car ils haïssaient jusqu’aux corps de leurs ennemis. Ils les massacrèrent à distance, et poussèrent les autres dans des lacs, les laissant se noyer. Puis, leur carnage abouti, ils rentrèrent chez eux et firent la fête, non sans avoir emporté avec eux le totem et du butin.

Ils firent la fête pendant mille ans, se glorifièrent de leur infamie, se servant du totem pour se rappeler de leur victoire. Et un jour, le totem disparut, mais personne ne s’en inquiéta. La fête continua, renouvelée chaque année, jusqu’à la millième. Alors le chef de la ville s’aperçut que le totem avait disparu, et que les eaux des lacs bouillaient. Il comprit que l’heure de payer était venue et mit fin à ses jours. Mais cela ne sauva pas la ville. Elle fut détruite en une nuit, et ceux qui ont fui n’ont jamais raconté ce qu’ils ont vécu. Ils perdirent tous la raison... Les fantômes de ceux qui furent tués cette nuit se relevèrent, et sortirent de la ville détruite à la suite de leur totem, pour rejoindre un autre monde.

Tel est le destin de ceux qui ne respectent pas les totems des autres et leur vie”.

L’antre du “chamane”

Sans doute déjà échaudés par leur rencontre avec les indiens, un milieu qui leur est peu naturel, les investigateurs vont devoir affronter un autre environnement hostile : Gashouse District. Situé à l’est de Manhattan, cette zone est un quartier essentiellement ouvrier, où les usines côtoient les immeubles de logements insalubres, et où les gangs sont rois. Les rues sont globalement sales et l’odeur ambiante surchargée de souffre et de suie.

Trouver la maison où loge Nukpana peut, pour un groupe en mal de sensations fortes, devoir passer par une négociation tendue avec quelques ouvriers au chômage maîtres du pâté de maisons, ou en fonction de l’heure et de l’ambiance, être simplement un mauvais moment à passer.

La logeuse, une femme vulgaire d’une quarantaine d’années, tombe sur les investigateurs comme la vérole sur le bas clergé. Elle se met immédiatement à se plaindre de tout, de la vie, de ses locataires, de New York, des “bonnes gens” et ne s’arrête que lorsqu’on lui tend quelques dollars qu’elle rangera promptement dans une poche de son tablier avant de reporter enfin son attention sur les désirs des visiteurs.

“L’Indien loge ici, c’est sûr”, concédera-t-elle rapidement. “C’t’un drôle d’oiseau, çui-là ! Toujours à déambuler, à rentrer à pas d’heure. Toujours seul. Oh, depuis quelques mois, y paye bien ses loyers chaque semaine et tout, mais quand même. Et puis, vous savez, l’autre soir, il est rentré complètement saoul. En tous cas, assez saoul pour se mettre à chanter et à bouger des meubles, à tel point qu’y a fallu frapper à sa porte pour qu’y s’calme ! J’l’ai pas vu depuis, ça fait bien une semaine.”

Elle ne prend pas trop de temps avant de se laisser convaincre de mener les investigateurs jusqu’à sa porte. Une puanteur assez horrible règne d’ailleurs sur le pallier. Personne, évidemment, ne répond aux coups sur la porte. La logeuse lâche périodiquement des jurons étouffés accompagnés de remarques sur l’odeur et l’hygiène des indiens, et comprendra bien après les investigateurs que l’odeur nauséabonde ne peut émaner que d’un cadavre.

Lorsque la porte s’ouvre enfin, les personnages peuvent jeter un œil sur un appartement misérable et petit. Le lit a été relevé contre un mur pour faire de la place. Au pied d’un mur couvert de petits dessins selon la forme générale d’une porte au sommet arrondi se trouve un corps en état de décomposition. À ses côtés se tient un coyote. Celui-ci émet un vague gémissement, regarde une dernière fois le cadavre puis se dirige vers le mur et y disparaît.

La logeuse se laisse peu perturber par le mort, mais la vue du coyote provoque son évanouissement, ce qui laisse quelques minutes aux personnages pour fouiller plus avant les lieux.

L’étude du carnet laisse apparaître une chronologie imparfaite des événements et pour cause: aucune des entrées n’est datée. Débutant par des notes sans intérêt sur le spiritisme et quelques expériences vécues, le carnet évoque une rencontre avec un indien lors d’une réunion publique sur le mysticisme amérindien. Son nom, rapidement abrégé en “N.” apparaît de nombreuse fois. Puis arrive une entrée particulièrement marquante : “C’était absolument prodigieux. Ces paysages n’ont nul équivalent dans notre monde. Ces pics, ces déserts sans fin. Ce ciel dans lequel flotte une lune gigantesque que l’on croirait pouvoir toucher. N. me dit qu’outre la poudre des rêves, il existe bien d’autres façons de s’y rendre, dont une qui ne permet aucun retour, mais qui assure que l’esprit continue à vivre là-bas, pour toujours. N. m’a beaucoup parlé de ce lieu, mais le découvrir aujourd’hui a été la chose la plus extraordinaire de ma vie. Et dire que je n’en ai eu qu’un pâle aperçu ! Il faut absolument que j’y retourne !”

S’ensuivent des esquisses, des exclamations. On tombera sur un dessin représentant une sorte de monticule hérissé de pointes, simplement annoté : “N. interdit d’aller ici”. Puis d’autres esquisses et des notes qui laissent penser que désormais, Albert Farrow se rend en ce lieu seul, et s’y promène librement.

Puis, les notes écrites disparaissent totalement, pour ne laisser la place qu’à des dessins, de plus en plus frénétiques. Ce n’est que sur la dernière page qu’Albert reprend sa plume pour écrire ce bref message : “Il avait raison”.

La lecture du carnet, en particulier des dernières pages frénétiques, occasionne à tout lecteur une perte de 1/d4 points de SAN. Un jet de Mythe de Cthulhu réussi permet de déterminer que le lieu évoqué dans le carnet ne peut être que les Contrées du Rêve.

II. Terres inconnues

Il faut espérer que les personnages aient compris que la source de leur problème se trouve dans un autre monde, accessible via des drogues ou des rituels indiens. Dans le cas contraire, leur déclin risque de continuer inexorablement. Si vous avez vraiment l’impression que les joueurs sont perdus, vous pouvez leur faire rencontrer une dernière fois Nukpana à New York.

Bien que découragé par l’échec de sa tentative de contention de l’épidémie, il encouragera les investigateurs à venir le rencontrer. Pour cela, il désignera les drogues à utiliser (la poudre verdâtre et amère trouvée à son domicile).

Le passage

La prise des drogues provoque une certaine somnolence et un abandon de soi. Le corps devient léger, l’esprit semble se dissocier, d'abord floue et troublée, la vision s’obscurcit. Après un temps indéterminé, les personnages se réveillent dans le monde du rêve. Notez que le temps s’y écoule de manière différente que dans le vrai monde : si des personnages décident de prendre les drogues de manière asynchrone “pour voir”, ils se réveilleront malgré tout de manière simultanée dans les Contrées du Rêve.

Le temps qu’ils pourront y passer est lui aussi aléatoire : les drogues agissent pour une durée fixe dans le monde réel, mais cela ne détermine pas forcément le temps exact passé dans le monde du rêve. En fait, si le gardien des arcanes le souhaite, les personnages pourraient même se réveiller et devoir y retourner une seconde fois pour achever leur travail. Le gardien peut ainsi “sauver” les personnages d’une situation périlleuse (mais au risque de ne pas pouvoir les convaincre d’y retourner !).

En raison de leur malédiction, les personnages ne se réveillent pas n’importe où dans les Contrées du Rêve : ils sont inexorablement attirés par la région de l’ancienne Sarnath, et en réalité ne peuvent s’éloigner de plus de deux lieues de l’Île Pointue où logent leurs futurs maîtres ! Tenter de s’éloigner provoque d’abord une impression de malaise, puis une douleur de plus en plus vive qui ne s’interrompt que quand le personnage devient inconscient (et perd à ce moment 1 point de Pouvoir et 5 points de santé mentale).

Aucune règle n’est fournie pour déterminer le moment où les personnages vont perdre leur volonté. Le gardien décide lui-même du rythme et de la pression qu’il souhaite mettre aux personnages, cela pouvant se traduire soit par des pertes de Pouvoir, soit par des actions étranges que les personnages sont amenés à faire. La perte de santé mentale qui en découle dépend également du gardien.

L’environnement que découvrent les personnages est l’abord d’un grand lac, entouré de marécages. Vers le sud se dessinent d’immenses montagnes aux pics acérés. Au nord, c’est par contre une plaine de plus en plus aride qui peut être vue depuis un point en altitude. Mais avoir une vision d’ensemble risque d’être assez difficile, car une brume verdâtre couvre presque en permanence la surface du lac, dont les eaux sont elles-mêmes d’un vert assez glauque.

Il est probable que les personnages vont commencer par errer le long du lac, à la recherche d’éléments. Vous pouvez y insérer dès à présent les rencontres issues du paragraphe “visions d’un autre monde” et qui permettront aux personnages de garder quelques liens avec New York et le monde de l’éveil... ces rencontres ne pourront que les encourager à tenter de trouver rapidement une solution à leur problème.

Rencontres à Sarnath

La région du Lac Sans Nom où voyagent les personnages est globalement désertée. Les abords du lac se partagent entre une vaste plaine rocailleuse au nord-est, des marécages nauséabonds au nord-ouest, et des collines incultes sur le reste du pourtour. Et si l’on peut encore deviner le tracé de l’antique route joignant Ilarnek au travers des plaines du nord, ils sont bien rares, les pèlerins amateurs d’histoires et de légendes à hanter les ruines maudites d’Ib et de Sarnath. Les personnages auront plus de chance de croiser le chemin des prisonniers des Eq’Netheryns, de quelques Gugs s’ils explorent les grottes souterraines au sud du lac sans nom, ou plus certainement encore, de rencontrer un Qwantheggua, cette race indigène vivant essentiellement de la pêche sur les bords du lac.

Des Qwanthegguas

Si à quelques mètres de distance, ces humanoïdes glabres à la peau caoutchouteuse et à l’allure dégingandée pourraient passer pour des êtres humains, à proximité leur non-humanité ne fait aucun doute. Maigres, osseux, maniérés à outrance, la pâleur extrême de leur pigmentation fait d’autant mieux ressortir la noirceur de leur langue et de leurs yeux sans blanc ni iris. Vivant par petits clans de quelques dizaine d’individus, ils habitent des villages sur pilotis ou bien des villages côtiers et se nourrissent principalement de la pêche. Ils se tiennent à bonne distance des lieux maudits comme de l’Île Pointue dont ils connaissent parfaitement la malédiction et le danger extrême.

Il n’est pas rare de rencontrer un petit groupe en excursion loin des abords du lac, à cueillir des plantes dans les marécages, à y chasser des oiseaux, ou bien encore dans les collines où ils piègent de petits rongeurs et autres insectes. Si les personnages ne les décèlent pas en premiers, il ne fait aucun doute que les Qwanthegguas provoqueront eux même la rencontre. Curieux de nature, ils ne résisteront pas à l’envie d’observer ces mystérieux étrangers arrivés récemment sur leur territoire. D’un naturel prudent ils tenteront certainement de se cacher, et resteront à bonne distance dans les premières étapes de la prise de contact. Une fois toute crainte de danger écartée, ils ne tarderont pas à se rapprocher et feront montre d’une hospitalité chaleureuse. Ce sera pour les personnages l’occasion d’en apprendre un peu plus sur la topographie des lieux, sur ses maigres ressources ainsi que ses dangers : l’Île Pointue et ceux qui y mangent les rêves, les collines et ses géants goinfrus, et parfois la nuit, ceux qui volent en hurlant qui enlèvent les enfants. Au détour d’une conversation, les personnages pourront en outre en apprendre un peu plus sur Nukpana. On leur indiquera la partie des collines où l’Indien a établi son campement, un lieu qu’on leur conseillera vivement d’éviter, car le Mal dont Nukpana est atteint est connu de tous : “son esprit est mangé lentement, et remplacé par la moisissure de l’âme”.

Au bon vouloir du gardien, la relation avec les Qwanthegguas peut s’éterniser un peu, on pourrait même imaginer que cela aille au delà du premier contact, avec leur accueil dans un village, une fête ensemble, qu'ils pactisent... Mais la fin est inéluctable. En effet, aussitôt que les autochtones décèleront le halo des harpons trahissant le mal dont les investigateurs sont atteints, ce sera la stupeur et l’effroi. De ce moment, plus aucune discussion ne sera possible. Après un mouvement de recul trahissant l’ampleur de leur épouvante, les autochtones masqueront leur face pour éviter que les personnages ne puissent se la rappeler (une vieille superstition ayant trait aux Eq’Netheryns), et prendront la fuite. Pacifiques et prudents, le but premier des Qwanthegguas est de tenir la menace à bonne distance, mais s’il faut en passer par là, et surtout, s’ils peuvent le faire sans se mettre eux-mêmes en danger, ils n’hésiteront pas à tuer.

Le bouche à oreille fonctionnant à plein, la mésaventure des personnages sera rapidement connue de l’intégralité de la petite communauté, et il ne sera plus possible de s’approcher de l’un d’entre eux. À proximité des villages il ne faut pas s’attendre à mieux que des jets de pierres et de lances, bien cachés derrière des huttes ou des paravents de roseaux. Il est en effet essentiel pour les autochtones d’empêcher les personnages de voir leurs visages, car dans leur croyance, ce souvenir transmis aux Eq’Netheryns signerait l’arrêt de mort de l’individu et très certainement de sa communauté. De fait, la mise à l’index des personnages s’étend à tous ceux qu’on suspecte d’avoir fraternisé ou passé trop de temps avec les étrangers. Ces derniers sont mis à mort sans pitié, et la plupart d’entre eux s’y soumettent d’ailleurs de leur plein gré pour soustraire leurs proches à la menace potentielle. Quant aux récalcitrants, ils pourraient bien suivre les investigateurs, ou les retrouver plus tard.

…Et si les personnages se liaient d’amitié avec un de ces serviables autochtones ?

C’est après tout chose aisée. Un tel PNJ pourrait ajouter du piment à la partie, en fournissant tout d’abord une aide précieuse par sa connaissance des arcanes de l’univers, puis un ressort dramatique par sa mise en danger ou son sacrifice face aux Gugs ou sur l’Île Pointue.

Quelques noms typiques : Gwongwan, Wagwym, Bwagqwym...

Des Gugs

Dans la région des collines, et principalement de nuit, les personnages peuvent croiser le chemin de l’un ou l’autre de la communauté Gug qui en infeste les souterrains. Rappelons le danger physique que constituent ces véritables géants dotés de quatre bras. Fort heureusement, leur apparence cauchemardesque n’inspire pas la confiance. Ils ne se hasardent que rarement en terrain découvert, mais constituent un véritable danger dans les galeries souterraines des collines.

…Et si les PJs rencontraient Nukpana dans une confrontation avec les dangereux Gugs

Les personnages pourraient avoir l’occasion d’aider l’Indien à échapper aux dangereux prédateurs, mais il est plus probable que ce soient l’inverse qui se produise. Après une course effrénée dans les tunnels et les grottes sombres et humides, poursuivis par les monstrueux bipèdes, les personnages s’engouffrent dans une galerie trop étroite pour leurs poursuivants. Le réduit finit vite en cul de sac, et les investigateurs se préparent à une longue attente, assiégés par les Gugs, quand un mystérieux Indien repousse les géants à l’aide d’une étrange amulette, un “sigle des anciens” qu’il a récupéré parmi les effets des disparus de la tribu de l’aigle (voir plus loin, ainsi que l’encadré sur la chute du grand aigle).

Des écorces vides

Enfin, les personnages auront très certainement l’occasion de rencontrer des "écorces vides”, terme par lequel les Qwanthegguas désignent les victimes des Eq’Netheryns complètement passés sous leur contrôle. Il n’est en effet pas rare de voir des individus isolés déambuler aux abords du lac, en toute liberté mais sans véritable but. À proximité du village, par contre, on aura plus de chance de tomber sur de véritables “patrouilles” contrôlées par les Eq’Netheryns. Ces dernières sont généralement composées d’une dizaine d’individus de tailles et de races disparates. Se mouvant dans une chorégraphie qui n’est pas sans rappeler une nuées d’oiseaux, ces groupes garantissent la sécurité de l’Île Pointue et permettent parfois de traquer de nouvelles victimes. Ainsi, s’ils détectent les investigateurs, leur premier réflexe sera de les encercler. Mais ils reconnaîtront très vite en eux des victimes en sursis, et reprendront leur route en laissant les personnages jouir de leur liberté précaire... En espérant qu’ils sèment la contagion dans les tribus voisines.

Le chamane en sa caverne

Que la rencontre ait lieu par hasard ou provoquée par l’une des deux parties, tôt ou tard les personnages feront face au chamane Nukpana.

Les tribulations du coyote

Arrivé il y a peu dans le monde des rêves, ce dernier a rapidement établi son campement dans le réseau de cavernes à quelques lieues au sud de l’ancienne Ib. L’endroit lui offre tout à la fois une relative sécurité vis à vis des hostiles Qwanthegguas et un point d’observation surplombant de loin le village des Eq’Netheryns. Qui plus est, dans ces galeries, l’Indien a trouvé des vestiges du passage des exilés de la tribu de l’aigle. Outre le réconfort moral que lui apportent les peintures rupestres de ses ancêtres, le réseau de grottes contient de nombreux ustensiles emportés par la tribu maudite dans son exil et laissés sur place certainement au cours de leur inexorable déchéance dans les limbes de l’oubli. Enfin, un autre avantage de cette situation géographique, et non des moindres, Nukpana a trouvé de l’”herbe du diable” dans les collines voisines, une plante dont il sait tirer une décoction qui renforce sa volonté et lui permet de ralentir de beaucoup, si ce n’est de stopper totalement, la progression de son mal.

Il ne le laissera vraisemblablement pas paraître, mais le demi-chamane est réconforté par l’arrivée des personnages. En effet, bien qu’il sache s'accommoder de la solitude, Nukpana apprécie la présence humaine, mais surtout et plus pragmatiquement l’Indien se sait arrivé à un cul-de-sac dont il compte sortir grâce à cette nouvelle main d’œuvre. Doué pour la manipulation dont il a fait son métier, il mélange habilement le faux au vrai pour amener les personnages à réaliser son plan.

Le plan de Nukpana

Plus versé que son frère de sang Honovi dans les savoirs magiques de son peuple, Nukpana a une meilleure connaissance de la légende de Sarnath, une connaissance qu’il a d’ailleurs pu approfondir dans son exil récent aux alentours de la cité en ruine. En particulier, il a saisi la dimension historique de la légende relatée aux investigateurs par Honovi (cf. encadré “la chute des profanateurs”) et l’a reliée au site géographique dont il est présentement prisonnier. Enfin, en reliant les deux légendes il a échafaudé un plan pour exterminer ses oppresseurs : faire appel au même être tout puissant qui a détruit Sarnath, Bokrug. Il va sans dire qu’aucun Indien respectueux des traditions et des déités, n’aurait même eu l’idée d’une telle solution, mais l’esprit occidentalisé de Nukpana ne connaît pas ces limites étriquées.

Il a donc mis au point une incantation qui a de grande chances de réveiller celui que son peuple appelle “le grand lézard rédempteur”, et il est persuadé que ce dernier ne restera pas insensible au sort de ses adorateurs dont une vingtaine encore traînent sur les berges de l’Île Pointue, sous la forme d’enveloppes vides asservies par les Eq’Netheryns. L’Indien redoute évidemment les dangers inhérents au réveil d’une déité, aussi gardait-il cette possibilité comme le plan de la dernière chance, or l’arrivée des investigateurs va lui permettre de déléguer l’incantation et ses dangers.

J’ai la solution à tous vos problèmes

Le plan expliqué aux personnages est très simple, il consiste à attirer l’attention du “grand lézard” sur ses serviteurs prisonniers. Pour cela il faut se rendre sur l’Île Pointue et y perpétrer le rituel à courte distance des dévoreurs de rêve. Quant aux dangers encourus, ils sont certes existants, mais Nukpana qui a eu le temps d’espionner le microcosme de l’île se veut rassurant. Les dévoreurs de rêve ne laissent personne approcher de l’île en dehors de leurs serviteurs et des écorces vides dont ils peuvent se servir à l’occasion. Leur état de victimes en sursis confère donc aux personnages un statut particulier qui leur permettrait d’accoster sans dommage. Il conviendra néanmoins de rester discret, toute activité trop ouvertement “intentionnelle” ne pouvant que paraître suspecte. On pourra aussi s’inquiéter à juste titre de la réaction de Bokrug, Nukpana pourrait arguer que le grand lézard ne saurait être que reconnaissant d’une telle intercession, mais peut-être ajoutera-t-il tout de même que dans le doute il vaudra mieux s’éclipser rapidement une fois les effets de l’incantation assurés. Enfin, Nukpana expliquera que de son côté il lui faut rester dans la “grotte de l’aigle”, qui s’avère un point d’énergie dans lequel, grâce à un second rituel, il compte collecter et amplifier un pouvoir qu’il transmettra aux personnages ; un mensonge habilement enrobé en grande partie grâce à sa pratique des milieux médiumnique. Enfin, si les personnages hésitent à accorder leur confiance à cet individu douteux, Nukpana n’hésitera pas à jouer les compréhensifs, à exposer ses faiblesses et sa “rouerie passée” pour finir par exposer et rappeler le danger qui pèse non seulement sur le peintre et ses proches, mais aussi sur les proches des personnages, et sur l’humanité toute entière.

Nukpana sait qu'il joue son va-tout sur ce coup précis, aussi est-t-il particulièrement prodigue de ses connaissances et de ses possessions. En particulier, il partagera sans sourciller ses dernières mesures de potion d’herbe du diable, les personnages ne lui seront d’aucune utilité si arrivés à destination ils étaient incapable de perpétrer le rituel car passés sous contrôle des dévoreurs. On pourrait aussi imaginer qu’étant à court de ladite potion, une première étape dans le plan du chamane consisterait à envoyer les personnages récolter cette plante rare afin de confectionner suffisamment d'élixir en prévision de la phase suivante.

Sur l’Île Pointue

Danger mortel, mais centre névralgique de toute cette histoire, le personnages ne manqueront pas d’observer cette île maudite sous toutes ses coutures, pour finir par l’explorer concrètement.

Une topographie de l’île

À une centaine de brasses du rivage, l’Île Pointue offre un profil déchiqueté, tout en dentelle de roche blanche sur fond de ciel azuréen. De hautes colonnades de concrétions minérales, aussi longues qu’étroites forment un lacis de rubans alvéolés définissant les murs d’un véritable labyrinthe. Quelquefois les gemmes emprisonnées dans la roche jouent avec la lueur du jour pour produire de magnifiques arcs-en-ciel prismatiques. Pas étonnant que l’artiste ait absolument souhaité se perdre dans les dédales de ce lieu onirique. Seul le versant de l’archipel donnant sur Sarnath se compose de ces méandres extrudés et coupants, particularité géologique que les Qwanthegguas attribuent au souffle vengeur de Bokrug. L’arrière de l’île, que l’on voit clairement depuis le repère de Nukpana, présente un aspect plus régulier avec un terre-plein surplombant le labyrinthe de pierre et s’enfonçant lentement dans la vastitude du lac. Quant au “village” des Eq’Netheryns, il se trouve dans une cuvette à l’aplomb du terre-plein, coincé entre cette falaise et le labyrinthe de roches coupantes. Depuis les collines on ne peut l’espionner que difficilement, à l’aide d’une lunette d’approche et uniquement par les trouées naturelles et autres crevasses du terre-plein.

Le repère des Eq’Netheryns

Le “village” à proprement parler comprend quelques cahutes de pierres sèches sous lesquelles les Eq’Netheryns protègent les servants dont ils n’ont pas usage. Eux-mêmes ne se déplacent pour ainsi dire jamais, si bien que la centaine d’individus peut être observée à toute heure de la journée se prélassant mollement au centre du village sous la clarté des astres. Les Eq’Netheryns n’ont pas une apparence effrayante, leur forme peut en effet être comparée à celle de gros oursins d’un mètre de haut environ, et arborant les couleurs sombres usuelles. Lorsqu’ils chassent ou qu’ils se nourrissent cependant, la coque de l’animal est agité de spasmes et devient lumineux et opalescent, cependant que ses épines s’animent et que ses boyaux sustentatoires deviennent apparents autour d’eux. Ce spectacle fascinant pourra coûter 0/1D4 points de SAN aux observateurs proprement hypnotisés. En dehors de leur mode de sustentation par “succion onirique”, les Eq’Netheryns ont la possibilité de contrôler chacun une à deux dizaines de ces “coquilles vides” qui les entourent. Contrairement à la connexion qui leur permet de se nourrir, la connexion de contrôle n’est possible que dans un rayon de quelques lieues au delà desquelles le “véhicule” échappe au contrôle et redevient une “écorce vide”. De fait, cependant que leurs congénères se reposent, une vingtaine d’oursins dévoreurs contrôlent en permanence trois cent “marionnettes” dont ils se servent pour effectuer les tâches de confort et des patrouilles qu’on peut rencontrer sur la berge du côté de Sarnath, où elles cherchent de nouvelles proies à capturer pour leurs maîtres. La grande majorité de ces patrouilles ont cependant lieu sur les pourtours de l’île, dont elles garantissent l’accès. Toutes leurs victimes ne sont de loin pas utilisées simultanément. En fait l’île comprend un millier d’”écorces vides” errant entre le labyrinthe de roche et le promontoire. Ces âmes perdues pourront être réquisitionnées au pied levé par les Eq’Netheryns en cas de danger majeur.

Des individus de races très disparates composent cette manne de marionnettes potentielles. On trouve quelques rêveurs humains négligeants ainsi que des membres de l’ancienne tribu du Grand Aigle, mais quelques races extraterrestres sont aussi représentées, ainsi que de nombreux Qwanthegguas, des anciens habitants de Sarnath, ainsi que d’autres de la plus ancienne Ib. Et pour chacun d’eux, avec un peu de pratique et le bon angle de vue, on peut déceler le dard onirique émanant du crâne. La différence entre individus contrôlés et “écorces vides” est frappante. En effet, les individus sous contrôle agissent dans une synchronie parfaite, un ballet efficace et concerté dénotant une intelligence commune. À l’inverse, pourvues uniquement de souvenirs à court terme et privées de toute attache émotionnelle, les écorces vides font montre d’un comportement erratique, lent, et dépourvu de logique ; mais le plus souvent ils ne font rien et restent prostrés des semaines dans une contemplation hébétée.

Approcher les Eq’Netheryns

Pour approcher du village des oursins, les personnages devront convaincre les patrouilles (et plus exactement leurs marionnettistes) qu’ils ne constituent pas une menace. Le dard éthéré qu’ils ont implanté dans le front, et la connexion afférente aux Eq’Netheryns constitue un sérieux avantage, mais encore faudra-t-il ne pas attirer l’attention et savoir jouer les “écorces vides” de manière satisfaisante.

Concrètement, seule la vingtaine d’oursins vampires éveillés présente une menace directe, et leur perception dépend uniquement et entièrement de celle des marionnettes qu’ils investissent. En clair, l’oursin connecté à Albert Farrow a une pleine connaissance du monde tel qu’actuellement perçu par le peintre, mais pour peu qu’il ne soit connecté à aucun véhicule à sa proximité, il n’aura aucun moyen de savoir ce qui l’entoure. Précisons que si les Eq’Netheryns peuvent tenter d’investir n'importe quelle conscience à laquelle ils sont connectés au travers de leur boyau éthéré, ils ont une nette préférence pour la facilité et choisiront généralement les véhicules présentant la plus faible volonté (VOL). Néanmoins, en cas de doute, par exemple s’ils ne sont pas convaincus par le comportement des personnages ils pourront tenter d’investir leur personnalité afin de les tester.

Un soupçon de technique

Afin de gérer les aspects techniques de la lutte de volonté opposant cette race très ancienne aux personnages et aux “marionnettes”, le gardien pourra appliquer les règles suivantes :

Duels magiques avec les Eq’Netheryn : les créatures appliquent deux types de duels de volonté afin de prendre contrôle de leur proie.

Duel sustentatoire : pour dévorer les rêves d’un individu, l’Eq’Netheryn doit réussir un duel de POU (le POU d'un Eq'Netheryn vaut 11+2D6, pour simplifier le gardien des arcanes peut ne considérer que la valeur moyenne de 18). Sur une réussite, la proie perd 1D4 points de POU en même temps qu’une partie de ses souvenirs.

Duel de contrôle : pour contrôler le corps d’un individu, l’Eq’Netheryn doit réussir un jet d’opposition de POU contre 2*POU de la cible. S’il est réussi, les entités prennent purement et simplement le contrôle de la proie. Dans le cas contraire, la proie ressent les effets de la tentative de contrôle et comprend les intentions du marionnettiste, elle peut au choix décider d’y céder ou, au prix de fortes douleurs de crâne, d’y résister.


La potion de volonté concoctée par Nukpana produit les effets suivants :

Au moment de l’ingestion, le buveur gagne D6 points de POU.

Cette volonté baisse ensuite d’un point toutes les demi-heures.

À l’issue de l’effet de la potion, l’investigateur perd un point de POU de manière définitive, ce qui traduit le phénomène d’accoutumance qui réduit à chaque fois l’effet de la potion et entraîne son consommateur vers la déchéance à plus ou moins long terme.

Dès qu’un individu boit deux fois la potion dans la même semaine, il devient dépendant. Il doit alors réussir trois jets de Volonté (une tentative par jour) afin d’être débarrassé de sa dépendance. Pour chaque échec, l’investigateur gagne un malus à toutes ses actions de 5%, cumulatif, jusqu’à ce qu’il soit sevré, ce qui est automatique après deux semaines d’abstinence forcée.

Et-si parmi les pantins qui hantent les reliefs de l’Île Pointue, les personnages reconnaissaient un de leurs proches ?

Il pourrait bien s’agir d’une vieille connaissance, un être cher depuis longtemps disparu dans des circonstances mystérieuses, Il pourrait encore s’agir du chamane Nukpana ayant fini par succomber au travail de sape des vampires echinomorphes, auquel cas les investigateurs pourraient bien tenter de soustraire leur allié à l’influence pernicieuse, si ce n’est par bonté d’âme, au moins pour lui arracher ses derniers secrets concernant le rituel. Si le mal n’est pas trop ancien, en sacrifiant quelques doses de la précieuse potion de volonté on peut espérer soustraire la victime à l’influence pernicieuse des oursins stellaires, mais dans tous les cas on pourra au moins tenter de sauver la personne physiquement en l’éloignant du cataclysme à prévoir à l’arrivée de Bokrug.

Visions d’un autre monde

En miroir aux visions oniriques dont ils ont été les victimes dans la première partie de cette enquête, dès lors qu’ils sont passés physiquement dans le monde des rêves les personnages vont être assaillis de “visions réelles”. Ce sont elles maintenant qui apparaissent fugacement à ceux qui, restés de l’autre côté, ouvrent le voile entre les mondes dans un moment de faiblesse ou de grande perception. Les âmes sensibles, les fous et les poètes sont capables par eux-mêmes de ressentir les défaillances dans la trame du rêve et d’avoir un aperçu de ce qui se cache au-delà, mais ces “visions” impliqueront plus vraisemblablement des individus contaminés par le vampirisme onirique des Eq’Netheryns ou en passe de l’être. Les premiers concernés par ce fléau seraient logiquement les proches d’Albert Farrow, telle que sa mère Selina, l’infirmière qui s’occupe actuellement de l’adolescent au manoir des Farrow, ou bien encore son environnement artistique : la galeriste Léa McMurphy ainsi que les comparses d’un temps (Anton Willard, Mickael Lonsbow et Paul Trebin). Mais on peut aussi imaginer que des personnages apparemment plus secondaires soient impliqués, comme Miss Thea Preiss, la revêche logeuse d’Albert. Les proches de Nukpana pourraient tout aussi bien être sujets à ces hallucinations. Qaletaqa, le propre père de Nukpana, semble particulièrement indiqué en raison des liens sentimentaux troubles mais forts qui les unissent. Qui plus est, Qaletaqa est un chamane confirmé, et de fait particulièrement à l’écoute des “réverbérations de l’univers souterrain” dans lequel il fait régulièrement des incursions psychiques. Le vieux chamane pourra s’avérer une aide précieuse pour les investigateurs égarés, ou à l’inverse, une menace mortelle s’il vient à comprendre le danger que les personnages représentent pour l’humanité. Pour finir, il n’est pas farfelu de penser que les proches des personnages commencent eux-même à subir les effets de la malédiction, et à en subir les “hallucinations”.

Quelques mises en scènes de rencontres

Au-delà du rêve

En dehors de ces brèves visions du monde réel qui leur sont offertes, les personnages auront peut-être l’occasion de faire des rencontres plus tangibles.

La manière dont ceux-ci auront franchi la barrière des rêves n’est pas un moindre mystère. Il en est d’autres, comme la promise d’Albert, pour lesquels l’explication est douteuse.

On peut encore imaginer que les Indiens hopis, à commencer par le propre père de Nukpana, ont pris conscience du danger et ont commencé à agir pour circonscrire la menace, en traquant les infectés et en les envoyant corporellement dans le monde des rêves. Il n’est pas exclu d’ailleurs que l’une ou l’autre de leurs victimes puissent témoigner de leur rapt et de leur passage traumatique dans le monde du rêve.

La vengeance de Bokrug

Aussi étonnant que cela puisse paraître, le plan de Nukpana est parfaitement valable, il comporte une bonne dose de risques pour les exécutants, mais ça n’en est pas moins la meilleure option de sortie de ce scénario. Pour l’exécuter, les personnages doivent commencer par apprendre par cœur l’incantation mise au point par Nukpana dans un sabir qu’ils ont peu de chance de connaître, et que Nukpana lui-même ne maîtrise pas. L’incantation en elle même n’a en fait que peu d’importance, car elle sert essentiellement de vecteur pour canaliser l’attention et l’intention des exécutants. Le Coyote en a conscience mais prudent et roublard, il n’en fait pas moins répéter ad nauseam le moindre mot à ses “élèves”, en insistant pour “inverser l’ordre des séquences de l’incantation afin de ne pas la déclencher lors des répétitions”.

Dans un second temps, les personnages doivent se rendre sur l’Île Pointue, afin d’y répéter le rituel à proximité du village des Eq’Netheryns, l’idée étant d’attirer l’attention du dieu sur le sort de ses derniers adorateurs de la cité d’Ib, présentement utilisés comme marionnettes par les oursins vampires. Se rendre incognito sur l’île constitue une première gageure, et mener à bien le rituel sans se faire remarquer en constitue sans conteste une seconde. Le promontoire derrière le village semble toutefois un lieu particulièrement indiqué pour la réalisation du projet : très proche du village, et suffisamment isolé et hors de vue.

Les personnages entament timidement leur litanie, mais passant par une gamme variée de sentiments allant du désespoir à la ferveur, ils finissent par chanter à tue-tête. Alors que la fatigue gagne leurs membres, les personnages commencent à sentir une odeur d’abord subtile, puis bientôt forte et musquée. Encouragés par ce semblant de résultat, ils se mettent à prier avec plus de ferveur encore cependant que les nuages commencent à défiler plus rapidement au-dessus de leurs têtes, prenant une teinte verdâtre. Enfin, des trouées apparaissent dans la voûte céleste, comme si les nuages étaient fendus par des griffes titanesques, et le vent inexistant jusque là se met à rugir, charriant avec lui des grincements inexplicables. Un vortex se creuse alors dans les nuages, et ce qui pourrait être un œil apparaît en son centre. Le vortex se referme, et les nuages continuent leur course folle tout en se densifiant et s’assombrissant, et soudain le vent tombe et les nuages se figent. Après quelques secondes de silence qui semblent durer des heures, un bruit cataclysmique se fait entendre dans le ciel, cependant que la chape de nuages maintenant solide se voit furieusement défoncée en plusieurs endroits. Enfin, le voile cède et une patte monstrueuse passe au travers, achevant de creuser un passage à coup de griffes, provoquant la chute de débris dans le lac. Une tête immense et monstrueuse fait alors son apparition dans la faille et achève la dislocation du ciel dans un fracas de crissements et de hurlements de basses (cette scène coûtera aux personnages les points de santé mentale liés à l’apparition de Bokrug - 0/1D8, tandis que le carnage surnaturel leur coûtera 0/d10 points de SAN).

Si les personnages n’ont pas quitté l’île à ce moment, il est peu probable qu’ils en réchappent maintenant. Le grand lézard descend du ciel avec les gestes lents et apparemment hésitants propres à tous les reptiles, mais sa progression est puissante et inéluctable. Du sol, on voit s’élever tout aussi lente et précise, une myriade de tubes multicolores. La dernière défense des Eq’Néthéryns, aussi inefficace contre le puissant Bokrug qu’une brise printanière, ploie contre le corps squameux sans même le ralentir un seul instant. Arrivé au sol avec une légèreté contredisant sa masse, le titan finit son œuvre en écrasant ses proies sous ses pattes cyclopéennes, occasionnant au passage des dégât colossaux aux reliefs de l’île et à ses habitants. Sa vengeance assouvie, le divin lézard reprend lentement la route des airs, se dressant sur sa queue qu’il étend au maximum, il s’empare des bords ravagés de l’orifice pratiqué dans la croûte des cieux, et dans une traction lente mais continue, traîne son corps de titan dans un silence profondément troublant. Alors que le ciel s’éclaircit, les nuages reprennent leur course et se dissipent lentement.

Quelques minutes à peine après la disparition du dieu on pourrait douter de la scène qui vient de se produire, mais les environs de Sarnath ont à jamais changé : le cœur de l’Île Pointue, ravagé, ressemble à un cratère; et l’Akurion (cf. Les Contrées du Rêve) jusque là sentinelle isolée, n’est plus le seul roc à se dresser dans l’onde du lac pour témoigner de la puissance de Bokrug. Quelques silhouettes égarées se dressent sur les reliefs tourmentés de l’Île Pointue ; écorces vides, pantins maintenant libres d’errer sans but jusqu’à la fin de leurs jours, et parmi eux, tous les représentants de la vieille race d’Ib, preuve s’il en fallait encore de l’omnipotence de leur déité.

Faire durer le plaisir

Allers retours entre rêve et réalité

N’oublions pas que, voyageant temporairement dans le monde des rêves par le truchement des substances du Coyote, les personnages peuvent aussi être sortis du rêve à tout moment, au bon vouloir du gardien. On peut imaginer qu’il leur faille alors travailler à reconstituer leur stock de narcotiques, ou qu’ils doivent se résoudre au sacrifice de leur être corporel pour opérer un passage physique dans le monde des rêves.

La chasse est ouverte

Il est probable que le père de Nukpana ait pris conscience de la menace en train de se propager. Quelles que soient les informations dont il dispose, il connaît la nature et le danger extrême lié aux Eq’Netheryns, aussi engage-t-il toutes les ressources possibles pour enquêter et éradiquer la menace. Or, fort de ses connaissances du passé, Qaletaqa connaît une unique solution au problème, une solution très simple d’ailleurs : traquer et abattre les infectés.

C’est ainsi qu’une poignée d’Indiens enquête à la fois dans le monde réel et dans le monde des rêves afin de découvrir et de cautériser les foyers d’infection.

Conscients de l’importance de leur mission, ces rédempteurs ne rechignent pas à la tâche, mais lorsqu’ils en ont l’opportunité, ils optent pour la solution plus respectueuse du point de vue de leur traditions, consistant à faire basculer leur cible physiquement dans le monde des rêves. Si du point de vue de la loi il s’agit toujours d’un meurtre, pour eux l’acte est anodin au regard du “grand aigle” puisque l’esprit de la victime “continue de voler”.

De fait, on pourrait imaginer que les personnages rencontrent l’une ou l’autre des connaissances d’Albert, kidnappée par de mystérieux malfaiteurs indiens, projetées sans explication dans le monde des rêves.

Épilogue

Après avoir erré dans les environs de Sarnath (du moins pour les personnages ayant survécu), les investigateurs vont disparaître les uns après les autres alors qu’ils quittent le monde des rêves pour se réveiller à New York. Difficile pour eux d’accepter ce qu’ils ont vécu comme étant la réalité, d’autant plus que la grande ville semble continuer à vivre comme si de rien n’était. Sans doute les personnages vont-ils passer du temps à voir les rues, à attendre de nouvelles manifestations surnaturelles ou débilitantes. Mais au bout de plusieurs heures, rattrapés par leur quotidien, ils pourront se rendre compte que la menace a bien été jugulée. Cette prise de conscience leur permettra de retrouver D20 points de SAN que le gardien peut moduler en fonction des décisions prises.

Il ne sera pas aisé de fournir une explication à Pidgwell que ce dernier peut accepter. Le mieux est de s’en tenir à un mélange de psychotropes et de la mauvaise influence des Indiens sur la jeunesse américaine, car le vieux magnat des finances n’acceptera aucune explication surnaturelle. Tenter de convaincre le riche oncle de Farrow ne fera que se l’aliéner un peu plus.

Albert Farrow ne retrouvera pas pour autant la raison. Pire : se rendant compte que son inspiration artistique est partie avec la destruction des Eq’Netheryns, le jeune homme ajoutera la dépression à ses maux et les personnages découvriront bientôt un entrefilet relatant le “suicide par pendaison d’un jeune artiste prometteur” dont la cote artistique va logiquement se mettre à grimper, pour le plus grand profit de Léa McMurphy.

Enfin, dans les jours qui suivent la conclusion de cette histoire, les personnages seront sans doute surpris d’être contactés par un nombre anormalement élevé d’amis, plus ou moins perdus de vue. Tous souriront de façon plus ou moins gênée en expliquant qu’ils ont rêvé du personnage et se sont dit que c’était une bonne occasion de reprendre contact. Amusant, non ?

Bientôt entraînés dans leur quotidien, les personnages laisseront derrière eux des souvenirs torturant, jusqu’à douter que tout ceci ait bien eu lieu.

Annexes

Chronologie

Août 1920 : Nukpana et Honovi arrivent à New York après avoir décidé d’abandonner leur tribu mourante. Ils cherchent du travail et s’engagent sur des chantiers. Nukpana se révèle peu adapté à cette vie laborieuse.

Janvier 1921 : Albert Farrow rencontre Mickael Lonsbow lors d’une fête et se trouve séduit par la vie de bohème que l’homme semble mener. Il décide de se lancer dans l’art.

Février 1921 : la situation familiale devenant tendue, Albert suit les conseils de Paul Trebin et trouve une garçonnière en ville avec l’aide de Léa McMurphy.

Mars-Mai 1921 : Albert expérimente la peinture, mais est aussi contaminé par la passion du spiritisme et de l’étrange.

3 Juin 1921 : Albert rencontre Nukpana en marge d’une réunion publique sur le mysticisme amérindien. Celui-ci flaire le pigeon et éblouit Albert de discours mystico-chamaniques pour s’attacher un “bienfaiteur”.

28 Juin 1921 : Nukpana initie Albert aux drogues et au voyage dans les Contrées du Rêve. Il avertit Albert au sujet des dangers de l’Île Pointue.

Juillet-Août 1921 : Albert peint et expérimente, se met bientôt à voyager seul. Nukpana profite de sa nouvelle et relative richesse. Reginald s’inquiète en raison des absences de plus en plus fréquentes de son neveu.

28 août 1921 : Albert s’approche trop de l’Île Pointue. Son esprit est happé par une des aiguilles des Eq’Netheryns.

3 septembre 1921 : Nukpana se rend compte qu’il est à son tour contaminé par les rêves d’Albert. Il panique et commence à réviser ses connaissances chamaniques.

3-10 septembre 1921 : Albert a sans doute sa période la plus riche. On ne le voit plus au manoir des Pidgwell. Léa McMurphy organise une exposition où figurent quelques-unes des œuvres produites.

11 septembre 1921 : Albert est retrouvé errant dans les rues de New York. La police le ramène auprès de son oncle. La folie a consumé partiellement son esprit.

13 septembre 1921 : Il est trop tard pour annuler le dîner/gala prévu chez les Pidgwell et où sont invités les investigateurs. Durant la soirée, Nukpana tente de tuer Albert Farrow avec une arme à feu. Les investigateurs rencontrent Albert pour la première fois.

14 septembre 1921 : Après deux nuits sans sommeil pour tenter - en vain - de limiter le risque de contamination, Nukpana décide de quitter le monde physique et traverse un portail vers les Contrées du Rêve.

16 septembre 1921 : Reginald Pidwell invite les investigateurs à visiter avec lui une exposition de peintures... Il leur exposera son problème et demandera officiellement de l’aide au groupe.

Rappel des noms

Nukpana Silver “le Coyote” : fils du chamane Qaletaqa “œil-du-ciel” d’une tribu appartenant au peuple des Hopis. Celui qui initie Albert Farrow aux voyages dans les Contrées du Rêve.

Qaletaqa “œil-du-ciel” : (n’apparaît pas physiquement dans cette histoire) chamane d’une tribu de Hopis à la réputation sans tâche et à la sagesse surhumaine. Son ombre plane sur le scénario en raison des rapports œdipiens avec son fils Nukpana, à qui il a eu le temps de transmettre une partie de son savoir, mais pas la sagesse qui doit y être liée.

Albert Farrow : fils de Selina Farrow (née Pidgwell) et de l’architecte décédé Mark Farrow, celui par qui toute cette affaire commence.

Selina Farrow : sœur effacée de Reginald Pidgwell, mère de notre personnage principal. Très attachée à son fils, elle lui passe tous ses caprices, au désespoir de son frère Reginald.

Reginald Pidgwell : riche banquier, préoccupé par l’avenir de sa famille dont Albert Farrow est un des derniers descendants mâles.

Emma Pidgwell : femme effacée de Réginald.

Loretta Franklin : promise d’Albert Farrow, fille d’un important homme d’affaire aux origines européennes, Trevor Franklin, également sénateur de l’État.

Jonathan Poll : médecin personnel des Pidgwell, parti se reposer en Floride.

Phillip Sahrinov : médecin remplaçant des Pidgwell.

Léa McMurphy : Galeriste et “amie” d’Albert Farrow. Elle le pousse à poursuivre son voyage dans les “arts”. C’est elle qui a “trouvé” le pied-à-terre downtown d’Albert.

Anton Willard, Mickael Lonsbow, Paul Trebin : entourage “artistique” d’Albert Farrow. Pourront être rencontrés à tout moment lors de la phase d’enquête à New York.

Ms Thea Preiss : Logeuse acariâtre d’Albert Farrow dans le “centre”.

Julia Wresko : Voisine à l’accent russe prononcé d’Albert.

Honovi l’Indien : Autre membre de la tribu des Hopis dont est originaire Nukpana avec qui il a rejoint New York. Haineux et revanchard, il déteste les hommes blancs pour qui il travaille désormais dans un chantier de gratte-ciel.

Hassun Bullet, Inteus Hat, Jolon Barefoot : autres Indiens qui peuvent être rencontrés “chez Joe”, un bar ethnique situé dans le sous-sol d’une ruelle du centre. Craignent et évitent Nukpana.

Officier Bird : agent municipal en charge de l’enquête sur le cambriolage chez Albert Farrow.

Erwyn Sibblurski : inspecteur de police qui sera chargé de l’enquête sur la mort de Nukpana.

Lehret Ti et son fils Hull : voyageurs rencontrés dans les Contrées du Rêve.

Eq’Netheryn : race ancienne vivant sur l’Île Pointue dans la région de Sarnath, au milieu de ruines antiques sculptées par le vent.

Bokrug : dieu ancien des Contrées du Rêve, adoré du peuple d’Ib, et destructeur de Sarnath.

Lieux

Manoir Pidwell : situé dans le Nord Queens, un grand domaine entouré d’un parc donnant une impression fausse de retour à la nature.

La garçonnière d’Albert Farrow : située dans la 25e à deux blocs de Madison Square.

La galerie McMurphy : située à l’angle de la 27e et de Madison Avenue, au deuxième étage d’un immeuble de quatre étages comprenant autrement des bureaux.

Chez Joe : bar improvisé dans un sous-sol de la 23e, à un bloc du chantier du Firmingham Building.

L’appartement de Nukpana : situé dans Gashouse District, un quartier mal famé au bout de la 22e.

L’Île Pointue : Une “île” entourée de deux bras d’une rivière desséchée. Elle est hérissée de ruines aux arêtes rendues coupantes par un vent chargé de sable. La rivière menait autrefois au lac de Sarnath avant le cataclysme.