Aide de Jeu


Pour : Tout univers


Auteur(s) :

Benjamin SCHWARZ

Illustrateurs(s) :

Cyco Polo

Benjamin SCHWARZ


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Eastenwest > 23 - De piquants et d'épines

L'oursin

A première vue et si on ne le regarde pas de trop près, un oursin ça a l'air juste con : un machin rond avec des piquants. On en a même peine à croire que ça a été classé parmi les animaux plutôt que parmi les plantes, voire pourquoi pas et tant qu'à y être, parmi les minéraux. Mais pour peu qu'on s'en rapproche un tantinet, ça devient d'une complexité inimaginable, une merveille d'ingénierie naturelle doublée d'un bijou de symétrie chaotique, un microcosme foisonnant à faire pâlir auteurs de science fiction et d'épouvantes. Approchons nous donc et extasions nous quelques instant devant les merveilles dévoilées de l'échinoderme.

Echinoderme, oui, c'est bien de ce dont il s'agit d'abord. « Ekhinos » hérisson, piquant; « Dermos » la peau. Une myriade de piquants rayonnent tout autour de l'animal et le protègent un peu des agressions, car l'oursin ne manque pas d'ennemis : Crabes, langoustes, mollusques, autres échinodermes, certains poissons même, ainsi que leurs lointains cousins étoiles de mers eux aussi pentaradiés. Mais n'anticipons pas. Les piquants donc, ramenés à leur diamètre, sont d'immenses pylônes de calcaire striés à la manière de gigantesques colonnes corinthiennes d'un temple cyclopéen. Au temps pour Lovecraft. Vaguement articulées, ces défenses peuvent être orientées dans le sens de la menace. S'ils avaient su que leur jointure tubercule-piquant inspirerait sa célèbre suspension hydraulique à monsieur Citroën, nul doute qu'ils l'auraient breveté. Mais voilà, les oursins sont laissés dans l'ignorance, c'est comme ça, on ne leur dit jamais rien. Revenons donc plutôt aux piquants. Sur un même oursin on en distingue de trois sortes, spirituellement appelés primaires, secondaires ou tertiaires suivant leur épaisseur respective. Leur taille, leur section et leur pointe diffèrent grandement d'une variété d'oursin à l'autre. Les « oursins crayons » (« Heterocentrotus mammillatus ») par exemple, présentent un petit nombre de piquants d'une taille et d'une section conséquente comparés aux « oursins diadèmes » (« Centrostephanus longispinus ») à la coquille plus petite et aux longs piquants effilés. Quant au venimeux « toxopneuste », plus poétiquement surnommé « fleur de mer » bien qu'il ressemble plus à une fleur de bain ventousée, il est tout simplement dépourvu de piquants.

On trouvera toutes ces espèces et bien d'autre encore -on en dénombre pas moins de 750- tant à Tahiti, qu'en mer rouge, en Égypte, en Bretagne ou dans nos belles calanques de Cassis. Ils ont littoralement colonisé les océans, et on les retrouve même jusque dans la froidure des mers australes. Point n'est cependant besoin d'aller chercher si loin ou si caricatural pour observer de saisissantes variations. Parmi nos voisins les plus connus : le trop fréquent « oursin violet » (« Paracentrotus lividus ») à la coquille verte ou rouge -suivant le sexe- et aux épines acérées et cassantes sur lesquelles tout jeune enfant a exercé ses petons de Proust, et son ami le placide « oursin émoussé » (« Sphaerechinus granularis ») aux couleurs hésitantes entre le blanc -symbole de pureté- et le violet millésimé d'un bordeaux bien tannique. Pudique en diable ce dernier se recouvre souvent l'anus de coquilles et autres algues à sa portée, à moins que ce ne soit là une mesure de camouflage pour parer à la petitesse de ses piquants balai-brosse.

En seconde instance, c'est la coquille qu'on remarque. Aussi appelée test, c'est une véritable armure de plates en dix quartiers de mandarine, dix plaques de calcaire soudées entre elles. La forme globale est ovoïde, aplatie aux pôles. Au périprocte -pôle supérieur- fleurit l'anus, en bas c'est le péristome au milieu duquel s'ouvre la bouche. Une parfaite « symétrie à cinq » sévit sur cet axe anus-bouche, sauf pour quelques variété rares et nocturne ayant opté pour une forme allongée de pantoufle... Ignorons les, nous risquerions de les encourager dans leurs penchants par trop contre nature.

A la manière de notre peau, le test abrite et protège les organes et la machinerie de l'animal. Tout y est pentaradié, c'est à dire symétrisé suivant cinq plans concourants sur l'axe de la vie sus-mentionné. En d'autres termes, coupez un oursin sur son équateur et vous obtiendrez un pentagone, ou un pentacle suivant ce que vous êtes enclin à y voir.

Au centre de ce dispositif : la lanterne d'Aristote, ainsi nommée parce que... euh parce que, et puis voilà tout... Il s'agit du mécanisme masticatoire de l'animal, dévolu à l'animation de cinq petites mâchoires pointues, rostre puissant à même de casser net même un pique d'oursin, et suffisamment dur pour entamer les roches friables qu'il racle pour extraire les algues dont il se délecte ou qu'il creuse pour se faire un abri. Ouverture étoilée au milieu de piquants, ce rostre puissant a toutes les caractéristiques méphitiques de la bouche d'un Chtonien. Il est relié à l'anus par un long tube en spirale, l'intestin, mais on ne s'en sert pas pour faire du saucisson. Outre ce long tube échappant à la logique de symétrie, la coquille contient cinq organes reproducteurs ainsi que cinq groupes ambulaculaires répartis par paire de plaques, pentamérie oblige. Ces derniers sont composés d'ambulacres, des poches musculaires réparties en feuillets et emplies d'eau destinées à l'échange avec le milieu extérieur, mais aussi à la locomotion. Non, l'oursin ne se propulse pas à l'instar de la seiche à grand coup de jet d'eau; pour se déplacer, lui utilise ses «podias», de long pieds rétractables à l'extrémité ventousée. Ces petites tiges, invisibles à l'état rétracté sont d'authentiques pieds hydroliques connectés aux ambulacres par des canaux traversant la coquille. Il suffit à l'oursin de contracter ses muscles ambulaculaires pour que l'eau injectée dans ses tiges les projette à une distance pouvant atteindre cent fois leur taille originelle, dépassant ainsi la taille des plus grands piquants. En s'arrimant au sol à l'aide de ses ventouses, l'animal se déplace par reptation, en réintégrant l'eau des tiges dans les ambulacres pour rétracter ses pieds. Et l'oursin se déplace plus qu'à son tour. Certaines variétés par exemple ne peuvent être observées que la nuit.

Coquille percée d'un anus et d'un rostre étoilé, piquants, tiges ventousées... Voilà déjà un beau merdier à la surface de l'oursin, mais ce n'est pas tout. Approchons nous encore un peu plus près. Sur la coquille, entre les piquants et les tiges « poussent » d'autres excroissances calcaires dépassant rarement le millimètre et souvent beaucoup plus petites : les pédicellaires. On ne sait pas bien à quoi cela sert. Nettoyer les piquants ? Brasser l'eau ? Pince à sucre (trois pour moi s'il vous plaît) ? Organe du toucher ? « Je-ne-sers-à-rien-et-je-fais-juste-joli » ? Le fait est qu'il y en a beaucoup et de forme variée. Gros ou petits, longs ou courts, généralement formés d'une tige souple ou rigide munie d'une tête en forme de pince, certains sont venimeux, pourvus de glandes et de crochets à venin. Il est même des variétés d'oursins dont le venin est mortel... Et tout ce beau monde, pics, tiges, pédicellaires, de s'agiter en permanence, de grouiller comme la place du marché un jour de grande braderie dans une ville surpeuplée. Et pour peu que nous nous rapprochions encore, nous pourrions apercevoir ces milliards de cils vibratiles qui, recouvrant la totalité de l'oursin, ne cessent de brasser l'eau pour en améliorer le renouvellement.

Évoquons pudiquement le mode de reproduction externe, les kyrielles de gamètes (au fait, avez vous plus de 18 ans ?) relâchées séparément par les individus des deux sexes et qui feront leur possible pour se rencontrer, se féconder, évoluer en un oeuf -plancton- qui, lorsqu'il ne sera pas dévoré donnera naissance à une larve. Elle même finira au bout de quelques mois par se sédentariser (home sweet home) dans le creux de quelque récif rocheux. Et un nouvel être de brouter paisiblement parmi ses semblables pour le plus grand plaisir des gourmets. En son temps, Apicius en était friand qui nous a laissé entre autre cette recette :

Tétines de truie farcies : On pile du poivre, du carvi, des oursins salés, on coud et on fait cuire ainsi. On mange avec de l'hallec et de la moutarde.

Et comme il semble improbable qu'on puisse jamais la réaliser, à supposer même qu'on ait le courage d'affronter le boucher sans rougir au moment de passer commande, la voilà dans son latin original et par la même plus poétique

Sumen plenum : Teritur piper, careum, echinus salsus, consuitur et sic coquitur. Manducatur cum allece, sinape.

A déclamer la bouche pleine, en l'honneur du grand cuisinier.

En résumé : l'oursin, c'est bien.