Scénario


Pour : Contemporain


Auteur(s) :

Mario HEIMBURGER

Illustrateurs(s) :

Elisabeth THIERY


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...pour Contemporain

...de type Scénario

...écrits par Mario HEIMBURGER

...illustrés par Elisabeth THIERY


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Eastenwest > 19 - Lieux de savoirs



Et la lumière fut...

Ce scénario légèrement humoristique est plutôt ambitieux : sans se rattacher à aucun univers connu, c'est un one-shot destiné à perturber les joueurs, et au passage à créer une nouvelle mythologie de la création. Le scénario utilise volontairement les (mauvais) réflexes des joueurs pour parvenir à son terme, et mélangera allègrement la réalité de la table de jeu avec l'imaginaire du scénario. Schizophrènes s'abstenir...

Un peu de travail d'imagination de la part du meneur est demandée, et une grande faculté d'improvisation. De plus, il vaut mieux bien connaître ses joueurs, leurs tics, leurs manies, histoire de profiter encore plus du parallèle entre le scénario et la vraie vie...

Synopsis

Les personnages sont des faiseurs de mondes : ils ont pour lourde tâche de créer des univers cohérents, et pour cela, sont formés dans une école spécialisée au sein d'une société parfaite. Ils manipulent des maquettes matricielles qu'ils portent en eux comme une mère porte un enfant, et qu'ils peuvent projeter devant eux quand ils " travaillent " dessus.

Mais dans cette école, les choses vont se mettre à déraper : des glissements de réalité vont se produire, et les personnages commenceront à croire qu'ils sont complètement fous ou que le meneur est un incapable. L'assassinat de Jacques Chirac et une attaque de dinosaures complètement impromptue vont accentuer la confusion.

Dès lors, ils se rendront compte que quelque chose ou quelqu'un agit sur la réalité. Découvrant leurs propres pouvoirs à ce sujet, ils pourront alors remonter la piste jusqu'à un de leurs anciens camarades. Celui-ci, autrefois élève prometteur, a découvert la vérité sur son maître : il est le créateur du monde des personnages, qu'il façonne et corrige jour après jour, altérant les imperfections du monde et formant des apprentis dans l'espoir qu'un jour, l'un d'entre eux trouve les recettes du monde parfait qu'il espérait créer, un monde dans lequel aucune intervention correctrice ne serait nécessaire.

Cet élève s'est emparé de la maquette tandis que le maître était occupé à résoudre certains problèmes, et a gommé son supérieur. Puis, il a commencé à réécrire le monde selon ses envies, en faisant de nombreuses erreurs.

Dans la confrontation finale, il utilisera ses pouvoirs pour détruire les " anomalies " qui ont découvert ses modifications les uns après les autres, mais grâce à son incompétence, les personnages pourront le tuer. S'ils font cette erreur toutefois, ils provoqueront la destruction de leur univers en même temps, et une nouvelle histoire commencera dans un univers définitivement privé de maîtres...

La question des règles

Quelles règles du jeu utiliser ? Je suggère franchement d'oublier tout système de simulation pour ce scénario. L'histoire n'a pas besoin de jets de dés, et c'est un excellent exercice à l'art du conteur. Récompensez plutôt l'imagination des joueurs plutôt que leurs capacités techniques. N'hésitez pas à les faire échouer si cela amène du suspense dans le scénario, et à l'inverse, ne leur compliquez pas inutilement la tâche. Ce qui compte, c'est l'histoire.

Cela soulève aussi la question des personnages joués... Là encore, inutile de se fatiguer : vous connaissez vos joueurs, faites-les jouer leur propre rôle, débarrassé de tout background professionnel ou culturel. Leurs personnages portent leurs prénoms, et gardent leurs caractères. Ce sera perturbant, mais le glissement entre la réalité et le jeu n'en sera que plus intéressant...

Au final, mettez toutes les chances de votre côté pour que cette partie soit mémorable et incomparable avec toute autre tentative de jeu. C'est ambitieux, mais pourquoi pas ?

 

Première partie : Etudes difficiles

Cette première partie installe le décor, certainement un peu bizarre pour les joueurs. Il est important que tous les personnages du scénario soient introduits dès ce moment, et que l'ambiance qui se dégage soit une ambiance d'insouciance, et finalement assez potache. Après tout, considérant que les personnages sont des apprentis, on peut faire un parallèle amusant avec la vie estudiantine à notre époque. L'humour est très présent dans cette première partie avec des caricatures, mais aussi des situations qui rappelleront peut-être du vécu à vos joueurs... et c'est bien normal.

L'Université

Vos personnages sont des étudiants, donc. Ils étudient en groupes relativement restreints au sein de l'Institut Universitaire des Faiseurs de Monde (IUFM). Cet établissement est situé dans la banlieue d'une petite bourgade d'allure médiévale, où la vie est paisible et insouciante. L'apprentissage de vos personnages consiste à créer des maquettes de mondes extrêmement détaillés, incluant toutes les dimensions, ainsi qu'habitants et vie sociale. L'objectif est de créer un ensemble harmonieux, autonome. Bref, c'est un peu comme créer un mécanisme d'horlogerie en s'assurant qu'une fois mis en place, plus rien ne sera à changer.

Si cette activité recèle un pouvoir immense (après tout, on " joue " avec des mondes imaginaires, on les voit évoluer, bouger, etc.), elle n'a aucun intérêt dans la vie réelle. De fait, la plupart des habitants du Monde considèrent ces étudiants et l'Institut en général comme une compagnie de doux rêveurs, artistes, un peu bohèmes, et les étudiants tentent généralement de faire honneur à cette réputation.

Le Monde en lui-même est très limité : outre l'Institut, on y trouve Bourgade (c'est le nom de la ville qui jouxte l'université), et plus loin, Capitale, dont on raconte souvent les fastes et la décadence avec des soupirs de désespoir ou d'envie.

Le reste du Monde n'est que Villages et Nature, et tout cela ressemble fort à un paradis. D'ailleurs, c'est un paradis. Aucune guerre n'a jamais secoué aucun emplacement, et pour cause, il n'y a pas d'opposition possible : Bourgade et Villages ont besoin de Capitale, et tous ont besoin de Nature. L'argent n'existe pas : chacun dispose de ce dont il a besoin, et tout le monde se contente de ce qu'il a.

Les seules rivalités connues sont celles qui ont lieu durant les périodes sportives, ou durant les études. Chacun trouve assez facilement sa place dans la société du Monde, et tout le monde est heureux.

Le cursus de formation se divise en trois années d'études. Dans chaque promotion, on compte une dizaine d'étudiants. Vos personnages sont actuellement en deuxième année. Ils s'amusent parfois gentiment des premières années, et ont quelques rivalités saines avec les troisièmes années, mais en règle générale, l'entente est facile. Les relations sont parfois plus tendues avec les professeurs : exigeants et sévères, ils imposent de nombreux exercices et épreuves complexes, et leurs cours ne sont pas toujours compréhensibles. Leur niveau élevé, et les recherches que les professeurs ne cessent de faire ne facilitent pas toujours la transmission de savoir, mais qu'importe : les étudiants doivent un peu souffrir.

Que deviennent les étudiants une fois leur diplôme obtenu ? Les moins bons ou les plus passionnés finissent en général eux-mêmes professeurs. Les autres vont souvent à Capitale, pour servir en tant que conseillers, régulateurs ou montreurs de mondes. Les conseillers disposent de toute l'étendue du savoir nécessaire à l'aplanissement de problèmes, les régulateurs ont de fortes compétences en harmonie (et peuvent ainsi clarifier de légers différends et égaliser les vies de plusieurs citoyens). Le spectacle des montreurs de monde, qui projettent hors d'eux-mêmes des pans d'histoire du monde qu'ils ont créé est très apprécié à tous les niveaux de la société.

Mais les études, si elles comprennent de bonnes parties de rigolade et de soirées étudiantes sont aussi assez complexes : le nombre de disciplines enseignées est élevé, et si la théorie est facile à intégrer, la pratique révèle des difficultés assez grandes. Beaucoup d'étudiants sont découragés dès la première année. Comment comprendre par exemple les principes " d'équilibre sociétaire ", de " vecteur directeur biologique ", " d'unité mathématique ", de " composition par bloc " et le concept abstrait de " peau d'oignon " qui permet d'obtenir ce que le fondateur de l'université appelle un " monde qui tient en équilibre sur le bout du petit doigt philosophique ".

Les personnages

Voici les personnages qu'il va vous falloir mettre en scène dans cette première partie bucolique, en commençant par l'équipe professorale.

Abraham Fiddlemeyer est le doyen de l'université. Son nom ne sera qu'évoqué, ou alors il fera partie d'un jury de passage ou de présentation de mémoire. L'homme en lui-même est assez effacé. Il ne donne plus de cours depuis longtemps, et gère administrativement l'ensemble. Il n'intervient jamais dans rien, mais on considère sa présence comme une valeur ajoutée. Physiquement, il est petit et son crâne chauve laisse apparaître des veines. Il a des dents jaunes un peu trop grandes pour sa bouche, mais sourit heureusement rarement.

Meribell Sawsonian est le (oui, c'est un homme) professeur d'unité mathématique. Son rôle est d'inventer et d'aller à fond dans différents modèles mathématiques, en montrant qu'avec de bons fondements, on peut aller très loin. Bref, en tant que chercheur en " systèmes mathématiques ", ses facultés d'abstractions sont telles qu'il se perd lui-même dans ses explications en trouvant ça logique et heureux ! Assez aimé des élèves, puisque pendant qu'il parle, on peut faire à peu près ce qu'on veut...

Bartholomew Beetlebeary : véritable tyran, Beetlebeary enseigne les principes d'équilibre social en faisant très attention à ne pas appliquer ses préceptes au sein des cours. Spécialiste de la discrimination entre les étudiants, il se choisit chaque année une tête de turc et le ridiculise régulièrement. Pas de bol, cette année, c'est tombé sur un des personnages...

Samson MacMallow : Eminence en matière de mathématiques concrètes, Samson est un individu énorme et bourru, mais à la douceur incroyable. Infiniment patient, il explique comment transformer des modèles mathématiques de son collègue en réalisation concrètes sur le plan de la physique et de la biologie. De fait, suite aux multiples questions des étudiants, il traduit le cours de Sawsonian et est donc en retard chronique sur le programme, obligeant les élèves avancés à " improviser " en création physique de leurs mondes...

Léonce Reuel : Enseignante en communication, Léonce est une vielle dame genre " grand-mère anglaise " qui explique à force de répétitions et de diction exagérée les fondements d'une communication entre êtres vivants. La partie la plus étrange est quand même le module basé sur la communication olfactive, dont tous les étudiants sortent avec un mal de tête terrible.

Alexander Winnypough : Maître de l'internat, Alexander est le garde-fou obligatoire des étudiants, pour les empêcher d'exagérer leurs fêtes ou leurs délires. Se promenant toujours avec Winnie, son ours domestique, il arpente l'université pour débusquer les élèves séchant les cours et assure le service d'ordre minimum.

Et maintenant, quelques élèves et autres personnages...

Norbert Apreville : camarade de promotion des personnages, Norbert est le prototype même de l'élève modèle et brillant. Son monde, un univers complet basé sur des éléments de " physique quantique " (un modèle déposé par lui-même) est un bijou de précision. Loin d'être parfait, il est équilibré et possède de nombreux niveaux d'abstractions. On dit qu'il a parsemé son monde de nombreux clins d'œil humoristiques (comme la présence dans un pays baptisé France d'un IUFM qui ferait tiquer les enseignants).

Ronald Reuel : Fils de Léonce, ce gros garçon de près de 130 kg fait office de fils à maman au sein de la promotion. Son monde est un univers complexe, où la généalogie et la filiation, ainsi que l'équilibre entre différentes races humanoïdes est très important. En moteur du monde, il a défini une essence du mal, et mis en avant le besoin chronique des habitants de s'unir et de subir des épreuves pour le vaincre et se dépasser. Son personnage de Gandalf est devenu emblématique d'une alternative à un dieu éthéré utilisé comme modèle jusqu'à présent. Cela dit, son monde est ambitieux, et il n'est pas évident qu'il parvienne à en achever les détails avant la troisième année...

Dorothy Beaulieu est la personne la plus convoitée de l'université, et pourtant, elle n'en fait pas réellement partie. C'est elle qui gère la cafétéria des étudiants, où tous viennent se reposer, réviser leurs cours et boire des boissons diverses. Depuis que Dorothy est là (cela fait un an, maintenant), la fréquentation est en hausse, et le niveau d'études en baisse. Il faut dire que mademoiselle Beaulieu est non seulement terriblement belle, mais en plus très gentille tout en gardant ses distances avec politesse et fermeté. Pour elle, les étudiants sont des extraterrestres, avec leurs désirs de perfection. Elle, par contre, n'affiche pas ce souci, puisqu'elle sort avec Antonin Murier, un des élèves les plus insignifiants de troisième année... Mais on pardonnerait tout aux beaux yeux de Dorothy et à ses souliers rouges si délicats, même ce terrible manque de goût.

Storyline suggérée

Alors, comment mettre en place cette première partie.

Tout d'abord, je suggère de plonger un joueur dans l'action tout de suite : prenez celui qui est fan d'un jeu médiéval fantastique que vous détestez (mais connaissez quand même un peu) ou d'un univers fantastique (évitez notre monde à nous). Imaginez que ce camarade vient de vous présenter ce monde, et que vous interprétez le jury composé de Beetlebeary, MacMallow et Fiddlemeyer (qui lui restera silencieux et en retrait).

Amusez-vous à démolir ce monde en soulignant son incohérence, ses déséquilibres, etc. " Prenons les dragons. Vous dites qu'ils étaient là au début, mais qu'il n'y en a plus. Pourtant, ils avaient l'air adaptés au monde, alors qu'est-ce qui les a détruits ? " Ou encore " bien, donc, le monde n'a pas évolué technologiquement depuis 500 ans, dans un environnement de guerre et de luttes de pouvoirs intestines ? Vous avez une explication ? " Bref, amusez-vous, car justement, Beetlebeary a pris le personnage pour sa bête noire de l'année...

Ce n'est qu'après cette épreuve que vous planterez le décor. Pour faciliter les choses, imaginons que chaque personnage porte le prénom de son joueur. Ils viennent de sortir de la présentation de la mi-année, destinée à débusquer les étudiants ayant choisi une mauvaise voie avant que n'arrive la fin de l'année et qu'il ne soit trop tard. Insistez sur le fait que la présence du doyen était assez exceptionnelle, et personne ne sait interpréter vers où la balance (entre le " méchant " Beetlebeary et le gentil MacMallow) va pencher.

Expliquez d'abord l'environnement, le rôle des personnages, la façon dont se déroulent les études, puis, si le cœur vous en dit, prenez encore un autre personnage, et laissez le développer les grandes lignes de son univers.

Durant l'après-midi, organisez l'un ou l'autre cours vous permettant de présenter les personnages enseignants, et profitez des pauses pour présenter la camaraderie entre étudiants et surtout, la cafétéria, où tout le monde va traîner avec plaisir, que ce soit pour jouer au tarot ou faire semblant de lire au bar.

Le soir venu, organisez donc une petite fête, ou une mauvaise blague des étudiants de troisième année, et faites intervenir le surveillant général.

Enfin, le lendemain matin se déroule une séance de travaux pratiques où vous allez pouvoir démystifier le fonctionnement de la création d'un monde.

Le cours se déroule dans une grande salle boisée qui évoquerait une bibliothèque universitaire vide de tout ouvrage. Les élèves ont chacun une zone à leur disposition. D'une simple décision de l'esprit, les personnages peuvent projeter dans une sphère " holographique " le monde sur lequel ils travaillent. La vérité, c'est que ce monde se trouve quelque part en eux (il fait partie d'eux) et qu'en le projetant ainsi, ils ne font que rendre plus simple le travail et permettent ainsi aux enseignants de suivre les évolutions et de donner des conseils.

Une fois projeté dans la zone, le personnage peut par simple usage de sa pensée produire des zooms le long de toutes les dimensions du monde (espace, temps, et d'autres pour les plus fêlés). Ils peuvent ainsi observer en temps réel les modifications du monde, et suivre des éléments résultant de décisions précédentes.

Une des parties les plus intéressantes, c'est la longueur de la ligne de temps : c'est en grande partie sur cela qu'est jugée la qualité du monde. S'il perd toute vie au bout de quelques millénaires, c'est qu'un choix malheureux a été fait. Jusqu'à présent, aucun monde n'a jamais été infini dans le temps, or, c'est précisément ce but que visent tous les chercheurs.

Peut-être que les personnages peuvent remarquer que lorsqu'ils changent un élément dans le passé, tout le monde se recalibre de lui-même. C'est aussi pour ça que peu d'entre eux peuvent accepter la notion de voyage dans le temps : cela amènerait des calculs imbriqués trop complexes, mais certains s'y sont essayés. Les habitants ne se rendent pas compte de ces changements : à tout moment, pour eux, il n'y a qu'une seule réalité. Même dans les univers parallèle, chaque créature a une perception unique. C'est une des règles immuables.

Tout cela constitue le quotidien des personnages... Terminez cette partie en laissant passer les jours à grande vitesse, en insistant sur l'insouciance, et passez à la partie suivante.

Seconde partie : les glissements

Cette seconde partie verra apparaître les " glissements ". C'est là que vous jouerez avec la partie elle-même pour tromper les joueurs. Pourquoi ? Parce que quelqu'un s'amuse à changer le passé du monde, d'abord légèrement, puis de plus en plus grossièrement. Les personnages ne voient pas ces changements, mais les joueurs vont les percevoir. Quant à vous, meneur, votre rôle est de faire l'innocent. " J'ai dit que MacMallow enseignait les maths appliquées ? J'ai du me tromper, attendez, je vérifie. Non, non, il enseigne les mathématiques simples ".

Ça passera un temps, mais pas très longtemps... alors, vous changerez d'attitude... ah oui, vous avez raison, comme c'est bizarre...

Bref, les changements minimes vont passer, mais il faudra bien que les joueurs se rendent compte que le scénario a réellement commencé.

Au fait, pourquoi les personnages vont-ils quand même se rendre compte de quelque chose ? Tout simplement parce que celui qui manipule le temps n'est pas encore très compétent !

Devenir maître plus vite

La présence du doyen Fiddlemeyer lors de la présentation des travaux des étudiants n'était évidemment pas tout à fait fortuite. Depuis la création de l'université, Fiddlemeyer est à la recherche de son successeur, quelqu'un qui aurait suffisamment de talent pour poursuivre son grand œuvre : créer un monde parfait qui n'aurait plus besoin de lui. Malheureusement, s'il est simple d'influer sur un élément physique, il est quasiment impossible de prévoir son évolution, et tous les mondes finissent par mourir.

Or, la présentation de l'univers de Norbert Apreville a beaucoup intrigué le doyen. Cette " terre " a un excellent potentiel, des perspectives énormes, et aucune réelle limite, pour le moment. On y trouve l'espoir qui fait moteur, les peurs qui gardent éveillés, l'amour qui tient tout ça ensemble. Bref, un astucieux mélange, et surtout, à une échelle bien plus vaste que le monde réel.

Mais bien sûr, le monde n'est réel que par convention. Il ne s'agit ni plus ni moins d'une maquette-monde créée par Fiddlemeyer. Qu'il ait choisi de se couler dans le monde lui-même, se soumettre au temps, aux aléas, aux lois immuables, est un mystère, mais Dieu (si dieu il y a) a choisi de vivre dans sa création, oubliant même ce qu'il y avait avant...

Aussi, en voyant la création de Norbert, Abraham Fiddlemeyer l'a convoqué pour le mettre dans la confidence. Jour après jour, il s'est entretenu avec l'étudiant, lui révélant naïvement ses espoirs et ses ambitions, ses pouvoirs et ses craintes... et l'une d'entre elles a fini par se réaliser. Car Norbert était ambitieux par nature. D'un naturel discret et studieux, il a inclus dans ses créations de nombreux vices comme la soif du pouvoir, la corruption de l'argent, l'implacabilité de la science...

Plus tard, on se demandera si Fiddlemeyer était au courant de sa prochaine mort... Objectivement, il était impossible qu'il ne le sache pas, puisqu'il pouvait à loisir observer l'avenir dans sa maquette. Sans doute a-t-il vu que sa fin était inéluctable, et les conséquences qu'elle allait entraîner... Mais en attendant, le problème est simple.

Norbert Apreville apprit que l'on pouvait s'échanger les maquettes monde, comme on s'échange une idée très complexe. Il but les paroles de son maître, et lorsqu'il crut en savoir assez, il abandonna sa propre maquette (une idée partant à la dérive) pour se concentrer sur celle de Fiddlemeyer. Quand il eut intégré la maquette de la réalité, il tua le doyen, en l'effaçant purement et simplement.

Dieu était mort. Le monde allait suivre...

Petits glissements

Dans un premier temps, les changements seront minimes. Non pas par leurs effets, mais par le glissement qu'ils vont occasionner. Ainsi, vous devrez en tant que meneur accepter que ces changements soient des erreurs de maîtrise. Des erreurs de débutants, bien sûr, mais voilà, ça arrive même aux meilleurs de se tromper.

Déjà, on pourra s'interroger sur Dorothy Baulieu. Quel rôle jouait-elle exactement ? Barmaid au foyer des étudiants ? Sûrement pas : ce rôle est tenu par Alexander Winnypough, et le foyer n'est plus du tout un endroit accueillant, d'ailleurs. Il y a un ours, maintenant, pour s'occuper de nettoyer les tables, et parfois, il s'approche un peu trop des verres des consommateurs pour qu'on y soit vraiment à l'aise. Non, non, Dorothy Baulieu, attendez, je vérifie. Ah, quel con : c'est un PNJ de la suite du scénario, désolé, je comprends pas.

Pareil pour l'inversion entre Sawsonian et MacMallow... C'est en fait le premier qui s'occupe des mathématiques appliquées, et le second qui traite les mathématiques de base. Evidemment. Comment, vous ne comprenez plus rien. Attendez, mettons les choses au point :

Sawsonian est le professeur de mathématiques appliquées ;

MacMallow est le professeur de mathématiques pures.

C'est bon, on est d'accord ?

Bon maintenant qu'on est bien calibrés, on peut tout aussi bien se relaxer en allant faire un tour dans les faubourgs de Capitale. Il suffit de prendre quelques chevaux, et en moins d'un quart d'heure, on se retrouve dans les troquets de la cité. Heureusement que l'IUFM n'est pas loin, parce que la fête en province n'a pas le même goût.

Comment ? l'IUFM est à côté de Bourgade ? Non, là, ça n'est pas possible. Vous n'imaginez quand même pas qu'une si grande université puisse être construite ailleurs qu'à la capitale ? Et pourquoi pas l'ENA à Strasbourg ? Non, je maintiens, vous avez dû mal entendre...

Bien sûr, ces glissements passeront d'autant mieux que vous les espacerez... Mais viendra forcément le moment où vous ne pourrez plus faire semblant. Il faudra bien alors avouer que le scénario est en train de vous échapper, et qu'il se passe des choses étranges... Et ce n'est pas la décadence qui va s'installer au fur et à mesure dans le Monde qui va arranger les choses.

Bienvenue, monsieur le président

Rien à voir avec la décadence, mais l'IUFM attend très bientôt une visite du président Jacques Chirac, en place depuis 1981. LA visite officielle est destinée à " soutenir l'image de marque d'une université du progrès ", et l'événement met toute l'école sens dessus dessous.

Les personnages seront eux-mêmes placés en avant. Ils ont été sélectionnés pour représenter les étudiants et montrer leur travail au président du Monde.

De fait, dès le lendemain, des dizaines d'officiers de sécurité en costume noir viennent prendre d'assaut l'université, interroger tout le monde, et fouiller les lieux. Les personnages sont rapidement interrogés, et on met au point la position exacte de chacun d'entre eux. Ils seront dans l'atelier, travaillant sur leur monde, pour présenter au président Chirac leurs créations. Ils ont bien sûr pour instruction de répondre poliment et brièvement à l'homme d'état, qui se contentera de serrer quelques mains et feindra de s'intéresser aux dragons et autres jedis de leurs créations respectives.

C'est vers le milieu de l'après-midi que le convoi présidentiel pénètrera dans l'enceinte de l'IUFM. Les personnages sont surpris de constater qu'ils sont accompagnés d'un autre élève qu'ils n'avaient jamais vu, et qui travaille avec concentration sur un monde qui ressemble à celui de Norbert. Cet étudiant ne leur adressera pas la parole, mais son âge anormalement avancé fera soupçonner une troisième année...

Lorsque le président Chirac entre dans l'atelier, les flashs crépitent : entouré d'une nuée de journalistes, il s'avance majestueusement sur le parquet ciré, flanqué de deux gardes du corps. Si vous savez imiter le président sans trop d'excès, faites-le. Vous n'êtes plus à ça près... Après quelques phrases purement politiques, Chirac passera d'un monde à l'autre, en félicitant le concepteur. Les joueurs ressentent une grande aura autour de ce personnage, quelque chose qui les intimide fortement, sans qu'ils sachent exactement pourquoi.

Puis, lorsque le président arrive au monde de l'intrus, quelque chose change brutalement. De la maquette du monde surgit soudainement un homme porteur d'un fusil qui fait immédiatement feu. L'étudiant part d'un rire de dément tandis que le président s'effondre. Les gardes du corps tentent d'emporter l'homme d'état agonisant, mais rien à faire : il mourra quelques instants plus tard. L'étudiant coupable est bien sûr immédiatement arrêté, et emporté. On apprendra plus tard que son nom est Lee Harvey Oswald, étudiant en troisième année d'IUFM...

L'institut sera fermé le lendemain... les personnages sont expulsés.

Folie ? Oui, sans aucun doute, et pourtant, cette scène est révélatrice de plusieurs éléments. Tout d'abord, le parasitage du monde réel par la maquette abandonnée de Norbert. Ensuite, l'absence de ce dernier (mais qui l'a remarqué ?). Enfin, et surtout, le fait que l'interaction entre une maquette-monde et la réalité est possible... et c'est sans doute l'aspect le plus dingue de tout cela. Des joueurs vraiment malins pourraient déjà en déduire que la réalité est faite d'une matière parallèle à celle des maquettes-mondes... Et des essais en ce sens indiqueront en effet que des éléments de la maquette peuvent sortir pour se mêler de la réalité.

Il se peut que les joueurs fassent de grandes séquences de hors sujet dans cette scène. Genre " 81 ? Mais non, c'était Mitterrand " ou encore " je croyais qu'Oswald avait tué Kennedy "... Croyez-le ou non : vos joueurs font du roleplay. Les personnages disent exactement ce que disent les joueurs. Faites-leur remarquer en faisant intervenir un PNJ pour relever leurs propos (" oui, Chirac, c'était en 95 ")... Il n'y a presque plus de différence entre le jeu et le scénario. Tout est lié... pour le meilleur ou pour le pire.

Some tyrannosaurus, please ?

Les personnages sont maintenant à la rue... rien d'autre à faire que d'aller s'installer à Capitale, trouver un logement, du travail... pas facile, quand le taux de chômage frôle les 10% et que les loyers sont au plus haut. Pas facile non plus quand il faut une fiche de paie pour avoir un appartement, et plus de trois mois de caution à verser... bref, la rue risque d'accueillir longuement les personnages.

Ils sont les derniers étudiants en date de l'IUFM, même pas diplômés... Franchement, qu'est-ce qu'ils espèrent ? S'ils ont compris qu'ils pouvaient utiliser la maquette pour agir sur le monde, ils risquent d'être déçus : toute chose qui sort de la maquette monde a une espérance de vie de quelques minutes. Détaché de l'individu dont elle est issue, la projection s'effiloche... Bref, s'il est possible de procéder à des changements, impossible de se construire un appartement pour la nuit.

C'est dans ce contexte, errants dans les rues de Capitale que les personnages vont devoir faire face à des tyrannosaures...

Vous avez vu Godzilla ? Vous aimez les films catastrophes ? Donnez-vous en à cœur joie : un groupe d'une trentaine de tyrannosaures envahit soudainement Capitale, provoquant des dégâts énormes. Le niveau de technologie médiévale de la cité ne permet pas de les repousser, et il n'y a pas de magie en ce monde...

Bref, à moins que les personnages n'interviennent, la cité et ses habitants sont condamnés, car les dinosaures agissent de manière totalement caricaturale, engloutissant toute viande se trouvant sur leur passage, détruisant les maisons de coups de queue ravageurs.

Autour des personnages, les gens meurent par centaines, ce qui n'était jamais arrivé dans ce monde utopique. Il faut intervenir au plus vite. Si jamais les joueurs ne sont pas assez rapides ou conscients, il suffit de donner l'exemple à l'aide d'un autre élève de l'IUFM (Ronald, par exemple) qui fera surgir de sa maquette un Gandalf plus en colère que jamais, projetant de gigantesques boules de feu hors de son monde...

C'est l'occasion pour les personnages de devenir les sauveurs du Monde, et de regagner un peu de leur statut perdu. C'est aussi maintenant, sous la pression de la foule libérée que les joueurs prendront conscience qu'on attend d'eux qu'ils sauvent réellement ce Monde en train de se perdre... Des ruines de Capitale émergent de nouveaux héros.

Troisième partie : la fin des mondes ?

À ce stade du scénario, les personnages devraient avoir compris que s'ils n'agissent pas très vite, le monde va être détruit. Déjà apparaissent la mort et les rancœurs, le déséquilibre devient la règle. Il faudra vite comprendre qui est le coupable, et le stopper. Mais comment ?

Un monde perdu

Où effectuer des recherches lorsqu'on sait que le monde change à chaque instant ? En fait, il est vraiment temps que les personnages s'aperçoivent que Norbert est manquant. Peut-être que Ronald Reuel pourra le leur signaler après le combat épique auquel il s'est associé ?

Norbert Apreville peut difficilement effectuer des modifications sur sa propre vie. En clair, il ne peut changer quoi que ce soit à ce qui l'a amené à devenir ce qu'il est. Il ignore que l'opération serait sans danger pour lui, puisqu'il est le " propriétaire " de la maquette, et ne veut prendre aucun risque. Aussi, le bâtiment de l'IUFM continue à exister, et son passé est aussi resté inchangé. C'est un bon endroit pour commencer une enquête, qui sera par ailleurs courte.

Dans le bâtiment vide, les personnages perçoivent des bruits bizarres provenant des appartements du doyen. À l'entrée, une petite plaque indique " Norbert Apreville, doyen ". L'intérieur n'est qu'un désordre indescriptible, où s'entassent pêle-mêle des objets provenant de la Terre (silex, épées, rayons lasers, maquettes de l'Enterprise, etc.). Le bruit, un chuintement parasité, provient d'un vieux poste de télévision qui semble fonctionner en autonome. On y voit un extrait de film, un homme, accroché sur une croix. La séquence tourne en boucle. Il répète " Père, père, pourquoi m'as-tu abandonné ? "

Une des pièces de l'appartement apporte également son lot de surprise. Il s'agit d'un sanctuaire dédié à une seule personne : Dorothy Baulieu. On y trouve ses adorables souliers rouges posés sur un autel, au milieu. Les murs sont tapissés de photographies diverses. Imaginez l'ensemble des photos de mannequins que vous connaissez, sauf qu'il s'agirait toujours de la même personne. Il y a des publicités, des photos de nu artistique, des photos de paparazzis... une pièce de dément. L'obsession de Norbert pour Dorothy semble avoir été incroyablement intense.

Cherchez la femme

Trouver Dorothy pourrait mener rapidement auprès de Norbert... tout puissant, il est évident qu'il a modifié le passé pour lui permettre d'accéder à la femme qu'il aime. Et effectivement, il est bien parvenu à l'épouser, mais les choses ne se passent pas aussi bien que prévu.

Propulsant la belle blonde au sommet des femmes les plus désirables du Monde, il a créé tous les outils de magnification nécessaires. La mode, les magazines, la photo... toutes ces notions ont imperceptiblement envahi la réalité. Et de grands panneaux affichent un peu partout les jambes interminables de Mme Apreville.

Le mélange entre cette société médiévale et les éléments les plus visibles des sociétés modernes est frappant, et contribue encore plus à la décadence ambiante. Le jeu de piste est cependant facile à suivre, du siège de Paris Mode à l'agence de mannequin Top models, les personnages finiront bien par apprendre que Dorothy Baulieu vit retirée, quelque part aux alentours de Bourgade, sur les rives du lac de Fiddlemeyer...

N'oubliez pas de montrer de plus en plus d'incursions du monde " réel " (entendez, la Terre, cette fois) dans le Monde. Rien de plus envahissant qu'une réalité qu'on souhaitait mettre de côté.

Après un trajet à travers la province, les personnages arrivent donc en vue d'une imposante villa. Entourée de paparazzi, entrer discrètement risque d'être difficile, mais étonnamment, il n'y a pas de gardes ni de service de sécurité. La villa en elle-même est luxueuse, mais il s'en dégage un silence inquiétant. Ancienne ferme rénovée, on y trouve, en plus du bâtiment d'habitation des écuries et une grande grange.

En entrant dans l'impressionnant patio, on ressentira une impression désagréable. Les personnages lèvent les yeux pour découvrir Dorothy Baulieu, pendue au lustre. Un escabeau renversé témoigne du suicide. Il ne reste plus grand-chose de la beauté d'antan. Epuisée par le regard des autres, vidée de sa personnalité, elle a progressivement sombré dans la dépression, avant de s'achever. Son mariage avec Norbert était une catastrophe : il n'aimait que son image, et pas la femme elle-même. De silences en disputes, le dernier lien qui unissait Dorothy au monde s'est rompu.

Assis dans un fauteuil, les yeux perdus dans le vague, Norbert est perdu dans ses pensées. Lorsqu'il prend conscience de la présence des personnages, il sourit faiblement, se lève, et s'éloigne en direction de la grange, saisissant au passage une bouteille d'un excellent whisky.

L'œuf ou la poule

Il est grand temps de terminer tout ceci et Norbert le sait. Pourtant, il n'accepte pas son échec. Il pense encore qu'il pourra tout sauver, que ce n'est qu'une question de temps, et d'expérience. Et il pense aussi que les personnages sont un danger pour ses projets, même s'il se souvient de leur amitié et des bons moments passés.

La première partie de la scène doit donc prendre la tournure de tristes retrouvailles. Tout en déambulant, Norbert explique ce qui s'est passé, ce qu'il a découvert. Il raconte ses espoirs, ses désirs. Il ne comprend pas pourquoi le monde qu'il a abandonné met tellement de temps à mourir. Il n'avait pas prévu que ce soit si compliqué à gérer et à contrôler...

Et puis, il annonce qu'il va bien falloir qu'il procède à des modifications. Une fois arrivé dans la grange, il projette devant lui la maquette-monde. En l'observant calmement, il zoome tantôt dans le passé, tantôt dans l'avenir... mais quel avenir ? Il semblerait que le monde tel qu'il est ne résistera pas plus de quelques instants, qu'il est aux portes de la destruction.

" Je crois que vous êtes des éléments perturbateurs : que quelqu'un sache que le monde puisse être modifié est un danger pour le tissu de la réalité. Un seul homme doit savoir, et c'était la leçon que Fiddlemeyer n'a pas eu le temps de m'apprendre. Pardonnez-moi, mes amis, mais je dois vous effacer ".

Et ce faisant, il commence par chercher dans la maquette les éléments qui constituent le passé des personnages. La maquette zoome sur des parents, des naissances, des situations, remontant au loin, dans des souvenirs presque oubliés.

S'ils n'agissent pas rapidement, le premier d'entre eux disparaît, et tous les autres personnages savent pertinemment qu'il n'a jamais existé. Faut-il accepter ce sort ? Faut-il accepter de disparaître à tout jamais, sans avoir eu aucune chance d'exister ? Ce sera aux personnages de choisir. Norbert continue imperturbablement son entreprise de destruction.

Les joueurs ont deux méthodes pour faire cesser tout cela. La première consiste à intervenir sur la maquette de Norbert pour contrer ses décisions. À vous de voir à quel point cela est difficile. La réussite en tous cas ne devrait pas être au rendez-vous : Norbert connaît mieux que tout le monde " son " monde. L'influence des autres faiseurs de monde y est limitée.

Non, il va falloir se résoudre à tuer, ou à être tué. Et tuer Norbert n'est pas très compliqué. Après tout, comment pourrait-il mieux se défendre que des dinosaures ou Jacques Chirac ?

Mais avec lui disparaît sa maquette... et au moment même où Norbert est détruit, la réalité s'en va avec lui. Toute idée non partagée meurt avec son propriétaire. Et le propriétaire, né de sa propre idée, disparaît à tout jamais.

Conclusion

Lorsque Norbert tombe, le silence se fait autour de la table de jeu. Vous vous reculez dans votre fauteuil, perdu dans des souvenirs qu'il a été fatiguant de se rappeler. Autour de vous sont assis vos camarades d'antan. Par un énorme effort de volonté, vous avez fait renaître ceux qui ont été détruits, démontrant par là même la supériorité de l'esprit sur la réalité. Combien de temps existeront-ils, une fois sortis de chez vous ?

Vous souriez, pensant à ce qu'ils sont devenus aujourd'hui, à ce qu'ils ont oublié. Une fois toute réalité détruite, un seul monde restait. Celui qui avait été abandonné de tout dieu. Ce monde a happé toutes les idées qui traînaient, les a intégrées en lui-même. Car c'était un autre secret que Fiddlemeyer a oublié de transmettre : un monde auquel on rend sa liberté survit même à son créateur. Sans doute connaissait-il la conséquence de sa mort. Sans doute savait-il que la véritable richesse d'un monde, c'est de se suffire à lui-même.

En soupirant, vous vous levez, la soirée est déjà largement entamée. Vous observez les dés posés sur la table, qui n'ont pas servi, ou si peu. Il y a de l'ironie dans le monde : vos amis d'antan, vos amis de l'IUFM, sont devenus aujourd'hui encore des Faiseurs de Monde. Des joueurs de rôles, qui par un étrange hasard, une fusion subtile, ont réussi à intégrer leurs mondes dans celui qui était désormais le nôtre. Et qui sait, quand la Terre aura disparu, et ses milliards d'années d'histoire avec lui, peut-être que ces mondes abandonnés continueront de vivre... Les prochaines parties le détermineront peut-être.