Aide de Jeu


Pour : Tout univers


Auteur(s) :

Pascal RIVIERE

Illustrateurs(s) :

Elisabeth THIERY


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Eastenwest > 18 - L'art de la guerre



Les figures imaginaires du guerrier

Cette aide de jeu présente diverses images du guerrier. Elle est construite, en partie, sur une application des travaux d'un sociologue et historien allemand, Norbert Elias, auteur de petits ouvrages souvent amusants sur l'évolution historique des mœurs, de la violence, de la place sociale du militaire et du pollissage des mœurs . Elle vise à la fois à vous divertir et à servir d'instrument de jeu permettant d'appréhender et d'exploiter la place du guerrier dans les jeux basés sur l'imaginaire - et accessoirement de tenter de renouveler cette figure archétypée en témoignant de son extrême diversité.

 

Les univers de jeu se placent généralement sur un axe historique : Moyen Âge historique (Aquelarre) ou fantastique (DD, L5R), Renaissance (Warhammer, Agone), Âge Classique (Mousquetaires de l'Ombre, Pavillon Noir), Âges Modernes et Contemporains (Delta Green, Vampire), futur proche (Shadowrun, Cops) ou science-fiction (Fading Suns). L'image, voire l'imaginaire du guerrier, est marquée par le stade historique présenté par ces univers. La variation des manières de jouer un guerrier est transformée par leur contexte historique. Derrière cette analyse banale, se cache des possibilités de jeux diversifiées et enrichissantes. On conviendra notamment qu'une réflexion ludique portée sur ce thème n'est pas inopportune, la place du guerrier étant centrale dans la pratique et dans les imaginaires du jeu de rôle. De même, j'essayerai de balayer un espace aussi large que possible pour présenter le plus de variantes possibles afin de vous aider à renouveler un genre de personnage terriblement usité - et usé, parfois. À cet effet, cet article atypique vous fera côtoyer aussi bien Shakespeare et Choderlos de Laclos que les univers manga ou DD.

Suivons l'axe historique présenté plus haut : le guerrier barbare a pour charge la défense du territoire tribal. Il est attaché à la défense du village. Le guerrier médiéval est témoin de la constitution d'un corps militaire élargi et uni derrière la figure d'un suzerain. On peut parler d'une institutionnalisation ; le corps militaire institué impose une domination physique et idéologique, justifiée religieusement par l'idée selon laquelle ce système de classes sociales rigide est un ordre social similaire à l'ordre du monde créé par Dieu. Le guerrier de l'Âge Classique est marqué par la civilisation des mœurs, par la société de cours. La noblesse, décidément trop turbulente, trop frondeuse, est contrôlée par le souverain. La violence du guerrier classique est circonscrite au profit du roi et de la nation. Disons que le militaire moderne (19e-20e) se caractérise par la création du corps armé, affilié à l'état de la république ou de la démocratie monarchique : c'est l'ère du colonialisme et des grandes guerres entre états. L'âge contemporain et futuriste présente une société duale qui met en confrontation deux modèles : l'individualisme et l'éclatement des institutions pour une part, et le corporatisme - voire le néo-féodalisme - de l'autre. Le guerrier contemporain et futuriste est un mercenaire solitaire multipliant et abandonnant ses allégeances provisoires.

Voici pour les grandes lignes directrices. Chacun de ces modèles présente différentes variations dont nous n'avons pas la possibilité de faire le tour mais dont quelques modèles en particulier présentent un intérêt pour la gestation de vos prochains personnages.

Gardez en mémoire que, contre l'idée fausse selon laquelle le guerrier est un personnage simple, voire simpliste, il est possible de lui donner de la dimension en croisant plusieurs des catégories qui vont être décrites ou que vous avez observées ou en jouant avec les contradictions, les dilemmes, les retournements de perspective. Ainsi, par exemple, l'ancien général, bourreau sanguinaire, prend le parti du peuple (ex : Elric le Melnibonéen) ou au contraire le guerrier populaire et solitaire s'implique dans le combat (ex. : Han Solo dans Star Wars : A New Hope lors de la première bataille de l'Etoile Noire intervient, agrandi par sa rencontre avec Luke et motivé peut-être par un amour naissant et refoulé pour la princesse Leia).

Le protecteur tribal assure la survie de la tribu dont il est l'homme fort et combatif. Il défend la vie et le territoire contre l'ennemi extérieur, présenté sous deux figures complémentaires : l'envahisseur et le monstre. Mais il agit également à l'encontre des divisions internes opposant clans et familles. Pour lui et pour les hommes et les femmes du clan, le vaste monde regorge de menaces, et ce monde mystérieux et menaçant entoure la petite unité géographique dans laquelle vivent des personnages ignorants des horreurs qui, traversant le monde, pourraient jaillir chez eux. La prédominance des monstres et des bêtes marque une ère historique fantastique où le guerrier lutte contre la nature et contre ses dangers bestiaux. La perspective animiste stipule que les esprits maléfiques sont susceptibles de s'incarner dans la chair bestiale. Mais cet âge est aussi le temps de la fondation du monde, il est concomitant avec celui des dieux. C'est donc l'âge où sont croisées la figure du guerrier et celle du héros mythologique, ce " personnage qui sans être un dieu (il est censé avoir vécu), est au-dessus de la condition humaine. Il incarne certains idéaux sociaux et joue un grand rôle dans la mythologie de nombreux peuples. Il est souvent supposé avoir guidé la population à son territoire ".

Le héros a donc une dimension mythologique et messianique. Même si le héros messianique n'est pas un guerrier, mais un visionnaire et un guide spirituel, il est souvent associé au guerrier. Ainsi, par exemple, dans le roman Les derniers hommes de Pierre Bordage (voir notre critique), Solman, leader boiteux et maladif mais visionnaire, est aidé dans son entreprise par Moram et Wolf, deux figures particulières du guerrier.

Le guerrier sauvage est en communion avec la nature mystique du monde. Guerrier celte ou nordique vouant un culte aux dieux de la guerre, guerrier indien adorant l'esprit du monde, il a un rapport au monde agonistique : il se confronte au combat et à la mort en dépassant sa peur, dans l'exultation de l'exercice de sa force, animé par un violent désir de domination et d'affirmation virile. Jouer le barbare est apprécié en ce que cet acte constitue un excellent moyen de se défouler - soit de casser les processus psychologiques et sociaux modernes de la répression de la violence, sur un espace et dans un temps - ceux du jeu - qui tolèrent ce déchargement. Un risque évident se pose toutefois dans le cas où un joueur immature dépasse les bornes, exerce une violence gratuite, démolit la solidarité du groupe ou justifie l'exercice de l'asservissement d'autrui. Pour éviter cela, je conseille au joueur intéressé par ce type de personnage d'introduire nécessairement une dose d'autodérision et d'humour - façon " je suis costaud mais un peu con, même si j'ai finalement bon cœur ". On obtiendra un personnage un peu " grand frère protecteur mais faut pas me chier dans les bottes ".

Une variante féminine devrait assurer le même type de plaisir pour une joueuse ayant ras le bol d'incarner la jeune princesse éthérée, la secrétaire du détective ou la sorcière mystérieuse (qui a pas assez de points de vie et qui tombe au premier combat, aménageant malgré elle des conditions favorables au macho de la table pour lui sauver la mise). À mon avis, jouer une barbare constitue presque un acte de féminisme - et personnellement j'adore voir une barbare casser du gros con " bodybuildé ".

Le chevalier médiéval est une figure tellement archétypée, usitée et usée qu'elle me sort par les trous de nez. Débrouillez-vous... Bol, remarquons tout de même que le personnage du chevalier dispose d'une échelle d'attitudes qui vont du chevalier blanc, vertueux et courtois (figure historique peu probable...) au seigneur tyrannique et haïssable qui terrorise ses gens. Essentiellement, le chevalier est à la fois un homme de pouvoir - servant à la cour, sur un terrain de négociation ou à la guerre son seigneur - et un individu en quête d'un idéal - comportemental ou religieux. Ces deux forces, entrant en contradiction, confèrent sa teneur à ce personnage. Parmi les chevaliers, le fils du roi ou du seigneur est une figure intéressante : comparé à son père, qui est-il ? Sera-t-il digne de prendre le flambeau d'un roi courageux et aimé ? Ou sera-t-il parricide, traître allié à l'adversaire ou au mal ? Rejette-t-il les codes sociaux des puissants, préférant, par exemple, les lettres - comme Agone de Rocheronde ?

Le soudard médiéval présente une figure plus amusante : ripailleur, voleur, violeur - de temps en temps -, c'est un salaud, ou peut-être finalement un dur-à-cuir qui révèle une certaine humanité. Puant, mal rasé, ivre, il semble de rien : en réalité, s'il a l'étoffe d'un Falstaff, il regarde les grands se déchirer, témoigne des malheurs des petits, pleure sur le corps du jeune prince assassiné, et devient philosophe, stoïcien, observateur avisé des comportements humains, sage et donneur de leçons ou... un alcoolique pathétique.

Le mercenaire est le profil-type du guerrier " commun " en fantasy qui vend ses services ou part en quête du trésor du dragon. Personnage plus pragmatique que le jeune héros qui part sauver la princesse - plus viril sans doute... -, comme son cousin japonais, le ronin, il erre d'aventures en aventures, de rencontres en rencontres, croisant autant de personnages, de situations et de périls. Certes libre, sans maître, finalement sans grand destin, il sonne un peu creux, parce qu'il ne cherche finalement rien d'autre qu'un prochain job. Mais il est pratique : on sort ce personnage, on le rentre, on le transporte d'un monde à l'autre... Il est interchangeable et constitue un repère imaginaire rassurant quand on manque d'idées.

Le guerrier mage compose un personnage de fantasy complet, alternant la lecture de ses grimoires et le maniement de l'arme. Mages de guerre du Cormyr - dans les Royaumes oubliés - ou mage de guerre calastien - dans les Terres balafrées - forment un corps militaire original, composant un axe de jeu qui mériterait d'être plus souvent exploité. Pourquoi pas des enquêtes façon JAG mettant en scène des mages de guerre usant de leurs pouvoirs pour résoudre des affaires criminelles mettant en cause des officiers et des proches du pouvoir ?

Le guerrier de l'âge classique : ah, voilà qui est amusant ! Cette figure ne se limite pas au duelliste empanaché façon D'Artagnan. À force de " en garde traître ", on se lasse... D'ailleurs, pourquoi le traître n'appartiendrait-il qu'à l'ordre des adversaires du héros ? La civilisation des mœurs induit dans ce personnage une dose d'esthétisme qui lui donne un rien d'éducation et qui l'introduit dans les complots courtisans. D'ailleurs, on ne sait plus vraiment ce qui distingue le guerrier du courtisan : les deux figures se sont en effet rejointes. Les allégeances se cachent, on n'adoube plus en criant, bien au contraire, on se lie dans l'ombre, puis on s'empoisonne et se trahit...

Le fanatique est emporté par le poids de jeux politiques ou courtisans cruels ou par celui des haines idéologiques. Il est confronté à l'horreur de ses actes ou aux conséquences fatales et imprévues - inconsciemment fratricide ou parricide, à l'exemple de Œdipe, meurtrier du père de son aimée, comme le Cid ou du premier amant de cette dernière, comme Kenshin le vagabond, héros du manga du même nom. Transcendé par la souffrance reçue en retour, quand c'est lui qui devait originellement l'administrer, à l'instar de saint Paul, il est gagné par la Rédemption et suit désormais une nouvelle voie. Son alter ego sombre est son ancien allié qu'il déferra nécessairement en duel, à moins que comme le vicomte de Valmont (Les liaisons dangereuses), le poids de ses fautes l'amène à baisser la garde...

L'aristocrate élitiste : pourquoi André, dans Guerre et paix, regarde-t-il siffler cet explosif sans fuir ? Tomber à genou lui semblerait-il dégradant ? Quelle image la mort imminente dessine-t-elle dans cet esprit à la fois taillé dans l'acier et tissé dans la soie ? La modernité est un poison pour le guerrier classique car, à la différence du guerrier médiéval, inscrit dans un corps, dans une communauté qui l'emporte sur lui et lui donne une raison d'être, le guerrier classique commence à prendre conscience de lui-même, en tant qu'individu particulier, sollicité par ses aspirations, ses sentiments, ses angoisses naissantes. L'âge de la raison encyclopédique précède l'ère du romantisme naissant.

La raison, d'ailleurs, est mère de la rationalité moderne - et donc de la loi et de l'état. Le guerrier répressif est le bras droit de la loi et de l'ordre - à l'instar des joannites du jeu de rôle Tribe 8. Ce personnage est pris dans un dilemme. Animé d'une part par le code de l'honneur, il est asservi au service de la loi et à l'exercice d'un pouvoir dominant tendanciellement inique à l'égard des peuples. Frappé par le désenchantement, ce type de personnage peut potentiellement retourner sa chemise dans une prise de conscience et prendre le parti des rebelles qu'il punissait auparavant. Le corps militaire peut se scinder en deux factions - les légitimistes et les rebelles -, cet état des choses pouvant amener d'anciens amis - ou rivaux - à se retrouver dramatiquement opposés dans un combat mortel ou à régler enfin leurs comptes.

Mais revenons au romantisme. Le revenant, qu'il soit spectre de l'Elseneur dans Hamlet dictant sa vengeance au jeune prince ou vengeur gothique comme dans The Crow de Alex Proyas, a une dimension tragique, voir romantique fascinante. Le spectre revenu des morts se venge certes de ses meurtriers mais l'aimée revient au monde des vivants et lui échappe fatalement, avivant sa douleur. Occasion de saisir la chance d'une dernière et ultime rencontre. Variante : le méchant tue l'aimée avant de tomber et cette dernière rejoint son amant dans le monde des morts.

Le guerrier maudit trouve l'une de ses incarnations les plus célèbres avec Elric, tueur de son aimée et des siens, poursuivi par la fatalité - un terme qui revient souvent dans cet article... Pris en tension entre le bien et le mal, il est confronté sur le plan personnel à une issue incertaine et amère, soit positive dans le cas d'une rédemption, soit fatale pour celui qui n'échappera pas à son destin. Certes, c'est cette même fatalité qui distingue le héros romantique du charcutier-traiteur - ou tout du moins du lecteur ou du joueur de rôle, s'évadant de sa plate tranquillité quotidienne. Jouer un personnage maudit nécessite l'accord et la collaboration du maître de jeu qui accepte d'introduire le moteur de la tragédie. C'est un cas rare : en général, les joueurs n'en demandent pas plus que ce qui va leur tomber dessus - et c'est bien dommage. Un peu de classe, ça fait de mal à personne.

Le guerrier urbain cyberpunk voit ses caractéristiques marquées par la modernité décadente de l'individualisme et de la dissolution des liens sociaux. L'État, en perdant le contrôle de la rue, n'a plus le monopole de la violence physique. Ce personnage, mercenaire moderne, est marginal, libre, transgresseur, notamment des codes physiques et vestimentaires, adoptant par exemple un look néo-tribaliste - percing, tatouages, cuir, etc. Dans une ère historique plus proche, le brujah ou le gangrel anarch de Vampire suivent un semblable parcours, les mouvements rock modernes (dark vawe, black metal, death, rap) lui donnant l'occasion de se saisir d'un look à l'esthétique intéressante - ou tout du moins particulière...

Confronté à la disparition des valeurs sociales fondées sur la cohésion et sur la solidarité, ce solitaire suit les lois dictées par ses propres intérêts. Mais souvent fatalement confronté à sa misère humaine et morale, il pourra être amené en dernier recours à chercher une cause, voir à se chercher lui-même, marquant ainsi une différence avec l'assassin - éventuellement vampirique asservi par la Bête - ou la machine cybernétique, pour gagner au travers de sa lutte un semblant d'humanité. En cas d'échec, il éprouve le désenchantement, gagnant, s'il ne devient pas un autre rouage du système, une dimension humaine et existentielle.

On ne saurait achever ce petit tour d'horizon sans se pencher sur le cas du militaire moderne : cette figure présente essentiellement un intérêt de simulation historique. Il peut toutefois être articulé à une intrigue fantastique car l'horreur de la guerre en éveille souvent d'autres, plus anciennes, si l'affrontement lui-même n'est pas secrètement généré par des puissances de l'ombre. La relation entre le fantastique et la simulation militaire est notamment mise en valeur pour le jeu Delta Green au moyen d'une aide de jeu qui, présentée sur le site tentacule.com, propose une adaptation au contexte de la guerre du Vietnam et quelques excellents scénarios.

De même, certains personnages plutôt musclés sont souvent d'anciens officiers ou d'anciens mercenaires. La carrière militaire sert de justification habile au développement des compétences martiales du personnage qui pourrait continuer dans une voie similaire - en tant que shérif, garde du corps etc. - ou faire dans l'original ou l'amusant - pourquoi pas cuisinier sur un bateau malheureusement investi par des terroristes ?

Hum... Mauvais exemple.