Le Siège de Black Town

Un Mini-Scénario Delta Green par Mario Heimburger

  Il n'y a rien à Black Town. Rien dans ce trou perdu au milieu du Nevada. Rien d'autre que la vie qui passe et s'éteint, comme les quelques dizaines de voitures qui passent là tous les jours, et qui en général ne s'y arrêtent pas. L'unique Resto-Route du village avait fermé, avant qu'un illuminé de New York, John Steadman, ne décide de le rouvrir. Ce ne sont pourtant pas les quelques rares routiers qui passent par là qui lui permettront de survivre, mais les habitants ne disent rien, trop contents de retrouver un lieu où passer les longues soirées d'été, aussi ennuyeuses et poussiéreuses que la route.

  Pourtant, John Steadman n'est pas très bavard. Tout au plus sait-on de lui qu'il fut jadis videur dans une boîte branchée de New York, qu'il s'est marié à une strip-teaseuse de cette boîte, Luscious Mary, mais que, tombée dans la drogue jusqu'aux veines du cou (l'effet est plus fort paraît-il), elle n'a pas survécu plus d'un an à ce mariage. Alors il est parti. Et il est venu s'enterrer à Black Town, un lieu où même le mort le plus agoraphobe ne souhaiterait pas pourrir. Triste histoire.

  Une histoire complètement fausse, aussi. Car John Steadman n'est autre que Johnny le Rouge, le chef des Saigneurs de la banque, un gang qui a écumé les dépôts de toute la Californie dans l'année écoulée. Un homme qui a tué, qui se repaissait du sang qu'il faisait couler par sadisme à chaque fois. Un homme qui a terminé sa carrière sur le pillage de la banque de Chesterfield, CA. Un casse qui a rapporté 500.000 dollars. Un casse dont les Saigneurs n'ont jamais pu profiter. Car Johnny le Rouge ne s'est jamais pointé au rendez-vous fixé. Il a filé à l'anglaise. Comme ça. Pour se planquer à Black Town, en attendant que ça passe.

  Mais on n'échappe pas comme ça aux copains. Ils vous retrouvent plus sûrement qu'un chien retrouve sa gamelle. Même au milieu de nulle-part. Harry Venson, Greg Turns et Homer Wilson ne sont pas loin. Ils ont remonté la piste jusqu'à Black Town. Et le siège commence. Car il ne faut pas brusquer Johnny. Peut-être a-t-il déjà senti la présence de ses anciens compagnons. Peut-être qu'il épie la nuit, à la recherche d'un signe. Ce mort, retrouvé la semaine dernière par-exemple : un habitant du village, retrouvé avec une balle de 45 logé dans le crâne. Heureusement, c'est Johnny qui a retrouvé le corps. Il l'a enterré proprement : c'est pas le moment de se faire remarquer.

  Ou alors l'essence qui n'arrive plus… Le camion-citerne qui traverse la ville sans s'arrêter. Les pompes qui sont à sec, et qui bloquent les pauvres voyageurs imprévoyants, comme ce groupe qui traverse le pays (les PJs). Demain, sans doute, on viendra ravitailler les pompes. Demain, ou au plus tard après-demain. Mais Johnny sait que ce ne sera pas de si tôt. Il astique son flingue, conscient que l'affrontement viendra tôt ou tard.

  Et puis, il y a aussi ces lumières dans les hauteurs, dans cet ancien territoire indien. Seul Johnny sait que ce n'est que la planque qu'ont trouvé ses anciens amis. Mais d'autres en ville commencent à parler de drôles de choses. Surtout le brave Ben Akkroyd, qui n'a plus toute sa tête depuis qu'il est revenu du Vietnam. Ben les a vu : dans la forêt, fondre sur ses amis. Seul le napalm pouvait les détruire. Et maintenant, il craint qu'ils aient retrouvé sa trace. Mais il a de quoi se protéger, Ben. Il a ramené tout ce qu'il fallait du Vietnam, grâce à un copain gradé. Lui aussi se prépare à affronter sa peur.

  Et l'attente se poursuit… Mieux vaut cacher les billets…. Pourquoi pas dans un endroit où personne ne pensera à les chercher ? Scotché sous la voiture de ces voyageurs, par exemple… De toute façon, il n'iront pas bien loin, sans essence…