Nouvelle


Auteur(s) :

Jean-Marc DUMARTIN

Illustrateurs(s) :

Ghislain THIERY

Elisabeth THIERY


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...illustrés par Ghislain THIERY

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Eastenwest > 17 - L'Espace et le Temps



...SUSPECT...

14 décembre 2061

Secteur 6432-04F

Rapport de mission - pilote Sgt Hansen - E156/P28

La check-list est passée, tout est au vert. D'un pouce glorieux je remercie le chef mécano responsable de mon appareil. De leur sérieux dépend notre vie, ce ne sont pas des pilotes mais ce sont des mecs bien !

À une douzaine de mètres de moi, dans un deuxième chasseur, Pap's vient de faire de même. Combien de missions a-t-on fait tous les deux ? Trois cent cinquante ? Quatre cent ? C'est pire qu'un mariage, on est tout le temps ensemble.

Dans trente-cinq secondes le catapultage, et ensuite la liberté du vol spatial. Ce ne serait pas la guerre que ce serait l'extase.

Le départ...

La mission prévue depuis le début de la veille active, soit quatre jours, est une exploration du quadrant 04F de notre zone de couverture.

Mission de routine, il n'y a pas d'ennemis dans ce secteur. Les plus proches sont à au moins quatre années lumières, dans le 6254. De toute façon, nos " pièges " sont les plus rapides que l'on puisse trouver dans cette guerre. Et si jamais l'alliance de Véga pointe le bout d'un croiseur à moins de deux années lumières alors ils seront dans la zone de détection de notre porteur.

On pourra sans problème se rejoindre, former les escadres et préparer l'attaque. Mais bon, ce ne sont que des possibilités...

Donc je monte dans mon stargunship à l'heure prévue, vérifications d'usage et... BOOST !

Bon sang, si je n'étais pas pilote, je voudrais l'être pour ce seul moment...

Quelle sensation de puissance ! Un coup de pied au cul donné par Dieu en personne !

Le pouls à 180, l'appréhension... Si jamais la barrière magnétique isolant la cale du vide ne s'ouvre pas ? Ou s'ouvre une fraction de seconde trop tard ?

L'allumage.

La poussée.

Lorsqu'on rouvre les yeux, le fourmillement d'étoiles de ce secteur diffuse une douce lumière mordorée.

Le porteur est déjà à cinq ou six mille kilomètres et sans le bip rassurant que fait le radar à courte portée en pointant sa position, on pourrait facilement flipper.

C'est parti pour trois heures de vol et d'observation.

Dans cent quatre vingt minutes, le porteur déclenchera une balise émettant sur ma fréquence d'identification. Mon tracker se mettra alors en route et me ramènera vers la maison.

- Hé ! Pap's ! Tout est clair ?

- Clair Bloodbird ! Juste un régul un peu faible.

- Ok. Inquiétant ?

- Non sergent de mon cœur, le régulateur revient à la normale.

- Bon alors on amorce la série de " zags " dans une minute et jusqu'au plus loin qu'on pourra du quadrant.

- Ok Bloodbird. Tu décroches et j'm'accroche à tes basques...

- Ok.

Ah ce Pap's... C'est le vétéran des pilotes du porteur. Pas un des deux milles drivers qui n'ait encore atteint sa quarantaine. D'ailleurs à cet âge là, les pilotes sont en général passés officiers supérieurs et affectés à des fonctions d'aiguillage, de planification ou de formation.

Et bien pas notre " Pap's ". Pseudo Papy. Caporal Bruce Scott. Plusieurs fois dégradé, plusieurs fois "presque" nommé officier, plusieurs fois emprisonné pour violence sur officier supérieur... Et le plus grand tableau de chasse que l'on puisse trouver dans la flotte. 82 ennemis abattus (sans compter les attaques sur porteurs) et vingt huit suspects éliminés. Lorsqu'on s'amuse à comparer nos graphs, j'en rougis presque... Je suis son leader, avec mes vingt huit ans, mes cinquante quatre ennemis pulvérisés et mes seuls onze suspects. Oui je suis un crack mais rien de comparable à Pap's !

On ne fait pas mieux, c'est pour ça que malgré son âge et son caractère, il est toujours pilote...

- Attention Pap's. Break dans quatre... trois... deux... une... break !

Et nos deux appareils de concert à prendre leur virage qui nous amènera dans une succession de longs " zigs " et " zags " qui sont la façon habituelle d'explorer un espace en théorie sécurisé. Un virage tous les deux cent à deux cent vingt milles kilomètres. En plus cela économise du combustible, on donne une impulsion lors de chaque changement d'angle et ensuite on court sur notre ère...

Ce ne sont pas des sorties vraiment de tout repos mais c'est assez tranquille.

On n'échange que peu de mots en général lors de ces missions de routine. On se connaît bien avec son équipier et puis après tout on est aussi là pour observer.

De temps en temps on prend des nouvelles mais c'est tout.

Déjà près de deux heures que nous avons été catapultés.

- Bloodbird ?

- Oui Papy ? Qu'est-ce qu'il y a ?

- Je ne sais pas trop, peut-être une faiblesse due à mon régul, j'ai eu un petit flash sur mon traceur.

- Quelles coordonnées ? Moi je n'ai rien eu.

- Je ne sais pas, j'avais juste l'œil dessus sinon le traceur n'a rien enregistré.

- Alors demande au " Spirit " de recalibrer ton radar. Si le traceur en a pris un coup ils te le diront.

- Ok je le fais.

Depuis le Spirit (notre porteur), les technos pouvaient remettre à zéro nos instruments et s'assurer de leur bon fonctionnement. Ils pouvaient aller jusqu'à réajuster la fréquence de nos armes si l'ennemi faisaient preuve d'écrans de protection trop bien adaptés. Les instruments du chasseur ainsi réinitialisés ne sont occultés que pour deux minutes. Jouable en général.

C'est là le point technologique d'avance que nous avons sur l'alliance de Véga.

Eux compensent par un armement bien plus lourd.

- Alors Pap 's ?

- Ben, heu... la réinitialisation a prise. Tout est au vert.

- Ton traceur ?

- Comme le tien, rien à signaler, le porteur en bordure et ton ship c'est tout.

- Ok moi aussi. Ça marche. De toute façon, on rentre dans trente minutes.

- Ouais... Vivement une bonne bière...

Papy a raison. Dès qu'on rentre, rapport aux technos sur la tenue des appareils, puis débriefing de la mission au centre de commande et enfin bière au bar des pilotes. Un rituel bien ancré.

Tut ! Tut ! Tut ! Tut !

Chierie !

- Pap's tu l'as aussi ?

- Et merde oui. À trois heures ! Putain, j'espère que ce n'est pas un suspect !

- Spirit ! Spirit de Bloodbird ! Spirit de Bloodbird ! Trois échos dans le 04F. À trois heures de la trajectoire prévue. Répondez Spirit !

- Ici colonel Fontaine. Boostez-vous hors trajectoire. On vous pointe au tracker. Allez voir et rapport !

Ils ont l'air énervé sur le Spirit. Faut dire que nous n'étions pas censés trouver qui ou quoi que ce soit, le quadrant était réputé clair. Par rapport à nos trajectoires, ils font le calcul de la position initiale du contact.

- Allez caporal ! On décroche et on pique dessus

- Ouais. T'as vu qu'eux aussi piquent sur nous ? Au moins ce ne sont pas des suspects !

- Oui. On enclenche les tubes et go !

La fureur des réacteurs se fait à nouveau sentir. Il ne s'agit plus là de simples impulsions pour changer de trajectoire, les moteurs doivent fournir une puissance énorme pour nous amener à 0,8 de la vitesse luminique. En théorie seulement car s'il y a rencontre, ce serait impilotable.

Dans le même temps, les moteurs doivent fournir l'énergie pour charger les armes et les boucliers. Heureusement à cette puissance, cela sera fait en moins de dix secondes.

Nos deux stargunship fendent l'espace et les " contacts aussi " !

La rencontre se produit en moins de trente secondes.

- Putain ! Qu'est ce qu'ils foutent là ! Vu Pap's ?

- Vu Bloodbird ! Tes ordres ?

- En tout cas on les laisse pas passer derrière ! Spirit ? Spirit ? Trois Végans de visu. Il s'agit de trois chasseurs ! Papy tu glisses derrière moi et look nos arrières !

- Ok sergent !

- Patrouille 156 de Spirit. Vous êtes sûrs ? Pas d'erreur d'identification ?

- Non pas d'erreur, ils...

- Gaffe sergent les voilà à cinq heures ! Pas de doutes, ils nous accrochent !

- Spirit ! On engage le combat ! Pas d'erreur ! Trois appareils standard en forme de losange.

- Ok 156. On fait partir le reste de l'escadre.

Tu parles, le reste de l'escadre... À pleine vitesse il leur faudra presque six minutes pour nous rejoindre...

Et dans un sens ou dans l'autre notre affrontement prendra fin dans moins d'une minute...

Les premiers lasers nous manquent d'assez loin, c'est notre répit...

- Papy on décroche en huit !

- Ok leader, à ton top

Contre un suspect, la peur aidant, on ne sait jamais comment s'y prendre. Lorsqu'il s'agit d'un ennemi tangible le problème est autre mais on sait toujours quoi faire pour essayer de l'aligner.

Le huit est une figure assez récente. Elle permet à nos appareils plus rapides de prendre de court l'ennemi alors qu'il se prépare à nous aligner. Les deux équipiers se séparent selon un angle de quatre-vingt-dix degrés, prennent un virage et se croisent toujours avec le même angle pour finalement se retrouver en bouclant le huit, en général si la chance est là, on se retrouve face à l'ennemi et on peut le blaster.

La chance est là...

- Papy ! Allez ! Feu !

Notre équipe est bien rodée. Bruce sait très bien que je vais blaster le Végan de tête et virer à gauche. Il peut à son tour allumer sans risque...

Cela se passe comme en simulateur. Mieux encore. En simulateur, les programmes sont faits par et pour des pilotes de l'Union Terrienne. Les Végans sont plus lents. Si on peut les toucher en premier, en général c'est bon. Par contre s'ils arrivent à nous toucher avec leur canon à impulsion alors c'est fini pour nous. Ils ont une puissance énorme.

De plus, ils s'autodétruisent s'ils sont immobilisés. On a encore jamais réussi à en capturer un pour analyser ce foutu canon.

La passe d'arme est une réussite.

L'ennemi de tête que j'ai touché part en vrille. Je ne l'ai pas stoppé mais il est out pour un petit moment, le temps qu'il re-stabilise et revienne.

Papy a encore fait mouche.

" Son " Végan se désintègre sous les coups conjugués de laser. Le troisième cabre à mort pour éviter les faisceaux du caporal.

- Pap's ! T'es bon ? Je poursuis !

- Right Bloodbird ! J'essaye d'accrocher le troisième. Veut se tailler cet enfoiré !

- Ok ! On se garde au traceur !

- Ok

- Spirit ! Un ennemi abattu, un touché et poursuivi, un en fuite.

- Reçu 156. Verts tous les deux ?

- Oui. Aucun dommage. Papy poursuit vers bordure quadrant à trois heures. Je piste mon Végan vers douze heures !

- Bien reçu Bloodbird. Escadre sur secteur dans trois minutes.

La vitesse de son piège aidant, Papy rattrape vite le Végan en fuite. Un coup de laser bien ajusté et il arrive à endommager les propulseurs du vaisseau en forme de losange. Celui-ci part aussitôt en dérive. Pap's espérait bien attendre d'autres membres de l'escadre et récupérer l'épave et son pilote. Peine perdue, comme tant d'autres auparavant, l'ennemi se désintègre avec son vaisseau plutôt que de tomber entre nos mains. Rien encore n'a pu nous éclairer sur un tel " fanatisme ". Il doit bien entendu y avoir la peur que l'on arrive à cloner leur canon à impulsion. Une telle arme conjuguée à la vitesse de nos chasseurs nous donnerait un terrible avantage. Mais une telle éventualité peut-elle pousser un homme à sacrifier sa vie... ?

- Spirit ici Papy. Végan éparpillé. S'est autodétruit. Quels sont vos ordres ?

- Papy de Spirit vous attendez le reste de l'escadre qui est sur trajectoire d'interception puis vous partez rejoindre Bloodbird.

- Reçu spirit. Eh sergent ! T'es où ? Bloodbird ?

- Je suis toujours là Pap's. J'ai perdu mon Végan. Je ne sais pas comment il a fait pour se tirer. Ou alors il a tout coupé pour se mettre en black-out...

- Ok je reviens dès que l'escadre est là.

- Reçu.

Si jamais mon adversaire est en black-out, cela ne va pas être du gâteau pour le retrouver.

C'est une tactique que tout chasseur ou intercepteur peut employer... Faire le mort et tout couper, y compris la maintenance des réacteurs. La température chute vite mais reste supportable avec les combis. Comme le vaisseau est très petit il reste alors très difficile à localiser alors que s'il est en mouvement il se trouve toujours un moyen de localiser au moins sa trajectoire. Les particules sont très bavardes dans l'espace.

- Spirit de Bloodbird. J'ai perdu ma cible. Je reste sur zone et quadrille. J'attends le reste de l'escadre.

- Reçu Bloodbird. Interception escadre dans quatre minutes. Terminé.

- Terminé.

Quatre minutes... Deux cent quarante secondes à me demander si mon adversaire ne va pas surgir de nulle part pour m'envoyer une impulsion létale. S'il ne va pas d'une manière ou d'une autre appeler des renforts à la rescousse...

C'est que dalle quatre minutes mais lorsqu'on doit les vivre dans un chasseur pendu dans l'espace avec la menace d'un ennemi dans les parages immédiats ben c'est hyper long... ça le paraît...

J'ai beau écarquiller les yeux pour scruter mon traceur, essayer de distinguer une forme dans le vide, rien y fait, aurait-il réussi à me griller et à s'enfuir ?

La réponse me vint de la manière la plus cinglante qui soit.

Il me reste encore une minute trente à attendre avant que le reste de l'escadre ne me rejoigne. Je crois bien que je n'ai jamais été aussi attentif de ma vie.

A posteriori, je ne sais toujours pas comment il a fait, d'où il est venu.

Je ne peux que remercier ce que d'aucuns appelleront " l'instinct de conservation ", d'autres " sixième sens ", peu importe son nom, mais seule l'indicible force qui m'a fait regarder dans mes cinq heures sait pourquoi je suis encore en vie.

Je me morfondais sur ce que je risquais lorsque je vis brusquement un point violet. J'enclenchais mon booster sans plus attendre, ce qui me sauva la vie. Le point violet se fit faisceau qui vint balayer la place exacte qui était encore la mienne moins d'une seconde auparavant.

Comment pouvait-il réactiver ses systèmes, redémarrer, accélérer et tirer sans qu'on puisse le repérer ?

La chance, une fois de plus, ma fuite m'avait amené dans ses quatre heures, un coup de boost supplémentaire et je me retrouvais pile derrière lui. Il n'avait pas dû digérer son échec, grossière erreur...

- Spirit ! Spirit de 156 ! Cible repérée ! Balisez-moi je suis dans ses six heures ! Où en est le reste de l'escadre ?

- Bloodbird de Spirit ! Escadre sur zone dans moins d'une minute ! Foutez-le en l'air !

Facile à dire... En règle générale, dans les six heures d'un ennemi, l'affaire est vite envoyée. Mais pas avec celui-là... Il gigote dur, on dirait un Terrien...

Mais ce pilotage haché est bien plus facile avec mon chasseur. Trois secondes de répit et feu !

Je blaste le losange alors qu'il est en plein rouge de mon collimateur. Impossible que je le loupe. T'as qu'à croire ! Encore une question qui vient se greffer sur la kyrielle enregistrée dans cette foutue journée...

Loupé. Je ne sais comment il a fait pour décrocher au moment où je l'allumais. Pas un bleu le mec. Il est en vrille sur une trajectoire perpendiculaire à la mienne, je plonge pour le suivre.

- 156 ! 156 de Spirit ! Escadre sur zone ! Pap's et Sky pour vous intercepter ! Poursuivez la chasse !

Je ne réponds même pas, pas le temps. L'ennemi est sorti de sa vrille et mène ses boosters à fond. Mon stargunship n'a pas de difficulté à le rattraper. Le bip strident me confirme que je l'ai accroché, je le grille, f...

Que fait il ? Le losange freine brutalement, en vrac... qu'est ce qu'il fait ?

Il tire droit devant ! Sur quoi ? Oh putain !

- Suspect ! Suspect ! Suspect ! Spirit bloquez la 156 ! Suspect repéré ! Pap's ! Sky ! Demi-tour ! Suspect localisé !

Il n'y a aucun doute ! merde, d'habitude je renifle sans coup férir tout ce qui pourrait m'attirer de gros ennuis... ben là c'est gagné !

Et l'autre. Lui il a foutu le camp, ben voyons... Je ne sais même pas si son tir a touché. En tous les cas, le suspect ne réagit pas et ne fait pas montre de plus d'activité qu'avant le moment où je l'ai détecté.

- 156 ! Ici Spirit. Vous connaissez la procédure. Allez-y et tenez-nous informés ! Tous les autres se replient !

Ouais ouais je la connais...

Non il n'y a pas de doute... dans le faisceau du canon à impulsion de mon adversaire j'ai parfaitement distingué une grande masse immobile... un suspect...

Les emmerdes commencent...

Il y a une règle.

Cette règle est tacite, silencieuse, bien entendue non avouée...

Mais cette règle est respectée par les flottes et les pilotes des deux camps. On le sait, on en a la preuve... D'ailleurs, si mon ennemi ne l'avait pas respectée, il m'aurait sûrement déjà blasté.

Cette règle fut " édictée " après qu'un mille six cent vingtième pilote soit officiellement porté disparu après avoir été en contact avec un suspect. Et en tenant aussi compte des dommages possibles à une future flotte civile.

Si jamais un pilote rencontre un suspect, quelle que soit la situation, y compris en état de combat, toute activité doit immédiatement cesser, l'affrontement doit prendre fin, la présence du suspect doit être signalée en clair et tout doit être mis en œuvre pour éliminer le risque représenté par le suspect.

En termes clairs, celui qui détecte un suspect se doit de le détruire.

Cette règle prend le pas sur tout ! La destruction de l'objet passe en priorité numéro un.

Ouais... c'est maintenant MA priorité... Belle merde.

Joli résultat... L'autre va retrouver son porteur, son camp alors que je vais me retrouver à risquer ma peau pour une saloperie de suspect, qu'il soit Alien ou vestige, on ne se pose jamais la question, c'est un " non identifié ", classé d'emblée comme dangereux alors il faut le détruire.

Il faut que j'y aille... Je réenclenche mon propulseur mais pas question de booster. Finesse, prudence.

Comme précédemment, je recommence à scruter le vide spatial. Il faut que je le retrouve vite pour m'en débarrasser et enfin rentrer.

La peur qui me noue l'estomac est sans comparaison avec celle que j'éprouve lors des combats. Celle que j'éprouve maintenant est bien supérieure, plus angoissante, l'idée insidieuse de l'inconnu relève la peur jusqu'à des marches encore non atteintes.

Mes années de service ont du bon, elles me permettent de rester concentré malgré la situation. Ce qui, par contre, ne m'évite pas de repenser à l'état de stress qui était le mien lorsque je fus confronté à mon premier suspect...

C'était lors de ma troisième mission de combat. Lors de la seconde j'avais abattu mon premier ennemi. C'est donc tout gonflé d'hormones que je plongeais sur un bip soudain apparu sur mon traceur... Mauvais choix !

Je venais de localiser mon premier suspect. J'en ai presque mouillé ma combi, et pas de sueur...

Lorsque je me suis retrouvé devant lui, j'étais mort de trouille. Il était de petite taille, je l'estimais à environ quatre mètres de diamètre. Il disposait de facettes et sa forme générale se rapprochait d'un grand disque d'un bon mètre d'épaisseur. De chaque côté, il disposait de huit excroissances dont je ne pouvais bien entendu même pas soupçonner l'utilité.

Même ma main tenant les commandes tremblait. À l'époque, et encore aujourd'hui, je ne savais pas d'où viendrait l'attaque. Je m'imaginais pour lui mille façons qu'il aurait de me foudroyer sur place.

J'avais depuis lors onze suspects à mon actif. Cela faisait de moi presque un vétéran de " la chasse aux sorcières "... Aucun suspect n'avait eu le temps d'ouvrir le feu sur moi, je les avais blastés avant.

Cela ne m'ôtait pas une once de peur...

J'observais toujours l'espace devant moi. Une impression d'y avoir déjà passé des heures alors qu'en réalité je ne " pourchassais " le suspect que depuis quatre à cinq minutes.

- Bloodbird de spirit. Où en êtes vous ?

Dans le pâté, je suis...

- De Bloodbird... je termine de baliser la zone. Le cube que je viens de décrire représente les extérieurs.

J'en arrivais même à m'étonner du calme avec lequel je répondais... Jusqu'au moment où...

- Spirit ! Spirit de 156 ! Suspect localisé !

- Coordonnées Bloodbird !

Et moi de transmettre. Avant toute action il est impératif de pouvoir savoir exactement ou trouver l'objet, si jamais je me faisais avoir, un autre viendrait tenter de le détruire.

- Ok 156, vous pouvez procéder.

Et la peur de me torturer de plus belle... Tant la mort qu'il peut donner, tant le mystère dont les " suspects " sont entourés, tout contribue à renforcer cette peur qui me tourmente...

Lorsqu'on se rend compte que cela fait déjà plus de quatre générations de pilotes qui ont vécu avec cette peur, quatre générations de pilotes qui ont vu partir certains des leurs face à des suspects sans que l'on puisse l'expliquer...

Plus de mille six cent pilotes de stargunship ont donné leur vie pour que l'espace soit plus sûr. Et l'ennemi ne doit sûrement pas être en reste. Il arrive de temps en temps que des explosions soient répertoriées alors qu'une zone est réputée vide ou en tout cas sans conflits...

Et depuis tout ce temps, suivant aveuglément les ordres du gouvernement, nous détruisons, à chaque fois que faire se peut, ces suspects dont personne ne sait rien et dont personne ne veut surtout rien savoir.

L'homme a toujours eu peur de ce qu'il ne connaît pas, de ce qu'il ne comprend pas. Tout cela vient de son énorme propension à se croire le plus fort, merveille de la création...

Alors tout ce qui entre dans son champ d'existence sans y être invité, sans avoir auparavant laissé une trace dans la mémoire collective, tout ce que l'homme ne peut maîtriser, il se croit obligé de le détruire.

C'est une constante depuis la création...

Merde, ce n'est pas le moment de se prendre pour un philos sur le retour. J'ai un job à faire. Ce n'est pas à moi de me poser ce genre de questions. L'état-major doit savoir ce qu'il fait et je n'ai pas à douter de ses ordres, surtout ceux édictés depuis des lustres.

Imperceptiblement, je me suis rapproché du suspect, sans pouvoir encore le distinguer. Je sens sa présence écrasante. Il émane de lui une gangue de terreur qui ne manque pas de me prendre en elle.

Sans le voir, il me semble pourtant qu'il se précise. Je ne le distingue toujours pas mais je commence à appréhender sa forme, masse plus sombre sur le fond de l'espace.

Mon traceur reste désespérément terne et silencieux. Le suspect ne répond à aucune des impulsions dirigées vers lui. Les sondes sont bredouilles.

Rien qui puisse me rassurer.

J'achève ma troisième boucle autour de la masse encore indéfinie du suspect.

Le Spirit m'a demandé ou j'en étais... J'ai bredouillé quelque chose comme " je m'approche ".

Et c'est exactement ce que je suis en train de faire. Finies les évolutions autour de lui, puisque les sondes ne détectent rien, il faut que je m'approche, jusqu'à voir l'objet...

Je flippe à fond.

- Courage Bloodbird ! On est avec toi !

- Merci Pap's... merci...

Mais tu sais bien que ce n'est pas vrai... Le meilleur ami du monde préfère que ce soit son pote qui se trouve devant un suspect plutôt que lui-même... Mais cela se veut réconfortant.

À la vitesse ridicule qui est la mienne, le suspect semble pourtant déchirer l'espace lorsque mon projo de proue fini par l'accrocher.

J'en sursaute sur mon siège de pilotage, j'ai même le mauvais réflexe de voir ma main glisser sur l'allumage des rétrofusées... Sans les déclencher.

Mais je fais tout pour m'immobiliser le plus tôt possible et le plus loin que je le puisse de cette " chose "...

Je reste bouche bée. Cela ne ressemble à rien.

En tout cas il n'est en rien semblable aux suspects que j'ai déjà rencontrés.

Je signale ce fait au Spirit tout en leur demandant de me connecter à la base de données pour définir s'il se trouve quelque chose de connu qui ait une apparence approchante.

Ce suspect est relativement grand, trois ou quatre fois la longueur de mon appareil. Les objets que j'ai rencontrés jusqu'ici étaient quasiment tous de forme très géométrique, trapézoïdaux, carrés ou encore structures hérissées d'appareils étranges...

Celui-ci non, il est presque tout en longueur, la partie principale ressemble à un tube auquel seraient rattachées deux excroissances plutôt plates, larges et allant en s'effilant, rattachées vers le milieu du tube, approximativement à la moitié de celui-ci, de chaque côté, comme des ailes.

Une troisième excroissance, plus petite est placée, elle, perpendiculairement aux deux autres sur ce qui semble être le dessus du tube, en retrait vers l'une des extrémités qui doit être l'arrière (si j'en crois ce que je prends pour les moteurs).

Tout en étant aussi précis que possible, je rentre toutes ces données dans mon traceur. Ce dernier, connecté au Spirit va vérifier dans la base de données si quelque chose de déjà répertoriée semblerait convenir.

La réponse ne me parvient que trois minutes plus tard, ce qui tendrait à me faire croire que la BdD a été retournée de fond en comble.

Résultat négatif. Super Bloodbird ! Tu viens de rajouter une ligne à la glorieuse épopée des suspects ! J'en suis ravi !

J'arme mes torpilles.

Depuis plus de douze ans, chaque attaque contre un tel objet se fait non plus au faisceau ou au canon mais à la torpille.

C'est un pilote de la 672e qui avait alors allumé un suspect au laser. L'histoire de la navale nous apprend que l'objet aurait alors reprit vie, comme si le laser apportait l'énergie vitale qui lui manquait pour ressusciter. La suite fut plus triste encore, non seulement l'objet détruisit le pilote mais il remonta presque naturellement les flux pour arriver jusqu'au porteur, le Conquéror, et pulvérisa ce dernier, les mille hommes d'équipage ainsi que les deux cent pilotes de son escadre.

Ce triste moment fut sûrement très romancé, toujours est-il que depuis, toutes les interventions sur suspect se font à la torpille.

Le seul inconvénient de cette technique réside dans le fait que lorsque l'on a tiré à la torpille, l'ennemi a le temps de riposter avant que le projectile ne l'atteigne. Le bon côté c'est que contrairement à un faisceau, qui reste somme toute progressif et " accumulatif ", la torpille libère toute son énergie en une seule déflagration. Sa puissance est telle que rien ne peut l'absorber et tout cède devant une telle explosion. Enfin, on l'espère tous.

Je distingue maintenant parfaitement ma cible dans son aspect général. Je ne vois pas sa couleur ni les détails et je ne veux pas braquer de projecteur sur lui, on ne sait jamais. Ne serait-ce son aspect très inhabituel, je serais prêt à le juger quasiment neuf. Cette pensée m'étonne et m'en impose une autre... je m'imagine la lumière s'allumer dans ce qui doit être la proue, je m'imagine des ombres bouger dans cette lumière... Pures affabulations... un seul regard sur mon traceur me prouve tout le contraire...

Les sondes ne me renvoient absolument aucun signe d'une énergie quelconque et les senseurs de surface sont incapables de me donner une datation de l'engin ou même la composition de son extérieur.

Cela fait à présent une bonne vingtaine de fois que je tourne autour du suspect.

Quelle pensée, quelle idée ou quelle crainte peut freiner un homme et l'empêcher d'effectuer une action, quelle qu'elle soit ?

J'avoue que cela m'arrangerait de trouver la réponse à cette question, je pourrais peut-être alors décrocher mes torpilles au lieu de rester là et de m'offrir comme cible éventuelle à ce suspect.

" Rappelez-vous bien, jeunes gens ! En quelque lieu que vous vous trouviez, abattez toujours un suspect dès que vous le pouvez ! J'insiste lourdement ! Dès que vous le pouvez foutez ces saloperies en l'air ! Faites-le tant que vous le pouvez, tant que vous le pouvez encore... Nul ne sait de quoi sont capables ces engins ! Personne ne connaît leur puissance, personne ne peut prévoir l'étendue de leur armement ou la variété de leurs attaques. Alors blastez-les dès que vous êtes à portée, sans hésitations !

Un dernier point. Il n'existe personne, vivant ou mort qui puisse se vanter d'avoir ne serait-ce qu'aperçu l'un de ses occupants. Alors pas de pitié. C'est votre vie et celle de futures interceptions qui sont en jeu... "

La voix de mon instructeur résonne encore dans ce qui me sert de crâne.

Un discours qu'il a tenu lors de ma promotion au rang de pilote. Ça ne remonte pas à hier et pourtant il me semble qu'il vient juste de se taire.

Alors pourquoi est-ce que je reste là à regarder ce suspect au lieu de le blaster ?

" Dites-vous bien une chose une chose les jeunes. Si quelqu'un savait quelque chose ou possédait une quelconque information sur ces objets, il le dirait. Il en va de la sécurité de la navigation spatiale, il en va même de l'intégrité de notre nation et de sa souveraineté ! Les seuls qui parlent des suspects subodorent qu'il puisse s'agir des vestiges d'un âge où la barbarie et l'atome régnaient en maître dans l'ensemble de la galaxie. Ce qu'ils en pensent n'est pas fait pour nous rassurer. On les croit porteurs de mort et pourvoyeurs d'atrocités sans noms...

Et si vous voulez encore une bonne nouvelle, l'état-major de la marine "pense" qu'il pourrait se trouver une bonne centaine de milliers de ces foutus suspects encore dissimulés aux quatre coins de la galaxie ! "

Je revis dans l'instant le moment de stupeur, de silence et d'angoisse qui suivit le discours de notre instructeur.

Je pensais affronter ma plus grande peur en rencontrant le vide spatial... Que nenni ! C'est maintenant bonhomme. Jamais je n'ai éprouvé une telle crainte devant un suspect ou un ennemi.

Et puis, mille six cent vingt pilotes sont morts ou portés disparus face à des suspects... Aucune envie de rajouter une coche sur le compteur de l'adversaire.

Alors pourquoi continuer à lui tourner autour imbécile...

Mon objectif est accroché, et bien. Je décide de lui offrir trois torpilles : moteurs/centre/proue. Un bon programme me semble-t-il.

Dans la théorie, les deux torpilles destinées aux extrémités du suspect doivent exploser et en plus de la déflagration déclencher un irréversible processus de combustion nucléaire au niveau moléculaire. La troisième torpille est, elle aussi en théorie, d'une efficacité redoutable. Cette " bombe " à gravitation est capable d'arracher sa cible à notre dimension...

Feu !

Les trois torpilles se propulsent simultanément vers le suspect.

Sur mon tracer, la signature des projectiles est clairement visible, ainsi d'ailleurs que le flux émanant de leurs propulseurs.

- Spirit ici Hansen. Je viens de faire feu. Torpilles en route.

Le porteur ne répondra que pour signaler l'enregistrement de l'explosion du suspect.

La chance, fidèle compagne, une fois encore, la chance me sourit, l'objectif ne riposte pas.

Mon enregistreur de vol note systématiquement tout ce qui se passe durant ma mission et tout ce qui apparaît sur mon traceur, ne serait-ce que l'espace d'une micro seconde.

Comment pourrait-il manquer de noter la terrible explosion qui voit le jour alors que les deux premières torpillent frappent le suspect.

La lueur est telle que les protections solaires dont mon cockpit est pourvu se déclenchent, pour aussitôt se relever.

La troisième torpille vient de frapper l'objet. Le résultat est sans appel. Je ne peux l'observer en raison de son déclenchement trop proche de l'explosion des premiers projectiles. Mais sur l'enregistrement, on peut voir lors de l'impact une succession de lignes de force bleuâtres qui se répandent sur toute la structure du suspect, et ce dernier de disparaître d'un seul coup. Les détecteurs de masse eux-mêmes ne perçoivent même plus les vestiges de l'explosion qui vient d'avoir lieu.

- Bloodbird ? Ici Spirit. Venons d'enregistrer une forte et brève explosion dans votre zone. Vous êtes ok ?

- Spirit de Bloodbird. Tout est au vert. Je rejoins Pap's et je rentre. Terminé.

Oui je rentre, en vie. Non sans prendre le temps de souffler...

Une image me revient en tête. Juste avant l'explosion des deux premières torpilles.

Pour m'en assurer, je repasse sur mon collimateur la séquence finale de la destruction du suspect.

Et j'y trouve bien ce qui m'a inconsciemment frappé.

Juste au moment de la naissance des deux explosions originelles, dans les premières lueurs, avant d'être aveuglé, il m'avait semblé distinguer quelque chose sur le flan du suspect. Une succession de signes.

Sans en comprendre le sens, je m'efforce de reproduire ces signes sur ma tablette magnétique, cela m'occupera pendant la trajectoire de retour.

Et puis lorsque je confierais la bande au labo de recherche, peut-être en tireront-ils quelque chose.

Peut-être pourrons-nous en obtenir un renseignement qui nous évitera à l'avenir de détruire sans chercher à comprendre.

En tout cas, pour moi cela ne ressemble à rien et ne signifie pas davantage de chose.

Et moi, un pilote chevronné de la navale, de gribouiller alors comme un gosse, des lignes qui forment des signes abstraits...

N.A.S.A.

Jean-Marc Dumartin