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Pour : Tout univers


Auteur(s) :

Jean-Luc

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Eastenwest > 13 - C'est dans l'air

De long en large avec Neil Gaiman

La fantasy de Neil Gaiman emprunte ses racines à ce genre très british illustré avant lui par Lord Dunsany et Rudyard Kipling. Il a connecté cet univers féerique au monde contemporain par quelques menus artifices tels que portes et miroirs (" Stardust ", " Neverwhere "). Pas d'impression de déjà-vu avec lui, Neil Gaiman connaît ses classiques et les cite au passage pour nous en faire goûter la saveur. Avec " American Gods ", il expédie la vieille culture européenne aux Amériques pour une confrontation de choc entre les deux mondes.
Par surprise, sa tournée de promotion pour " Coraline " passait par chez nous. Rencontre en chair et en os avec un charmant garçon qui discourt avec humour et autodérision sur sa vie, son univers et le reste.

Pourquoi avoir commencé à écrire ?
Parce que je suis incapable de construire une douche ou de conduire un taxi sans me perdre. Comme je pâlis à la vue du sang, je ne peux être médecin. Je ne maîtrise pas suffisamment un instrument pour supporter d'aller jouer dans la rue ou mendier dans le métro de Paris. L'écriture est donc la seule carrière possible.
J'ai commencé à écrire parce que je pensais avoir des choses à dire. En réfléchissant, je n'avais pas tant de choses à exprimer à mes débuts. Je l'ignorais alors, ce qui ne change évidemment rien. Le délice que j'éprouve à écrire tient à ce que j'apprends au fur et à mesure que je continue à m'améliorer.


Etiez-vous bon élève à l'école ?
J'étais brillant en littérature anglaise et j'écrivais déjà des histoires. Par contre, je pouvais m'ennuyer très rapidement. Je ne faisais aucune concession à mes professeurs. Je croyais que leur métier consistait à éveiller mon intérêt. De toutes façons, je voulais déjà devenir écrivain. Je ne m'intéressais à rien d'autre de ce qu'ils voulaient m'enseigner. J'estimais toutes ces choses sans importance pour un écrivain. Le problème, quand on est adolescent, c'est que cette perspective qu'on se fait est de très courte vue.
A présent, comme j'ai dormi ou lu durant toutes mes leçons de géographie, je voyage à travers l'Europe pour dédicacer mes livres et donner des interviews. Je suis continuellement étonné de me retrouver dans chacun de ces pays. Est-on en Pologne ? J'ignorais que la Pologne se trouvait là ! Et juste après : la Pologne est voisine du Danemark ? Qui s'en doutait ? Je me surprends sans arrêt. En regardant derrière moi, je pense que j'aurais dû m'appliquer plus dans les études.


Avez-vous dû combler votre manque d'éducation par la suite ?
Plus particulièrement au moment où j'écrivais pour " Sandman ". A partir de l'instant où vous devenez un auteur, se documenter devient terriblement passionnant. Sans creuser profondément le sujet, il est possible d'apprendre très rapidement. Simplement en écrémant à la surface dès que la nécessité se fait. A l'école, je n'étais pas présent en histoire. Abruptement, je me suis intéressé à l'Histoire pour mieux écrire mes histoires. En trois semaines, je pouvais me plonger dans la Révolution française pour écrire " Thermidor ". J'ai dévoré les biographies de Robespierre et de Saint-Just. Comment fonctionnaient les comités révolutionnaires, à quoi ressemblait Paris à cette époque ? Tout devient plus enthousiasmant que n'importe quel cours d'histoire : " des français tarés se coupent mutuellement la tête ". J'avais soudainement besoin de savoir cela pour " Sandman " et tout l'intérêt vient de là.


Vous pouvez ensuite vous permettre de réécrire l'Histoire…
Absolument, mais il est nécessaire de bien connaître l'Histoire avant de la changer. J'ai toujours pensé que je pouvais me passer de la science et me débrouiller selon la situation. A présent que je suis adulte, je me suis abonné au " New Scientist ". J'ai découvert à quel point c'est passionnant. On y trouve des gens qui travaillent à faire évoluer la science en permanence. Je peux donc emprunter à ces nouveaux scientifiques ce dont j'ai besoin.

Utilisez-vous vos propres rêves dans le processus d'écriture ?
Certainement, mais pas de la manière que les gens s'imaginent. La logique interne aux rêves n'a rien en commun avec celle des histoires. Quand on tente de relater ses rêves à une autre personne, ils deviennent ennuyeux. Je suis sûr que vous l'avez déjà constaté vous-même. Vous êtes assis devant votre petit déjeuner et vous racontez ce rêve bizarre de la veille :
- " Un chat est quelque part dans la maison, mais il demeure invisible. Sans parvenir à le trouver, nous avons fouillé la maison de haut en bas. En entrant dans la cuisine, j'y ai trouvé une piscine ! "
En racontant ce rêve incroyablement excitant, vous réalisez que vos auditeurs ont perdu le fil. A mon avis, c'est dû au mode de fonctionnement des rêves. Ce qui s'y passe, ce qui est important, vient de l'intérieur. Tout dépend de ce qu'on ressent.
En particulier lorsque j'écrivais " Sandman ", je tirais constamment des images de mes rêves ou des personnages, des instants mais jamais une histoire. La logique des rêves fonctionne par accumulation d'événements. Alors qu'une intrigue avance par enchaînement d'événements. De sorte qu'on se sent attiré en avant.



Vous utilisez souvent l'image d'un miroir ou le passage d'un univers à l'autre, pourquoi cela ?
Les miroirs et les portes m'ont fasciné depuis toujours. Les miroirs, parce qu'on ne peut fondamentalement pas leur faire confiance. Quand j'étais enfant, je voulais sans arrêt m'approcher au plus près du miroir. Histoire de voir si quelque chose pouvait advenir juste au-delà du verre. Si vous voyez ce que je veux dire… Je ne souhaitais pas nécessairement regarder à travers le miroir. On voit tant de choses s'y refléter, mais on en imagine encore plus au-delà de l'angle de vision. Si seulement j'apercevais quoique ce soit d'étrange…
Les portes sont aussi étranges que les miroirs. Encore maintenant que j'ai 42 ans. Imaginez qu'entrant dans un ascenseur, je ne suis jamais certain à 100 % d'être toujours dans le même bâtiment que lorsque les portes se sont fermées. De sorte que je ressens un léger désappointement de constater qu'elles ne s'ouvrent pas sur une jungle sauvage.

Vous ne vous arrêtez non plus jamais au 13e étage, comme ils n'existent pas aux Etats-Unis ?
C'est exact qu'aux Etats-Unis, on passe directement du douzième du quatorzième. Le premier étage débute au rez-de-chaussée, ce qui complique encore les choses.

Vous utilisez de la même manière les anciennes légendes et les bizarreries du quotidien, particulièrement dans " American Gods ". Est-ce que tout cela participe de la même mythologie ?
Je pense que les légendes urbaines sont véritablement une variété de mythologie. Lors de cette tournée, je me suis amusé à le constater. Entre Amsterdam, le Portugal, l'Espagne, le Danemark, la Pologne et l'Italie. Dans chaque petite ville que j'ai visitée, on me désignait un certain restaurant chinois ou d'une autre culture. Les gens me déclaraient très sérieusement qu'un ami proche avait été emmené à l'hôpital après y avoir mangé. Les docteurs, qui lui avaient retiré l'os coincé dans la gorge, s'étonnaient de reconnaître un os de rat (ou parfois un os de chat) ! Je suis persuadé qu'en Chine, on raconte aussi l'histoire d'un restaurant alsacien où un client avait trouvé un je ne sais quoi que les Chinois ne mangent pas. Un os de petit doigt humain ?
Les Américains ont abandonné ou causé l'abandon de leurs traditions par d'autres cultures. J'ai été épouvanté d'apprendre que la seconde ville polonaise au monde est Chicago, après Varsovie. Ce n'est pas en allant à Chicago que vous allez découvrir la culture polonaise. L'unique endroit intéressant pour trouver des signes de culture originelle est la Nouvelle Orléans. Le créole français résiste encore. J'ai trouvé fascinant et triste à la fois cette façon de dénier sa propre culture. J'en ai écrit tout un livre : " American Gods ". Pourquoi les gens sont-ils partis en Amérique ? Pourquoi les Français exilés ont-ils cessé d'être Français ? Pourquoi les Irlandais expatriés ne sont-ils plus Irlandais ?



Est-ce ennuyeux de devoir toujours répondre aux mêmes questions ?
Pas du tout, car chaque pays revient sur certaines questions en particulier. Les questions ne sont jamais les mêmes, d'un pays à l'autre. Si elles l'étaient, les choses deviendraient extrêmement ennuyeuses. En Pologne, les gens voulaient uniquement savoir si je me définissais comme post-marxiste.
- Pensez-vous être post-marxiste ? Etes-vous post-marxiste ? Vous définissez-vous même comme un écrivain post-marxiste ?
Au contraire de l'Espagne où chaque question se rapportait à la mythologie. Je pense que cela tient aux particularités des cultures nationales. Selon sa culture, chacun attache de l'importance à une chose plutôt qu'à une autre.
Ce matin dans l'avion, j'ai parcouru une interview de Lou Reed dans un journal anglais. Le journaliste s'est totalement fourvoyé avec Lou Reed (que j'avais interviewé quand j'étais journaliste). Je sais donc très bien comment il faut le manier. J'observais de quelle manière tout tournait au désastre pendant cette interview. Dans la conversation, Lou Reed se fichait complètement de ce qui s'était passé en 1974. Le journaliste n'avait pas réalisé que pour mener Lou Reed dans les sujets personnels qui vous intéressent, il vaut mieux le laisser discourir durant une demi-heure à propos de sons de guitare. Quand il s'est suffisamment épanché, il vous dira tout ce que vous avez envie d'entendre.

On raconte que votre dernier livre, " Coraline ", est une version moderne d' " Alice au Pays des Merveilles ". Qu'en pensez-vous ?
Très souvent, les gens ont besoin de références et de comparaisons. Elles facilitent beaucoup les choses en cela qu'elles nous évitent d'avoir à réfléchir. Qualifier " Coraline " d' " Alice écrit par Stephen King " rassure immédiatement les gens : " OK, je vois le genre du livre ! " D'un côté, j'apprécie la comparaison avec " Alice au Pays des Merveilles " car c'est un classique, ce qui me flatte. D'un autre côté, j'apprécie modérément la comparaison quand cela signifie que les deux livres ont en commun une jeune héroïne qui passe d'un univers à l'autre. Par contre, lorsque cela signifie tout simplement que mon livre ressemble à " Alice au Pays des Merveilles ", cela pose problème car l'intrigue est tout autre : Alice s'endort, un tas d'événements se déroulent et Alice se réveille. Telle est l'intrigue. Celle de " Coraline " n'a rien à voir.


Au XXe siècle, les contes pour enfants ont été censurés. A présent, on peut à nouveau écrire des histoires pour leur faire peur. Qu'en pensez-vous ?
C'est une très bonne chose. C'est certainement plus sain ainsi. En Irlande, j'étais interviewé l'an dernier au sujet de " Coraline " pour radio Caroline, le jour où deux enfants de neuf ans avaient été tués. On venait de retrouver leurs corps le jour-même. Je m'attendais à ce que les gens m'appelleraient pour me dire de la fermer :
- " Regardez ces choses terribles qui adviennent dans le monde. Pourquoi écrivez-vous d'aussi horribles livres ? "
Bien au contraire, les auditeurs m'appelaient pour me demander :
- " Qu'est-ce qui a mal tourné ? Pourquoi avoir retiré les monstres des histoires enfantines ? Pourquoi avoir arrêté de dire aux enfants que de mauvaises personnes attendaient dehors et qu'elles voulaient leur faire du mal ? "


Les sorcières et les monstres sont bien présents dans les œuvres des frères Grimm. Dans " Hansel et Gretel ", le message peut être réduit à :
1. Vos parents pourraient bien ne pas vous aimer tant que ça. Ils ne tiennent pas forcement vos intérêts à cœur.
2. Les charmantes petites vieilles qui semblent amicales pourraient bien ne pas avoir vos intérêts à cœur.


Voilà d'excellentes leçons à enseigner aux plus jeunes enfants. Dans le cas contraire, ils pourraient oublier qu'une charmante petite vieille peut avoir d'autres intérêts… Je trouve donc excellent d'avoir rapporté les monstres. Pour deux raisons, comme je l'ai exposé au début de " Coraline ". Il est bon de savoir que les monstres existent réellement au-dehors. Il est aussi important de savoir que les monstres peuvent être vaincus. Sinon, lorsque les enfants apprennent l'existence des monstres sans espoir de victoire, vous ne leur avez pas rendu service. Certains adultes expliquent à leurs enfants qu'il faut se méfier des étrangers et leur font comprendre que n'importe qui est un étranger. Quels adultes torturés ne vont-ils pas devenir ? Le plus important à savoir est que même les dragons peuvent être vaincus.

Est-ce que votre propre expérience de père a pu influencer votre manière d'écrire ? Vous leur racontez vos livres ?
Certes, mais uniquement quand j'en ai terminé l'écriture. Je ne m'en sers jamais comme histoires pour endormir mes enfants. Je suis très heureux de fabriquer de telles histoires, mais je pense être meilleur écrivain que confectionneur d'histoires du soir. Je préfère écrire un livre passionnant et ensuite le lire à mes enfants.

Quels types de livres lisez-vous à vos enfants ?
J'essaye de leur lire de bons livres. Pour autant, cela ne me préoccupe pas tant que ça. Soit des histoires déjà écrites ou des livres que j'avais appréciés étant enfant. Le genre simple et naturel comme Mary Poppins, Marica Luicia ou des livres plus obscurs.

Pourquoi écrivez-vous pour les enfants ?
Parce qu'ils sont des lecteurs très exigeants. Egalement parce que j'ai moi-même des enfants et qu'il est bon de convaincre vos enfants que leur père travaille pour de bon. Les enfants sont des lecteurs extrêmement prudents dans leurs choix.


Qu'en est-il de la suite de " Neverwhere " : " les Sept Sœurs " ?
Je vais probablement me mettre à l'écrire après deux ou trois livres. Actuellement, je travaille sur " Strange, funny and hansome boys ", puis un livre pour enfants " the Great Old Book " et " les Sept Sœurs " viendront ensuite.
Ce qui pose problème, c'est qu'il n'existe qu'un moi-même. La facilité serait de faire comme Alexandre Dumas qui dirigeait une équipe d'écrivains pour écrire selon ses directives, puis publier ensuite sous son propre nom. Je n'arrive pas à m'imaginer faire pareil. Comme cela doit être bizarre.


Pourquoi écrivez-vous aussi bien pour la bande dessinée et le fantastique ?
Parce que je m'ennuie très facilement. Si je devais écrire des comics à tout jamais, je deviendrais suicidaire. De même si je ne devais écrire que des nouvelles ou le même genre de nouvelles. J'adore l'idée que je peux écrire comme j'en ai envie. J'en suis capable. Et aussi car cela me permet d'apprendre de nouvelles aptitudes. J'aime savoir qu'il existe des choses à apprendre. Une des raisons pour lesquelles j'ai arrêté d'écrire des comics en 1996 était justement que j'étais assez bon dans ce domaine. Après neuf années de pratique, je me débrouillais. Mais je ne pouvais pas essayer d'autres choses. Je me sentais capable d'écrire aussi bien des nouvelles que des comics. Je me suis donc lancé dans cette direction.

Vous avez multiplié les collaborations avec David McKean et Terry Pratchett pour tâter le terrain ?
David McKean était tout aussi novice que moi à nos débuts. Dans les comics, il faut bien trouver quelqu'un pour dessiner ce que vous écrivez, si vous ne savez pas dessiner. Personne ne choisit d'emblée de faire appel à un collaborateur. Pour " De bons présages ", je finissais alors " Ne paniquez pas ! " ma biographie de Douglas Mc Adam, l'auteur du Guide du Routard Galactique. J'ai mis de côté " De bons présages " après l'avoir commencé car je manquais de temps. Non que je ne fusse pas capable de le terminer, mais " Sandman " me prenait alors tout mon temps. Ce livre aurait pu finir comme " Coraline ", que j'ai mis dix ans à écrire. Je ne peux m'y atteler que pendant mes courtes périodes de temps libre. Je l'ai envoyé à Terry Pratchett et un an après, il m'a proposé de le terminer ensemble. Il trouvait l'idée excellente et savait où la mener. J'adorais le fait que Terry soit un écrivain doublé d'un artisan. Je me sentais tel un apprenti. Comme si je devais fabriquer une chaise (pas forcement une Louis XVI), en apprentissage auprès d'un vieux fabricant de chaises.

Où en êtes-vous dans l'adaptation au cinéma de vos œuvres ?
En cette matière, je ferais une analogie avec les contes de fées. Lorsqu'on traite avec les êtres fées, l'argent gagné se change en feuilles mortes et disparaît en tourbillonnant. Avec Hollywood, ils achètent la moindre note que j'écris, on discute âprement de projets à venir et un matin quand je me réveille, tout a disparu sauf un monceau d'argent. Quelle conclusion en tirer ?
J'ai écris pour ce qui devrait être le prochain film de Robert Shemekis, si rien d'autre n'advient. La majorité de mes films sont sous option. L'année passée, au début de septembre 2001, Terry Gillian détenait le script et avait réuni les stars pour " De bons présages ", le budget était prêt pour 65 millions de dollars (plus 15 millions de dollars venant d'Europe) à la condition de trouver un distributeur pour les Etats-Unis à hauteur de 15 millions de dollars. Tout se déroulait à merveille, pas de casse-tête, Terry Gillian aux commandes, les fonds quasiment réunis, un livre unanimement apprécié - probablement l'histoire la plus amusante jamais écrite sur la fin du monde, où je veux bien mourir. Johnny Deep était prêt à jouer, ainsi que Robin Williams.
Puis un tas d'idiots ont envoyé un paquet d'avions dans quelques immeubles. Donc Hollywood décida que les histoires de fin du monde n'étaient pas si amusantes que cela. Tout est tombé à l'eau, Terry Gillian avec.
Pour " Coraline ", Henri Selec (" the Nightmare before Christmas ", " James et la Pêche Géante ") est prévu pour en faire un film. J'espère sincèrement qu'il se fera. Mais actuellement je suis plutôt le mot d'ordre de Mel Brooks : " Espère le meilleur et attends-toi au pire ". Quand Hollywood s'en mêle, je ne m'attends pas à plus.


Peut-on dire que vous êtes parfois semblable à Barton Fink ?
Occasionnellement. Il arrive que je ressente le besoin urgent de purifier Hollywood par le feu. Hollywood peut se révéler un endroit très frustrant. Spécialement lors de conversations à la Barton Fink durant certaines réunions. Cependant et à mon avis, la génération actuelle de décideurs fous d'Hollywood offre beaucoup moins d'intérêts que la précédente, au temps de Barton Fink.

Est-ce que la nouvelle génération continuera à lire ?
Jusque-là, elle n'a pas arrêté. En réalité, l'Internet pousse les gens à lire et écrire plus souvent. Je constate qu'en général, les journaux sont de plus en plus suivis depuis l'arrivée de l'Internet. Les ventes des livres ne cessent d'augmenter. Pas le contraire. Les gens écrivent de plus en plus. On disait que la télévision allait tuer les livres. Au contraire, l'Internet concurrence sérieusement la télévision, au point d'affecter ses recettes publicitaires. Le Web élargit son audience car il permet certainement d'atteindre le monde entier. Avec 5 000 canaux télévisés, personne n'a réellement le temps d'en suivre la programmation. Nous avons grandi dans une génération qui disposait d'un maximum de trois chaînes de bonne qualité. A partir du moment où chacun aura accès par satellite à un million de chaînes, on découvrira soudainement le paradoxe américain selon lequel " plus il y a de choses à voir, moins on trouve de bonnes choses à voir ".
Internet vous détourne de la télévision, car il offre la liberté de choix. De même avec le DVD. Au lieu d'attendre que son feuilleton sorte, il est plus simple de patienter jusqu'à la fin de la saison pour acheter le DVD et tout visionner dans une excellente qualité, à son rythme, voire avec des bonus.
Personnellement je trouve les livres parfaits. J'en suis convaincu. Je ne crois pas à cette idée selon laquelle J.K. Rowling a incité à lire tous les enfants du monde. Harry Potter, la renaissance du livre ? C'est faux. Cela ne s'est pas passé ainsi. Des enfants lisent Harry Potter comme ils ont toujours lu.

Vous êtes-vous intéressé aux jeux de rôles ?
Pas particulièrement. Parfois je découvre qu'une personne a adapté un de mes livres en jeu de rôle. D'autres fois, des créateurs de jeu de rôle ont déclaré s'être inspirés de mes œuvres. Mais je n'ai jamais joué à ces jeux et n'ai pas senti l'envie d'en écrire un. Ceux parmi mes amis qui en écrivent jouent également. Ils adorent s'asseoir dans l'obscurité et quelqu'un annonce : " OK, si tu réussis ton jet de dé, tu pourras vaincre ce monstre, sinon c'est lui qui va te manger ". Ou alors : " ça y est, tu as gagné, mais tu as perdu une main dans le combat ". En tant qu'écrivain, je préfère l'idée de gérer des possibilités infinies. En cours de jeu, je serais probablement le type le plus cool :
" Vous êtes dans un Londres envahi par le fog dans les années 1890 et quelqu'un vient d'être assassiné.
- Parfait. Je pars en vacances. "

Je ne pense pas que cela soit une attitude appropriée pour un rôliste.


Pensez-vous que les livres et les journaux existeront encore dans une dizaine d'années ?
A mon avis, l'Internet a généré plus de journaux que par n'importe quoi d'autre dans l'histoire de notre civilisation. J'ai lu ce matin une lettre publiée par le journal " the Gardian " qui m'a étonné par sa stupidité. Chaque ministre anglais doit rapporter chez lui un rapport de deux cent pages qui explique tous les tenants et les aboutissants de l'Euro sur l'économie. Le lecteur explique que c'est stupide et dispendieux de la part du gouvernement qui devrait tout publier sur Internet sur un site réservé aux ministres. Je pense que personne ne va passer 48 heures à scruter un écran pour absorber deux cent pages d'informations. Son premier réflexe sera de tout imprimer.
L'Internet n'a aucune chance de faire disparaître les livres. De tels objets ne tombent pas en poussière parce qu'ils sont vieux. Le requin est une forme de vie âgée de 240 millions d'années. Les requins existaient avant l'apparition des dinosaures. Les requins possèdent encore la même ligne fondamentale de nos jours. Pas d'os, mais des cartilages ; pas d'écailles, mais une peau de requin. Depuis 200 millions d'années, les dinosaures sont venus et repartis, les mammouths aussi et les requins sont toujours là. Tout simplement parce que rien n'est arrivé pour les remplacer. Rien ne surpasse le requin. Il occupe parfaitement sa niche écologique dans la chaîne alimentaire. Tout ce qui se trouve au-dessous de lui, il le mange.
Un livre est pareil au requin, telle est mon opinion. La forme et la taille d'un livre sont parfaitement adaptées à sa fonction. Il est vendu prêt à l'emploi. Nul besoin de piles. Il ne se brise pas quand on le fait tomber. Il peut être lu à un bar. Il tient dans la poche. Il est suffisamment bon marché pour être perdu ou volé sans dommage. Il dispose d'un système de mémoire instantanée à l'accès en cours, qualifié de " signet ". Tellement plus rapide que tout ce qu'on pourrait imaginer. Il dispose également d'un accès instantané aux informations antérieures, ce qui signifie qu'il suffit de tourner les pages en arrière. Un moyen étonnant et efficace pour conserver des informations, et si agréable à utiliser.
J'imagine que dans le futur, nos encyclopédies et les gros livres de référence seront stockés de manière électronique. Il paraît que je suis un des meilleurs vendeurs d'E-books, en tant qu'auteur. Autour de 500 acheteurs par an téléchargent mes livres sous forme électronique pour les lire. La différence entre la littérature téléchargée et la musique téléchargée est très simple. Il est très simple de télécharger de la musique, car on peut facilement dupliquer une chanson à l'identique pour la copier du Web sur l'ordinateur, sur CD ou le lecteur MP3. Le produit reste toujours le même. Alors que si vous scannez la totalité du nouveau Harry Potter, qui voudrait imprimer ces 700 pages ? Il est beaucoup plus simple et moins cher d'aller acheter ce livre. D'autant que l'objet est plus agréable à manier. Les livres sont donc comme les requins. Ils vont continuer à nager pour longtemps encore. Si quelqu'un invente un jour une chose capable de remplacer un livre, il n'y est pas encore arrivé. Et ce n'est pas un Palm Pilot.

BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE DE NEIL GAIMAN:


NEVERWHERE

CORALINE

DE BONS PRESAGES

(avec Terry Pratchett)

AMERICAN GODS

STARDUST

MIROIRS ET FUMEES
(nouvelles)