Roman


Pour : Médiéval-fantastique


Auteur(s) :

Philippe de QUILLACQ

Illustrateurs(s) :

Ghislain THIERY


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Eastenwest > 11 - Entre les frontières



Humble Mortel, chapitres 19-21

Voilà donc la suite de ce roman épique commencé dans le numéro 5 et poursuivi depuis. Comme d'habitude, n'hésitez pas à envoyer vos commentaires à l'auteur pour lui faire part de vos impressions. Bonne lecture.

Chapitre XIX

Plusieurs jours s'écoulèrent avant que Romik et les elfes ne soient convoqués par le Clairvoyant. Lorsqu'ils se réunirent de nouveau, ce dernier avait les traits tirés ; il semblait ne pas avoir dormi depuis de nombreux jours. Il prit la parole.

" Comme je vous l'ai annoncé le jour de votre arrivée, j'ai pris le temps de chercher dans nos archives des informations sur ce mystérieux esprit malfaisant usurpant l'identité de Garsha. Malheureusement, les documents que j'ai pu trouver sont en très petit nombre et il n'y a aucun fait décrit explicitement, mais juste des allusions. Je vais vous relater ce que j'ai pu apprendre. Il semblerait qu'il y a fort longtemps de cela - même aux yeux d'une vie elfe - un peuple elfe aida Ajelebathan à bannir un démon de ce monde. Je n'ai pu, hélas, obtenir que très peu de détails sur cela. Je ne pourrais dire qui étaient les elfes qui y avaient participé. De surcroît, j'ignore totalement l'identité de ce démon, ce qui nous pénalise.

- Avez-vous pu obtenir d'autres informations nécessaires ? S'enquit Gwantholin.

- Oui. Comme vous le savez, lorsque Anoïzalkel révéla son véritable visage, Ajelebathan le bannit, lui et les anges déchus qui l'avaient suivi. Ils furent exilés dans un autre plan d'existence, celui que vous appelez l'Enfer, dit-il en regardant Romik. Ils sont théoriquement isolés de notre monde et ne devraient pouvoir exercer une quelconque influence ici. Mais il semblerait que la texture englobant l'Enfer ait quelques failles. C'est ce dont les textes que j'ai trouvés faisaient mention ; il y a plus de six mille ans de cela, un puissant démon réussit à affaiblir suffisamment cette texture pour présenter le risque de débarquer sur ce monde. Le texte dit que de mystérieux prêtres-mages elfes, nommés les Wæïnetogethaj parvinrent, avec l'aide d'Ajelebathan à empêcher ce démon de venir ici. Mais le parchemin que Gwantholin nous a apporté démontre que cette sombre entité est de retour. Elle a déjà suffisamment miné la texture pour exercer son influence malsaine sur des orcs, se faisant passer pour Garsha, la déesse des Ombres. C'est lui qui les a forcés à vous attaquer.

- Et que pouvons-nous faire ? Questionna Targetelan.

- Toujours selon le parchemin de Gwantholin, il nous faut nous rendre au Sanctuaire Maudit. C'est là-bas que nous pourrons faire quelque chose. Le message m'en a donné la localisation, bien qu'elle soit incertaine...

- Que devrons-nous faire une fois parvenus à destination ? Interrogea Sergojvalitur.

- Je l'ignore, et je nous vois forcés d'improviser sur place. Mais même avec si peu d'informations, nous nous devons d'agir car on ne saurait laisser Garsha venir dans ce monde. Il apporterait avec lui d'autres démons et sèmerait le chaos et la destruction. Il détruirait toute espèce vivante bienveillante, en particulier les elfes, car sa rancœur envers les immortels a germé depuis que les Wæïnetogethaj lui ont barré la route. Aussi, je vous propose de partir d'ici quelques jours, dès que les préparatifs seront effectués.

- Et nous faudra-t-il nous y rendre en grand nombre ? Demanda Aïnedegathel. Cela pourrait être très dangereux.

- Je pense que nous devrions plutôt miser sur la discrétion, répondit le Clairvoyant. Garsha a assez de pouvoir pour faire front à une armée entière. De plus, vous savez très bien que les affrontements en terrains découverts ne sont pas dans nos habitudes. Ceci est affaire d'humains. Il nous faudra donc nous rendre au Sanctuaire Maudit en petit groupe.

- Je ne sais pas si c'est raisonnable, commenta Romik. Nous avons déjà eu beaucoup de mal à essuyer les attaques des orcs et il y a peut-être encore plus d'ennemis au Sanctuaire Maudit. Vous dites que les champs de bataille sont affaires d'humains, alors je me demande si on ne devrait pas faire appel à notre peuple pour vous aider.

- Si l'Ertelie soulevait une armée pour aller au Sanctuaire Maudit, il n'y aurait pas pire moyen pour montrer à Garsha que nous voulons le contrer. Il rassemblerait alors tous les monstres qu'il pourrait contrôler et balayerait ces pauvres soldats. Peut-être vous dites-vous qu'avec l'aide des contrées avoisinantes nous pourrions remédier à cela, mais c'est sans espoir. Vous autres, humains, êtes bien trop divisés pour vous rassembler en une gigantesque armée. De plus, je vois mal comment convaincre vos dirigeants de faire cela. Non, je pense que la meilleure idée est d'y envoyer un petit groupe.

- Pourtant, les craintes de Romik sont fondées, rétorqua Eanepalith. Qu'est-ce qui pourrait vous faire croire que nous ne nous ferions pas de nouveau attaquer, même si nous essayons d'être le plus discret possible ?

- Vous avez été retrouvés grâce à de la magie, j'en suis quasiment sûr. Même des orcs n'auraient pas pu vous retrouver aussi aisément. J'ai la supposition que c'est ce mystérieux parchemin qui leur servait de balise. Il faudra donc le laisser à Arnœd Keïtzan pour éviter tout risque de se faire repérer.

- Mais comment ferons-nous alors, une fois parvenus au Sanctuaire Maudit ?

Althgovifen se releva.

- Si on doit agir sans l'aide du parchemin, alors je vous accompagnerais.

A la suite de cette déclaration, Romik perçut une certaine nervosité chez ses voisins.

- Je pensais que l'âge de vadrouiller de part le monde était révolu, mais je suis dans l'obligation de quitter Arnœd Keïtzan. Sachez, si vous souhaitez venir, que vous pourriez courir de nombreux risques, je ne vous le cache pas. Méditez sur cela.

La salle resta pensive pendant un long moment.

- Je vous propose de revenir ici demain, trois heures après l'aube. "

Les elfes sortirent en silence. Romik, en quittant la pièce, se retourna. Althgovifen le regarda quelques instants, sans mot dire.

" Alors, que penses-tu de tout cela, Gwantholin ? Demanda Romik.

Il avait mis du temps à la rattraper car elle était sortie rapidement et marchait d'un pas vif.

- Cela m'intrigue beaucoup, répondit-elle. Cette menace qui pèse sur nous... je ne sais pas... je ressens cela d'une façon si étrange, comme si j'y étais impliquée...

- C'est compréhensible. Après tout, c'est bien toi qui a eu cette vision qui t'a amenée à Fnor Ingël.

- C'est vrai.

- Donc je suppose que tu souhaites prendre part à ce voyage ?

- Oui ; je me sens concernée. Et toi, que veux-tu faire ?

- Je ne sais pas. Ça a l'air loin, et on va sûrement affronter beaucoup de dangers. En plus, ça peut prendre du temps...

- Plus d'une lune, sois en averti.

- Cela retarde alors beaucoup mon retour pour Stanok.

- Ton ancienne vie te manque-t-elle ?

- J'aimerais revoir ma famille, leur dire que je vais bien et qu'ils n'ont pas à s'inquiéter pour moi. Ma vie à Stanok me manque parfois, mais je crois que je suis plus heureux ici, parmi vous. Je vous trouve si fascinants, que ce soit vous ou ce qui vous entoure...

- Je crois que différents est un terme davantage approprié répondit calmement l'elfe.

- Si tu le dis... Tu es mieux placée que moi pour en parler.

- Je te mentionne que tu n'as toujours pas répondu à ma question lui dit gentiment Gwantholin.

- Oh, je pense que je vais venir, parce que je crois que je préfère rester avec vous plutôt que de rentrer à Stanok. Et si tu pars, je ne vois pas de raison de rester à Arnœd Keïtzan.

- Je suis heureuse que tu viennes.

- Ah oui ?

- Je vais te dire une chose. Je me souviens qu'après notre départ de Fnor Ingël je m'étais demandé si je n'avais pas fait une erreur en te laissant venir avec moi.

- Il faut dire que tu n'as pas fait beaucoup d'efforts pour être amicale, ces jours-là. Tu étais tellement distante... Pas étonnant que je ne fusse plus trop enthousiaste et que tu te sois posé cette question...

- Tu as raison, je t'avais mal traité ; je te prie de m'en excuser.

- Allons, tu sais bien que je ne t'en veux pas lui répondit-il en lui souriant.

- Quoi qu'il en soit, c'est depuis cette attaque nocturne que j'ai réalisé que tu n'étais pas l'adolescent inexpérimenté que je voyais. Tu as du courage, et de la valeur ; je t'avais méjugé et j'en ai tiré une leçon. Auparavant, je connaissais peu de choses des mortels, je ne m'intéressais guère à eux ; j'ai eu tort... Et je ne me suis pas trompée, ta présence nous a été et nous est toujours utile.

- On me dit rarement des choses pareilles lui confia Romik.

Il essayait de ne pas le montrer, mais il était ébahi par cette déclaration qui le laissait perplexe. En effet, cela lui faisait se poser beaucoup de questions sur ce qu'éprouvait l'elfe pour lui. Il pensait avoir clairement compris qu'elle ne voulait pas de lui, mais pourtant... Il aurait aimé pouvoir la prendre dans ses bras, la serrer tout contre lui... Mais lui revinrent à l'esprit des choses qui l'en dissuadèrent : le chagrin qu'avait éprouvé Gwantholin lorsqu'ils s'étaient embrassés, après le tragique affrontement avec le golem de chair. Il y avait aussi la tragique histoire de Kaseltinera et de Feldan. Elle démontrait le caractère douloureux de pareille relation.

- Donc tu viens, répéta inutilement l'elfe. Es-tu suffisamment rétabli pour ce voyage ?

- Targetelan m'a fait un bandage bien serré, elle a dit que si je ne faisais pas trop d'efforts je me rétablirais sans problèmes. Mais cela va prendre un certain temps... Alors penses-tu que c'est vraiment bien raisonnable que j'aille à ce Sanctuaire Maudit ?

- Assurément non... se rendre là-bas est une chose déraisonnable. Pour tout le monde ; Kallapeav'l ne nous l'a pas caché...

- Kallapeav'l, dis-tu ?

- kallapeavod signifie clairvoyance. Nous employons cette expression pour parler d'Althgovifen. Mais je pense que tu seras rétabli d'ici que nous y arrivions. Les pouvoirs de Targetelan favorisent ta guérison, bien qu'ils ne te guérissent pas instantanément. Maintenant, j'aimerais que nous changions de sujet de discussion. Cela ne m'est pas très agréable de penser à ce qui nous arrivera.

- Oui, peut-être. J'aimerais toutefois te poser une dernière question sur ce sujet : penses-tu qu'Aïnedegathel viendra, elle aussi ?

- Je sais que la mort d'Avemenkel l'a profondément affectée. Depuis, elle est encore plus engagée à combattre Garsha et ses séides. Tu sais, je la connais depuis sa naissance. Elle est presque une sœur pour moi et je la connais bien. A mon avis, elle nous accompagnera.

- Je vois, cela ne la gêne pas de venir, de prendre des risques inconsidérés car elle n'a plus peur de la mort.

- Mais qu'est-ce qui pourrait bien te faire dire cela ? Ce que tu dis est horrible...

- Ça t'a choqué, mais je crois que c'est vrai. Ce n'est que lorsque je lui ai parlé après la mort d'Avemenkel que j'ai réalisé l'ampleur de l'amour qu'elle lui portait. Je n'ai jamais aimé quelqu'un, mais je peux avoir une idée de ce que l'on ressent lors de la perte de la personne qu'on aime. Et crois-moi, j'avais vraiment pitié d'elle lorsqu'elle s'est jetée dans mes bras et qu'elle a pleuré. Elle souffre beaucoup.

- C'est vrai, cela lui fait beaucoup de mal. Surtout qu'elle est jeune, et très sensible.

- Bon, tu voulais qu'on change de sujet de discussion. Alors de quoi voudrais-tu qu'on parle ? Demanda Romik.

- Oh, je pensais aller voir un ami que je n'ai pas vu depuis de nombreuses lunes. C'est une bonne occasion d'aller le voir, puisqu'il n'est pas très loin d'ici.

- Bien, dans ce cas, je vais te laisser se contenta de lui répondre Romik.

- Tu peux venir, si tu veux. Ta présence ne sera pas gênante.

- En es-tu sûre ? Je ne voudrais pas avoir l'impression d'être de trop.

- Viens toujours. Tu ne pourras le savoir qu'après avoir essayé. "

Chapitre XX

Ils marchèrent pendant quelques minutes puis Gwantholin frappa à la porte d'une maison assez petite mais bien bâtie, située dans une petite rue. Un elfe ouvrit et Gwantholin se jeta dans ses bras ; ils s'étreignirent assez longuement. Romik serra les dents : il eut un sentiment d'énervement, puis de mal-être, comme s'il prenait conscience que sa place n'était pas ici.

" Romik, voici Garledis, un ami qui m'est cher. Puis se tournant vers l'elfe : je te présente Romik, un ami qui m'est lui aussi cher. Tu devras t'adresser à lui en ertelien.

- Je n'ai de toute façon, jamais entendu parler d'un mortel s'exprimant dans notre belle langue déclara-t-il en saluant Romik d'un signe de tête. Alors c'est vous, l'humain dont j'ai entendu parler ? Et tu dois donc aussi faire partie du groupe auquel il était rattaché ? Dit-il en adressant un regard interrogateur à Gwantholin.

- Oui, nous sommes bien le groupe qui est arrivé ici il y a quatre jours.

- Bien, je pense que tu as plein de choses à m'apprendre. Moi aussi, d'ailleurs. J'ai connu plusieurs changements depuis la dernière fois où nous nous sommes vus. "

Garledis continua à parler à Gwantholin, mais en elfique, cette fois-ci. Il l'invita à entrer dans sa demeure en passant un bras autour de son épaule. Romik les suivit.

Ils prirent place dans la salle de séjour et s'installèrent dans de curieux fauteuils en bois. Garledis leur servit à boire du vin et il s'entretint longuement avec Gwantholin. Romik s'ennuyait, et après avoir vidé son verre, il se leva. Deux oiseaux aux couleurs vives étaient juchés sur un perchoir en bois taillé, fixé sur un petit banc de sable. Les oiseaux piaillaient joyeusement et les entendre chanter raviva un peu l'humeur de Romik. Il les admira, puis s'enhardit et lissa leurs plumes sans que les bêtes ne lui donnent de coups de bec.

" Vous vous intéressez à mes oiseaux ? Lui demanda Garledis. Allons, ne restez pas là-bas. Revenez ici et resservez-vous du vin. Je suis sûr que vous avez plein de choses passionnantes à me conter.

Romik obéit et il retourna à son siège. Garledis remplit son verre.

- Alors, quel effet cela vous fait-il de vous trouver à Arnœd Keïtzan ? Cette cité n'est-elle pas merveilleuse ? Lui demanda Garledis, un brin condescendant.

- Oui, elle est magnifique. Je suis heureux d'avoir eu la chance de pouvoir la contempler.

- Cela doit vous changer de vos villes si sales et si populeuses...

- Je ne suis pas d'accord. Fnor Ingël, notre capitale, est une ville qui a beaucoup de charme, même si certains de ses quartiers ne sont guère fréquentables. Et c'est justement parce que c'est une grande ville qu'il y a une multitude de commerces plus attrayants les uns que les autres.

- Bien, si vous le dites... Avouez toutefois que vous préféreriez vivre ici, même si on ne vous laissera jamais faire cela.

Romik fronça les sourcils ; l'ambiance commençait à être tendue.

- Et pourquoi ne pourrais-je pas m'établir ici ? Demanda-t-il, déterminé à mettre les pieds dans le plat.

- Allons, vous devez savoir qu'il vaut mieux qu'elfes et humains évitent de se côtoyer, c'est mieux pour chacun.

- Je ne suis pas sûr que tout le monde soit de cet avis et je sais que ma compagnie ne dérange pas certaines personnes.

- Il se fait tard déclara Gwantholin décidée à mettre un terme à cette discussion. Nous allons rentrer au palais.

Gwantholin se leva, suivie de Romik. Garledis ferma la marche.

- Ainsi vous logez au palais ?

- Oui, le Clairvoyant nous a permis de nous y établir provisoirement.

- C'est très aimable à lui. Je suppose que c'est pour un entretien avec lui que vous êtes venus ici.

- C'est cela, mais nous en parlerons une autre fois, si nous avons l'occasion de nous revoir, lui répondit Gwantholin. "

Ils se trouvaient sur le perron de la petite demeure. Gwantholin et Romik s'apprêtèrent à partir mais Garledis retint l'elfe et lui parla en elfique. Elle se tourna vers Romik et lui fit comprendre d'un regard qu'elle le rejoindrait.

Romik traversa alors le petit jardin et patienta dans la rue. Il pouvait entendre les deux elfes parler mais de toute façon, il ne comprenait rien à ce qu'ils disaient. Garledis regardait l'humain tout en parlant ; en réponse, Gwantholin le toisa et s'adressa à lui avec sévérité. Il lui répliqua alors une phrase d'un air que Romik perçut comme dédaigneux et Gwantholin le gifla. Romik fut fort surpris de pareil comportement venant d'elle. Puis Garledis referma la porte et la charmante elfe rejoignit l'humain.

Elle marchait d'un pas vif et Romik resta muet pendant un certain temps. En effet, elle semblait assez énervée et lui adresser la parole ne semblait pas être un bon choix. Toutefois, un peu avant d'arriver au palais, Romik se décida quand même à lui demander ce qui s'était passé.

" Cela ne te regarde pas se contenta de lui répondre Gwantholin.

- Je n'en suis pas certain, rétorqua Romik. Je crois que ton ami parlait de moi avant que tu ne le gifles. Alors ne pourrais-tu pas me dire ce qui est arrivé, s'il te plaît ?

- Disons qu'il a été impertinent. Il a dit du mal de toi, et de moi par la même occasion.

- Continue...

- Ecoute, Romik. Je n'ai pas passé avec Garledis un moment aussi agréable que je l'avais espéré et je préfère ne plus y songer. Peut-être pourrons nous en parler une autre fois.

- Pardonne-moi mon indiscrétion, mais je voudrais savoir quelque chose.

- Vas-y, demande-moi.

- Euh... Tu es attachée à Garledis ?

- Oui, je me souviens qu'il y a quelques années de cela nous étions très liés.

- Et... hum ! Il s'est déjà passé quelque chose entre vous ?

- Tu veux savoir si nous nous sommes aimés, est-ce cela ?

L'humain rougit, honteux d'avoir abordé un sujet aussi personnel.

- Euh, oui ; j'ai... J'ai eu l'impression en te voyant l'étreindre qu'il s'était passé quelque chose entre vous... bafouilla-t-il.

- A vrai dire, avant de partir d'Arnœd Keïtzan je n'étais pas sûre de mes sentiments pour Garledis. Je dois dire que j'ai été attirée par lui, si c'est ce que tu voulais savoir... Je m'aperçois que je me suis trompée sur son compte. Il a tellement changé ! Il est devenu si arrogant, si fier de lui...

- Et tout ça par ma faute, à cause de ma présence ici.

- Romik, tu n'y es pour rien. Tôt ou tard, il aurait bien fini par se comporter ainsi, même s'il ne t'avait pas rencontré.

- Si, je suis parfaitement conscient que j'y suis pour quelque chose. C'est parce que je suis un humain, et bon nombre de tes congénères ont du mal à l'accepter. Mais je ne peux pas leur en vouloir, ils ont des raisons tout à fait acceptables de vouloir m'écarter d'eux.

- Ne te dénigre pas de la sorte, cela m'attriste. Tu dois savoir que tout le monde n'est pas comme ça. Tu es apprécié de certaines personnes, dont moi ; pour les autres, laisse-leur du temps et ne t'en offusque pas.

- Je suis touché que tu essayes de me remonter le moral. Vraiment, ça me touche beaucoup.

- Tu es jeune, et tu as encore beaucoup de choses à apprendre de la vie. Tu as passé des moments difficiles, et cela continuera. J'essaye simplement de t'aider à mieux supporter ces épreuves et à regagner ta confiance en toi. "

Ils arrivèrent au palais. Le soleil était couché et les effets de la fatigue se faisaient sentir. Romik et Gwantholin se souhaitèrent bonne nuit. Le lendemain serait un jour important : ils quitteraient la splendide Arnœd Keïtzan pour un long voyage, dont ils ne reviendraient peut-être pas...

Romik se leva assez tard. Il s'étira assez longuement en regrettant de pas pouvoir dormir un peu plus. Mais il était grand temps de songer à se préparer au voyage et, de toute façon, il savait qu'il ne se rendormirait pas. Il sortit de la petite pièce où il logeait et arpenta le long couloir. Les portes des chambres voisines étaient pour la plupart ouvertes, donnant sur les elfes qui l'avaient accompagné effectuant leurs préparatifs avec flegme. Romik se dirigea vers la pièce où était servi le petit déjeuner. Il y avait peu de monde et il n'y trouva qu'Aïnedegathel et Dakgonthë. Les deux elfes étaient attablées, mais elles s'étaient déjà restaurées et discutaient pour le moment.

" Bonjour ! Dit joyeusement l'humain. Il fait un temps splendide, aujourd'hui !

- Effectivement, répondit Dakgonthë. Cela me réconforte un peu : même si nous allons quitter Arnœd Keïtzan, cette première journée de voyage sera très certainement agréable.

- J'avoue aussi qu'être en pleine nature me manque renchérit Aïnedegathel.

- En parlant du voyage, savez-vous qui en fera partie ?

- Je crois que tout le groupe a décidé de venir lui répondit Aïnedegathel qui se tourna vers Dakgonthë, qui hocha d'approbation. Althgovifen nous a dit qu'il venait lui aussi. Mais en dehors de cela, j'ignore qui d'autre nous accompagnera.

- Je crois qu'aucun d'entre nous n'a été mis au courant, soutint Dakgonthë. Nous n'avons plus qu'à attendre.

- Je te mentionne aussi que nous partirons à la midi, si tu souhaites toujours nous accompagner déclara Aïnedegathel.

- Bien sûr que je viens. Je me préparerai après avoir mangé. "

Dakgonthë se leva et sortit afin de terminer ses préparatifs. Romik et Aïnedegathel restèrent dans la pièce, le temps que l'humain ait le ventre rempli, puis chacun retourna dans sa chambre se préparer.

Au zénith, tout le monde se retrouva en face du palais d'Althgovifen. Les chevaux étaient présents et les affaires avaient été posées sur leurs dos. Les deux bêtes de somme étaient aussi du voyage et elles portaient des fournitures supplémentaires. Il y avait là tous les elfes qui avaient accompli le voyage depuis la Forêt Sombre : Gwantholin, Aïnedegathel, Sergojvalitur, Firdofeïm, Eanepalith, Ilpalfejid, Dakgonthë, Targetelan ainsi que Ruvmirtik. Apparemment, tous se sentaient impliqués dans ce voyage puisque tous étaient venus. Le Clairvoyant, comme convenu était aussi présent.

" Je vous rappelle que vous n'êtes nullement obligés d'accomplir ce voyage, annonça Althgovifen. Sachez que vous pouvez rester ici si vous le désirez. Je vous préviens que ce périple ne sera certainement pas sans risques et vous pouvez vous attendre à perdre votre vie. La quête que nous allons entreprendre est primordiale pour le devenir de notre peuple ainsi que des autres espèces. Peut-être devrez-vous vous sacrifier pour toutes ces personnes ; je tiens absolument à ce que vous en soyez informés. Je vous rappelle que vous pouvez ne pas nous accompagner, je pourrais tout à fait être amené à vous comprendre. " Il promena un regard interrogateur sur chaque personne et, au consentement tacite général, il fit avancer sa monture en direction des portes de la ville.

Le voyage commença. Ils sortirent donc d'Arnœd Keïtzan et pénétrèrent dans la forêt, puis prirent la direction du sud. Romik se retourna et contempla la cité avec une certaine tristesse à l'idée de ne plus pouvoir l'admirer. Il espéra qu'il pourrait un jour avoir la joie d'y revenir.

Ils évoluèrent pendant plusieurs heures dans la forêt luxuriante. Firdofeïm avait pris de l'avance sur le groupe afin de s'assurer du bon état du chemin pour mieux les guider. Le voyage se faisait en silence, hormis quelques brefs échanges entre les elfes ou des piaillements d'oiseaux. Romik montait toujours la même jument, à cru. Il avait refusé d'utiliser une selle et des rênes, même si la conduite était plus difficile en raison de son état de santé. Il dirigea sa monture vers celle d'Althgovifen car il avait quelque chose à lui demander :

" J'aimerais savoir pourquoi d'autres elfes ne sont pas venus avec nous. Cela me semble assez étrange, lui exposa Romik.

- Tout d'abord, ils doivent se sentir moins impliqués par cette mission que vos amis, car vous avez été confronté directement au mal. Ensuite, je n'ai pas parlé de Garsha à tout le monde. Bien évidement, presque tout le monde a été informé de ce qui vous est arrivé et de la présence d'un humain dans la capitale elfique, mais ils ne sont pas réellement au courant de notre but. Ceci explique en partie que d'autres personnes ne nous accompagnent pas.

- Vous voulez donc dire que ceci est un secret, puisque vous en avez parlé à si peu de monde...

- Je n'entends pas cela comme un secret ou une nouvelle que je cache au peuple. Ils ne sont pas encore informés de la venue potentielle de Garsha et je ne pense pas qu'il aurait été bon de le divulguer avec précipitation. Mais ils seront avertis tôt ou tard, soyez-en assuré. De plus, je vous précise que je n'ai rien fait pour forcer quiconque à venir ; je vous rappelle que nous devons agir sans nous faire repérer, et le nombre de participants à cette expédition est suffisant, à mon avis. Plusieurs personnes sont au courant de cette affaire mais je ne les ai pas incitées à venir. Je mets déjà beaucoup de vies en péril et je ne voudrais pas aggraver cela. Nous n'allons pas mener une guerre, au sens vous l'entendez ; il n'y a pas besoin de grand monde pour accomplir cela. Nous devons agir dans la discrétion et la rapidité.

- Je comprends, mais je trouve quand même cela assez surprenant... Althgovifen, je vais changer complètement de sujet : pourriez vous me parler de vous ? Je vous trouve assez différent des autres elfes.

Le Clairvoyant lui sourit.

- Votre question est assez embarrassante, car j'ai beaucoup à dire. Il faudrait que vous soyez plus précis.

- Commencez par me dire quel âge vous avez.

- Oh, je ne tiens plus rigoureusement le compte de mon âge ; j'ai plus de trente mille lunes mais j'aurais un peu de mal à vous le dire avec une grande précision.

- Mais c'est énorme ! S'exclama Romik. Vous êtes encore bien plus âgé que Venjhitia !

- Certes, mais j'ai toutefois l'impression que le temps est passé assez vite.

- Alors c'est pour cela que vous êtes aussi sage.

- La sagesse s'acquiert principalement avec l'âge, c'est vrai, mais aussi par l'expérience et l'écoute des autres.

- C'est curieux tout de même : l'idée de penser que lorsque le Sauveur est né vous étiez déjà une vieille personne.

- Effectivement, aux yeux d'un humain cela peut paraître curieux mais pour moi, cela semble anodin. D'ailleurs, en sa compagnie, c'est lui qui paraissait plus âgé que moi. Il était très jeune mais pourtant déjà d'une infinie sagesse.

- Attendez... vous voulez dire que vous avez rencontré le fils de Dieu ? Mais je pensais qu'il était venu parmi les hommes...

- Et vous ne vous trompez pas. Il n'est pas venu parmi les elfes ; c'est moi, un elfe, qui suis allé vers lui, qui suis allé le voir.

- Parlez-m'en, s'il vous plaît.

- Que vous dire ? Il avait une infinie sagesse, il enseignait à tout le monde la vertu et il disait aux humains qu'ils étaient pardonnés. C'est la personne la plus touchante que j'ai jamais rencontrée et l'avoir connue m'a beaucoup marqué. Et il a donné sa vie pour vous. Beaucoup d'elfes méprisent les humains et selon un certain point de vue, on ne peut pas réellement leur en vouloir car beaucoup d'entre vous, ont commis des atrocités difficilement pardonnables.

- Je sais, j'en suis conscient.

- Mais le Messie m'a fait réaliser que le Bien peut aussi être en vous. Il enseignait le pardon et c'est en majeure partie grâce à lui que mon opinion sur votre race a changé.

- Je vois, vous avez beaucoup d'admiration pour lui.

- Oui, c'est un saint homme. Il m'a ouvert les yeux et c'est un peu grâce à lui que je suis le Clairvoyant.

- Dans notre religion, il est dit qu'il a fait beaucoup de miracles. Est-ce que c'était de la magie ?

- Non, il ne faisait pas appel à la magie dans le sens où on peut l'entendre. C'est en invoquant la puissance divine qu'il guérissait les malades. Je me souviens de son aura ; elle était très forte, elle irradiait de lumière, de bienveillance et de compassion. C'est au nom de Dieu qu'il aidait les gens.

- Dans les écrits, on ne parle jamais des elfes, pourtant il vous a bien connu et peut-être aussi d'autres elfes... De plus, je ne crois pas que votre peuple le vénère, comment cela se fait-il ?

- Je tiens à vous préciser que c'est vers les hommes qu'Ajelebathan a envoyé son fils, et non vers nous, donc nous ne l'adorons pas. Ceci explique en partie qu'il n'y ait pas d'allusion aux elfes dans vos écrits. De surcroît, il n'y a quasiment que le Sauveur qui était au courant de notre véritable identité, lorsque certains elfes le rencontrèrent, car nous avions préféré ne pas montrer aux autres que nous n'étions pas des mortels. Et si nous ne le vénérons pas, nous reconnaissons par contre pleinement que votre Sauveur est le fils d'Ajelebathan.

- Bien, je vous remercie de m'avoir parlé, Althgovifen. Maintenant, j'en sais un peu plus sur vous, et je crois que je peux mieux vous comprendre.

- Si cela a pu vous aider vous m'en voyez satisfait.

- Euh, peut-être voudriez vous que je vous parle de moi. Vous ne me connaissez pas vraiment.

- C'est une excellente idée. Et puis cela fera passer le temps : le Sanctuaire Maudit est fort loin d'ici. "

Chapitre XXI

Deux semaines déjà étaient passées. Le voyage se faisait dans la tranquillité et la monotonie. Il leur avait fallu plusieurs jours pour traverser la forêt Balegathol et ils étaient maintenant en plaine. Il y avait fort peu d'habitations humaines et on avait dit à Romik que cela continuerait à mesure qu'ils progresseraient vers le sud-est. Mais l'humain ne se sentait pas encore préoccupé par ce problème car la plaine ressemblait à celle qu'il avait traversée lors de son voyage pour Fnor Ingël. Certes, cette étendue était bien plus grande et il n'y avait pas de village, mais cela le réconfortait un peu de voir ce paysage familier.

Une lune passa. Ils arrivèrent dans la région nommée Izerklod où se trouvait le Sanctuaire Maudit. L'Izerklod était un désert aride, de terre quasi-stérile et de roches. Il y avait du relief, mais les montagnes étaient nues et peu d'arbres subsistaient. Il n'y avait là-bas pas âme qui vive, du moins, pas d'être bienveillant qui vive. Cet endroit était lugubre et chacun avait envie d'y rester le moins longtemps possible. Romik se sentait beaucoup mieux et il serait entièrement guéri d'ici moins d'une semaine. Il pouvait dorénavant faire presque tous les mouvements possibles sans ressentir d'atroces douleurs comme auparavant.

Au bout de quelques jours, il y avait de plus en plus de relief : une imposante chaîne montagneuse leur faisait face. Le Clairvoyant leur dit que la contourner prendrait trop de temps, mais cela les exposeraient davantage à des risques. Pesant le pour et le contre, ils décidèrent de passer quand même par-là. Cette chaîne de montagnes ressemblait peu aux montagnes Tarkzijir ; elles étaient certes d'une hauteur assez similaire, mais la comparaison s'arrêtait là. Il n'y avait presque pas de végétation, et ce lieu méritait amplement le nom de désert. D'ailleurs, Romik percevait une certaine tension parmi les elfes. Eux qui passaient d'ordinaire leur vie dans des forêts luxuriantes ne semblaient pas apprécier cette stérilité.

Huit jours après avoir entamé la traversée de cette chaîne de montagnes, les voyageurs virent au détour d'un col une poignée de nains qui étaient tombés dans une embuscade. Il n'en restait qu'une demi-douzaine, plusieurs des leurs étaient tombés au combat. Ils faisaient face avec vaillance à une bonne douzaine d'orcs et à quatre trolls. Il y avait un nombre à peu près équivalent d'orcs et de trolls qui avaient été occis. Mais les nains finiraient bien par tomber en raison de leur infériorité numérique.

Aussitôt, les voyageurs foncèrent aider les pauvres nains. D'ordinaire, les elfes et les nains étaient en assez mauvais termes mais il était hors de question de les laisser tomber, surtout s'ils faisaient face à des orcs et des trolls, qui étaient les ennemis communs des deux races. Romik et la plupart des elfes éperonnèrent leurs montures en direction des monstres. Les autres restèrent à l'écart, faisant jouer la corde de leur arc. Ceci influa sur le moral du camp adverse devenu subitement désavantagé et plusieurs orcs s'enfuirent en poussant des glapissements. Les nains, quant à eux, redoublèrent de hargne contre leurs ennemis à la vue de leurs alliés impromptus. Les orcs furent rapidement éliminés mais les trolls posaient un autre problème car hauts d'au moins sept pieds, ils donnaient plus de fil à retordre. Mais ils furent rapidement encerclés par leurs adversaires, bien plus mobiles qu'eux. A la grande surprise de Romik, les nains se jetèrent sur les trolls, beuglant dans une langue gutturale et faisant tournoyer leur hache au-dessus de leur tête. Ils étaient efficaces car leur petite taille et leur vivacité leurs permettaient d'esquiver la plupart des coups des trolls. Ils raccourcirent les jambes de deux des monstres qu'ils achevèrent avec soin. Un autre fut criblé de flèches. Romik, mal à l'aise sur sa monture pour mener un combat préféra lancer son marteau de toutes ses forces sur le dernier troll. Le puissant impact qui aurait fracassé une tête humaine ne fit qu'étourdir un peu le troll, qui fut achevé par les épées elfes.

Il ne restait plus aucun ennemi vivant et les pierres étaient maculées du sang noir des orcs, ainsi que du sang des nains tombés au combat. Romik dénombra six cadavres nains ; il n'en restait plus que cinq de vivants.

" Eh bien, je vous remercie, dit le plus grand des nains. Sans vous, nous serions peut-être tous à la Forge de Moreldeïn, à présent. Permettez-moi de me présenter, je suis Ledongal et voici ma femme adorée, Tergolaïd ainsi que mon fils Inerglaïk. Voici aussi Sedanofog et Digilijt. Et Jelion doit traîner quelque part dans les parages. Eh ! Où est-ce que tu te caches donc ?! Hurla-t-il.

- C'est bon, c'est bon ! Dit une petite voix. Pas besoin de t'énerver, je suis là annonça un hobbit qui sortit de derrière un gros rocher.

- Ouais, c'est ça, pendant qu'on taillait des orcs, monsieur Jelion était encore en train de faire la sieste !

- Mais pas du tout ! S'exclama le petit homme. Je vous certifie que je vous ai aidés ; mais moi, je préfère ma fronde dit-il en faisait tournoyer l'objet en question de sa main gauche pendant qu'il soupesait une grosse pierre de sa main droite.

- Pfff ! fit Ledongal. Je pensais pourtant t'avoir clairement dit qu'une hache, c'est bien mieux pour casser du troll...

- Oui, mais vois-tu, cet instrument n'est pas tout à fait adapté à ma taille. Je préfère des armes plus légères, moins encombrantes, qu'on peut manier plus facilement, quoi. Il soupira. C'est incroyable ce que les nains peuvent être obtus parfois. Alors que nous, braves hobbits, sommes ouverts à toute idée et puis, nous, d'ailleurs...

- Hum ! Fit Ledongal j'aurais mieux fait de me taire : une fois que tu es parti, impossible de t'arrêter. Avec ça, nos sauveurs n'ont même pas eu le temps de se présenter. "

Gwantholin prit alors la parole et présenta chaque membre du groupe. Pendant ce temps, Romik dévisagea leurs interlocuteurs. Ledongal était le plus imposant et le plus trapu des nains, mais il devait faire moins de quatre pieds et demi. Il portait un gros casque en métal, assez cabossé. Il avait une longue barbe dont l'extrémité était passée dans son baudrier. A côté de lui, se tenaient trois autres nains assez similaires qui avaient eux aussi une peau basanée et des cheveux couleur sable, ainsi qu'une personne de même taille. Elle avait une petite barbe, mais restait différente de ses compagnons. En effet, elle avait un nez proéminent, une peau bien plus foncée et des cheveux et une barbe couleur neige. De toute évidence, ce ne devait pas être un nain de la même race que ses acolytes. Romik resta perplexe un certain temps car Ledongal avait parlé de sa femme, pourtant il ne voyait que cinq nains barbus. Puis il remarqua étrangement que l'un d'entre eux avait une barbe de taille assez modeste, bien plus clairsemée. De plus, il avait deux protubérances significatives au niveau du torse.

" Vous... vous êtes une naine ?! S'exclama Romik.

- Oui, et alors ?

- Mais vous... Vous avez une...

- Ah ! C'est à cause de la barbe ! Dit Tergolaïd en lui coupant la parole. Il paraît que ça surprend les humains, parce que vos femelles n'ont pas de poil au visage, comme pour les elfes, d'ailleurs. Mais là, je crois que ça s'applique pour les deux sexes.

En l'examinant avec plus d'attention, Romik vit que ses traits étaient un peu plus délicats : des lèvres un peu plus fines, un nez plus petit et rond. Elle était bien une naine, peu attirante fallait-il avouer...

- Bon, c'est pas tout ça, mais peut-être faudrait-il s'occuper de nos compagnons, déclara Ledongal. Alors voilà ce que je vous propose : on va trouver un lieu un peu mieux que celui-ci où nous pourrons enterrer leurs corps. Nous avons besoin de votre aide pour faire cela.

- Je suis prêt à vous apporter mon aide dit Romik.

- Bien, je vous propose de prendre Jelion en selle et de chercher un endroit mieux adapté. Tachez d'être discrets : des monstres peuvent encore traîner dans les parages. "

L'humain descendit de sa jument, aida Jelion à se jucher dessus puis il s'installa à son tour. Il fit progresser la bête au petit trot sur le chemin et il en profita pour mieux étudier son compagnon. Jelion était un hobbit et il était encore plus petit qu'un nain - environ trois pieds et demi -, mais son corps n'était pas disproportionné. A vrai dire, il pourrait passer pour un homme rapetissé si ce n'étaient les pieds. En effet, les siens étaient assez grands et velus et le petit homme pouvait visiblement se passer de chaussures. Il avait des cheveux châtains et bouclés. Son visage n'était pas beau à proprement dire ; il était plutôt jovial et inspirait de la sympathie.

" Je m'appelle Romik, je viens de Stanok, à quelques jours de Fnor Ingël.

- Fnor Ingël ? C'est pas vraiment le terrier à côté, commenta Jelion. Puis-je savoir ce que tu fais aussi loin de là, et surtout en compagnie d'elfes ?

- Cela vous surprend tellement ?

- Tu peux me vouvoyer, cela ne me gêne pas. Et oui, je suis surpris qu'un humain traîne dans un coin aussi désert et dangereux, et ce en compagnie d'elfes. Généralement, ils vous évitent, un peu comme nous, d'ailleurs.

- C'est une histoire un peu insensée. Vois-tu, j'ai rencontré une elfe de ce groupe, Gwantholin, à Fnor Ingël, de façon assez inattendue. J'ai insisté pour l'accompagner, alors que j'ignorais tout d'elle, même le fait qu'elle était une elfe - elle avait pris soin de me cacher sa véritable identité. Nous avons voyagé vers l'est et nous nous sommes même fait attaquer par des orcs. Après qu'ils soient morts, j'avais plutôt impressionné Gwantholin, d'après ce qu'elle m'a dit. Mais elle m'a davantage impressionné lorsqu'elle m'a révélé sa vraie nature. Dans la Forêt aux Songes, nous avons rejoint ses compagnons - une petite vingtaine - puis nous avons continué à voyager vers l'est, vers une ville elfe. Et je suis là parce ce que je les accompagne pour une mission.

Aux yeux de l'humain, Jelion paraissait très agréable et sympathique mais malgré cette impression, il avait préféré ne pas entrer plus loin dans les détails : il ne pensait pas que faire cela sans l'accord des elfes aurait été judicieux.

- Mmh, je vois. C'est vrai que ce n'est pas une histoire banale.

- Et toi, que fais-tu ici en compagnie de nains ? Je croyais que les hobbits attachaient beaucoup d'importance à leur confort et leur foyer aussi, sans vouloir te vexer, je suis assez surpris de te voir en vadrouille.

- Et il y a de quoi ; mais je suis une exception à cette norme. D'ailleurs, ma famille n'a pas trop apprécié ce que j'ai fait, avoua-t-il en riant. Mais moi, ça m'ennuie de rester à paresser dans mon terrier, je veux découvrir le monde. Bien que Vertefeuille, notre village, soit isolé, cela ne nous empêche pas de faire du commerce avec les nains. Il faut dire qu'on produit le meilleur tabac et la meilleure bière de toute la région. En échange, on est fourni en outils et en bijoux pour ceux qui sont intéressés. Quoi qu'il en soit, j'ai réussi à convaincre des nains de passage à m'accepter parmi eux. Arrête ton cheval, s'il te plaît.

Jelion sauta de l'étalon, inspecta un peu les environs puis revint vers Romik.

- Je crois que cet endroit conviendra, dit-il.

- En es-tu sûr ? Il va être difficile de creuser en ce lieu.

- Ne t'en fais pas pour ça : les nains dressent des cairns et si le sol est dur, la roche est abondante. Ça conviendra.

Romik aida le hobbit à remonter, puis il fit faire demi-tour à sa jument.

- Bon, pour ce que j'étais en train de te dire, j'ai eu beaucoup de mal à convaincre les nains. Ils disent que les hobbits n'ont pas assez de force pour le genre de travail qu'ils font et il faut admettre que c'est véridique. Mais en contrepartie, nous sommes bien plus beaux-parleurs qu'eux et je suis parvenu à les persuader qu'un bon négociateur comme moi serait toujours utile pour leurs transactions commerciales. Alors ils ont accepté, mais je me demande si ce n'était pas pour que j'arrête de parler... dit-il en riant. C'était il y a une lune et demi de cela et je suis toujours avec eux, ce qui veut dire que dans un sens, ils ne sont pas mécontents de moi. Je dois dire que mes dons en matière de cuisine m'ont aussi aidé à m'intégrer dans le groupe. Ah, ça... Si les nains ne savent pas faire à manger, ils savent par contre apprécier un repas digne de ce nom déclara-t-il songeusement.

- Mais je n'arrive toujours pas à comprendre ce que vous faites ici. Ce n'est pas un lieu pour faire du commerce...

- Les nains ont certifié que c'était le plus court passage pour se rendre à la ville naine où ils veulent faire des transactions. J'ai bien essayé de leur faire comprendre que passer par l'Izerklod serait difficile en raison du relief et surtout dangereux à cause des nombreux monstres qui rôdent dans les parages. Mais les nains sont plus têtus que des mules et même mes arguments, pourtant imparables, n'ont pas eu raison de leur entêtement. "

Ils revinrent rapidement sur le lieu où s'était déroulé l'affrontement. Les corps des nains avaient été disposés sur une charrette à laquelle était attelée une mule ; on les avait nettoyés puis peignés pour leur donner un aspect plus convenable. Les cadavres des orcs et des trolls avaient tous été rassemblés sur une pile de bois mort. Jelion annonça aux nains où se trouvait le lieu où ils pourraient donner une sépulture à leurs frères défunts et ils s'y rendirent, accompagnés des elfes. Un nain resta en arrière pour mettre le feu au bûcher improvisé qu'ils avaient dressé.

Une fois arrivés à destination, les nains disposèrent les corps sur le sol, en leur laissant leurs armes, puis ils les recouvrirent de pierres tout en chantant un hymne mortuaire. Les elfes et Romik restèrent en arrière, à une distance respectueuse. Au bout d'une demi-heure, ils avaient dressé un cairn d'aspect fort honorable. Ils firent une dernière prière puis tout le monde se mit en route.

" Bon, je propose qu'on reste ensemble pour le moment annonça Ledongal. J'avais sous-estimé le danger par ici et je ne veux pas qu'un nouveau massacre se produise.

- Voilà une sage décision, répondit Althgovifen. A plusieurs, nous aurons davantage de chance de dissuader des ennemis potentiels. Et dans le cas contraire, nous pourrons leur faire face plus aisément.

- Oui, enfin... On verra plus tard...Il ne faudrait pas qu'on s'éloigne trop de notre destination. Où vous rendez-vous ?

- Nous comptons nous diriger vers le sud-est répondit le Clairvoyant.

- Mmh, ça ne nous éloigne pas trop d'où on veut aller, ça pourra aller, déclara Ledongal.

Pourrais-je savoir ce que vous comptez faire là-bas ? Ce n'est pas le genre de lieu que vous aimez fréquenter, je crois.

- Effectivement, mais je préfère ne pas vous en dire plus.

- Et pourquoi cela ? Répliqua vivement Sedanofog. C'est parce que vous ne nous faites pas confiance où parce que vous nous méprisez ?

- Je vous certifie que ce n'est ni l'un ni l'autre. Je préfère seulement ne pas vous en faire part parce que je ne veux pas vous impliquer dans cette sombre besogne. Trop de vies, déjà, vont peut-être s'éteindre par ma faute.

- Nous sommes prêts à vous aider, annonça Tergolaïd. C'est grâce à vous que j'ai toujours mon époux et mon fils et je vous en suis redevable. Je sais très bien que nos peuples s'entendent assez mal, mais nous avons quand même une dette à honorer.

- C'est vrai ! Renchérit Inerglaïk. Et puis réflexion faite, vous m'êtes assez sympathiques.

Althgovifen discuta à voix basse avec quelques elfes pendant un certain temps.

- Soit, nous sommes en mesure d'accepter votre aide. Nous allons encore réfléchir quelques temps puis nous vous ferons part de notre mission. Mais je tiens une fois de plus à vous dire que je désapprouve le fait que vous vous impliquiez dans cette affaire.

- Eh, faut pas nous prendre pour des lâches ! Dit Inerglaïk. Nous ne reculons jamais face au danger ! Et quand un ennemi croise notre route, il sait toujours à quoi s'attendre.

- Vous êtes jeune et impétueux, lui déclara Gwantholin. Vous ne devriez pas systématiquement foncer tête baissée dans le danger, les risques que nous pourrions vous faire courir sont immenses, je vous l'affirme. Croyez-moi, je ne dis pas cela dans le but de vous dénigrer.

- Bien, je vous propose de poursuivre notre route, fit Althgovifen, désireux de changer de sujet. Il nous faudrait progresser pendant quelques temps pour nous éloigner le plus possible de ce lieu où s'est passé cet affrontement. Ensuite, nous pourrons établir un campement pour la nuit. "