Scénario


Pour : Chimères


Auteur(s) :

Mario HEIMBURGER

Illustrateurs(s) :

Elisabeth THIERY


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Eastenwest > 7 - Pour quelques PO de plus...



Les Amants du Pont Saint-Michel

Un scénario pour Chimères par Mario Heimburger

Ce scénario onirique va plonger les personnages au sein d'un monde qui s'effondre sous l'impact de la passion et de la folie. Il se déroule entièrement au 19ème siècle, à Paris, mais l'action pourrait être transposable, moyennant quelques ajustements historiques. A noter que le maître mot est atmosphère, et que la réalité et même la logique doivent passer au second plan lors de l'achèvement de cette histoire.

Synopsis

Pierre et Julie furent deux amants, séparés dans la mort par la destruction du Petit-Pont, futur pont Saint-Michel. Étant des dragons, ils revinrent dans plusieurs incarnations, mais ne parvinrent jamais à se retrouver. Au dix-neuvième siècle, Julie est réincarnée dans une jeune femme qui finira par vendre son corps pour survivre. Mais en cette période de fin des temps, elle ne parvient plus à se souvenir exactement de ses vies antérieures, ni de sa véritable nature de lycanthrope. Pourtant, des bribes de souvenirs la poussent toujours plus loin dans la folie.

Folie qui atteindra son apogée lorsque suite à un viol, elle se transformera en loup pour tuer son agresseur. Dès lors, l'esprit égaré de la jeune femme la fera délirer et sombrer dans la violence

provoquée par la rancœur et la désorientation. Elle sera poursuivie par les personnages, désireux de retrouver une des leurs, mais également par tous les représentants des forces de l'ordre : la première victime de Julie n'étant rien de moins que le fils du ministre de l'intérieur de l'empereur Napoléon III.

Plus l'histoire progressera, et plus sera évident un des aspects du jeu Chimères : le scénario n'est qu'un rêve collectif, construit par tous les dragons rêveurs, un souvenir de l'époque de la terre qui est déformé au gré des désirs de chacun. Or, l'esprit de Julie transformera rapidement cette réalité en folie onirique, où la physique même n'aura plus lieu d'être. Le final déstructuré mettra sans doute un terme à la folie, grâce à l'intervention de Pierre, également intervenu dans le rêve, sous la forme de l'inspecteur Pierre Leneuveu, un des enquêteurs de la police…

Janvier 1408

Les bœufs luttaient contre les vents qui tentaient de les ramener à la Cité, harcelés par les conducteurs et les cris des voyageurs. Les roues traçaient des ornières aussi vite refermées par la neige qui s'accumulait. Recouvrant le paysage, la nuit masquait ce qui ne l'était pas encore. Seules les plus proches maisons, celles bâties sur le Pont-Neuf, étaient visibles, et leurs volets borgnes les transformaient en spectateurs impitoyables.

De temps en temps, les baladins tentaient de repérer la silhouette de leur guide, pour tenter de comprendre ce qui pouvait motiver une pareille folie : quitter Paris en plein hiver, durant une tempête. Le retour de Julie, les vêtements déchirés et les joues barbouillées de larmes, n'y était sans doute pas étranger. Les taches sombres qui ornaient sa tunique étaient de mauvaise augure, et évoquaient en chacun de très funestes souvenirs.

Julie était invisible, certainement recroquevillée dans le chariot, mais Pierre tenait les rênes des bœufs, marchant à leurs côtés. Son visage bouillonnait, malgré la morsure du froid, et la rougeur de ses joues tenait autant de la colère que de l'irritation. Julie et Pierre n'avaient jamais su accepter les autres, et par là-même, accepter leur propre nature. Une rancœur tenace soutenait chacun de leur pas. Pierre l'exprimait par une haine farouche du Veneur, tandis que Julie…

Le cortège n'avançait plus : les animaux rechignaient à faire le moindre pas. Tous les vêtements étaient recouverts d'une épaisse couche de givre qui finissait par s'insinuer jusqu'à la peau. Pierre poussa un cri de rage, et fendit la neige pour arriver à l'avant de la caravane.

Le Veneur esquissa à peine un geste en le voyant arriver. Il savait que la confrontation était inévitable. Dans la nuit, son visage ressemblait à une statue d'albâtre fripée comme du papier. Son regard triste se posa sur l'importun, et celui-ci n'attendit pas d'autre signe pour commencer sa harangue :

- Vous avez donc complètement perdu la raison ? La mort que vous semez partout ne vous suffit pas : il vous faut la nôtre ? Quitter la ville, en plein milieu de l'hiver ? Pour aller où ? Combien de temps tiendrons-nous ? Sans doute ne reverrons-nous jamais plus la lumière du jour !

Le vieil homme avait laissé parler. Tout cela devait sortir.

- Nous risquons de mourir, répondit-il d'une voix lasse, mais en restant, nous sommes morts. Il…

- Nous y voilà, le coupa Pierre, méprisant. Vous voulez une fois de plus rejeter la faute sur nous. Vous n'en commettez jamais, n'est ce pas ? Tout est prévu. Vous savez tout. Vous…

- Silence !

Pendant un bref instant, même le vent sembla obéir. Les deux hommes se regardaient, tous les autres s'étaient pareillement immobilisés et craignaient la suite. Un craquement sinistre se fit entendre, mais personne n'y prêta garde.

- Julie… (La voix du vieillard était devenue douloureuse). Elle n'est pas encore consciente de son état… Elle… ne sait pas encore se modérer. C'est pour elle que nous partons. Mais nous partons ensemble.

- Pour elle…

Les larmes montaient aux yeux de Pierre, mais le froid les maintenait dans les orbites.

- …Vous ne faites rien pour elle que je ne ferais pas. Nous partirons, dès demain.

Le second craquement modifia leurs expressions à tous deux : la compréhension soudaine que quelque chose ne se déroulait pas comme prévu. Ce ne fut qu'à ce moment qu'ils se rendirent compte de l'agitation des autres baladins : des cris leurs parvenaient de l'arrière, et Jehan courrait déjà jusqu'à eux.

- Le pont, cria-t-il, le pont. Il se fissure.

Il n'eut pas le loisir de rajouter davantage : un bruit de fin du monde zébra la nuit, renvoyant chaque homme devant ses terreurs. Une maison proche oscilla durant quelques secondes, avant de s'effondrer par un de ses coins, emportant avec elle une partie du pont. Ce dernier trembla, et les bêtes se jetèrent en avant, arrachant dans la violence de leurs efforts les harnais qui les liaient aux chariots. Certains se renversèrent, d'autres restèrent sur place comme des enfants abandonnés.

Pierre se mit à courir : son chariot était sans guide. Et sa frayeur fut réelle lorsqu'il se rendit compte que le pont avait déjà été divisé en deux parties : plusieurs coudées manquaient, et Julie, réveillée mais encore hébétée, glissait une tête hors de l'abri pour regarder l'incompréhensible : le vide, et la Seine, charriant des blocs de glace et quelques planches, dans un bouillonnement sale.

Elle perçut à peine le cri de Pierre :

- Julie ! hurlait-il à s'en faire exploser les poumons. Sors du chariot !

Les autres baladins avaient tout abandonné pour rejoindre la rive, mais Julie contemplait ce vide qui semblait l'appeler, lui proposer un pacte : un oubli merveilleux, loin des horreurs qu'elle avait vécues. Mais le souvenir de Pierre et ses cris terrifiés la firent sortir de sa torpeur. Elle se leva, et serrant bien fort sa couverture, s'apprêta à sauter au bas de la carriole.

Elle prenait appui, lorsque soudainement, le chariot fut déséquilibré. Les fissures qui lézardaient ce qui restait du pont devinrent des crevasses. Dans un chaos de tissus, de bois et de métal, l'attelage chuta dans la nuit, emportant Julie vers la morsure glaciale de la mort.

- Julie !

Le regard de Pierre exprimait la sainte folie, il n'attendit pas de voir disparaître sa bien-aimée dans les eaux furieuses et plongea à son tour, ignorant qu'une dizaine de mètres plus bas, il n'y avait déjà plus qu'un cadavre à sauver.

Sur les bords du gouffre, le Veneur baissa la tête. Il savait. Il devinait.

*
* *

Le Petit-Pont fut reconstruit en 1424, et prit le nom de la chapelle voisine : Saint-Michel. En 1547, une collision avec un bateau le détruit à nouveau. Il est rebâti en bois en 1549, mais emporté par une inondation en 1616. Reconstruit en pierres, il dura jusqu'en 1786.

Février 1855

Hervé s'ennuyait. Comme toujours, auraient rétorqué certains : pas facile de vivre dans l'oisiveté et dans l'ombre d'un grand homme de l'empire… Mais c'était différent : il éprouvait une lassitude que ne semblaient borner que les limites de son corps. Derrière lui, les rires fusaient, ponctuant une petite musique émanant d'un quatuor isolé et méprisé par l'assemblée mondaine.

Depuis cinq minutes, il fixait par la fenêtre givrée une frêle silhouette, sous le lampadaire de la place. Les vestiges du pont étaient à peine visibles dans la brume de cette nuit, et le halo pâle du gaz délimitait une bulle hors du temps.

Il remarqua sans se retourner que quelqu'un s'était approché dans son dos. Quelqu'un qui poussa un bref soupir, avant de se murer lui aussi dans le silence. Sans un mot, une coupe passa devant Hervé, invitation à reprendre la fête.

- Tu rêves encore, Hervé… Elle est belle, n'est-ce-pas ?

Le jeune homme sourit. Gontrand était le maître des lieux, l'instigateur de cette soirée. Il avait toutes les raisons de se sentir vexé par l'isolement du gentilhomme, pourtant, il lui pardonnait. Gontrand était peut-être le seul homme qui puisse réellement le comprendre.

- Qui est-elle ?

Gontrand s'approcha de la fenêtre avant de poursuivre.

- Une femme de petite vertu. On l'appelle Madeleine, mais ce n'est pas son vrai nom. Combien de fois a-t-elle déjà été chassée de cette place. Pourtant, elle y revient toujours, s'exposant à l'ire des riverains. Elle est belle, très belle. Mais si triste.

- Tu sembles bien la connaître…

Un instant, Hervé craignit d'être allé trop loin et d'avoir froissé son ami. Pourtant ce dernier regardait toujours la jeune prostituée perdue dans des pensées que personne ne pouvait deviner.

Quand il se remit à parler, sa voix avait changé.

- C'est une femme très étrange : elle se donne aux hommes sans distinction et ne demande presque rien. Elle est détestée des autres femmes de sa condition, et de tous ceux qui ont eu recours à ses services. Car rien ne peut la réchauffer, et, déçue par les échanges charnels qui ne comblent pas ses attentes, elle finit par se murer dans une profonde tristesse. Elle est magnifique, mais le drame qu'elle cache au fond d'elle la rend effrayante. Sais-tu pourquoi on l'appelle Madeleine ? Elle pleure en faisant l'amour, et personne n'a pu la rendre heureuse.

Soudainement, il se tourna vers Hervé et l'examina. Ce qu'il y découvrit était l'exact reflet de ses craintes : un regard fasciné, une moue de défi, une expression de détermination profonde. Gontrand prit son ami par les épaules et le secoua. Sa voix était devenu un mince filet rauque, presque implorant :

- N'essaye pas, Hervé. Tu n'y parviendras pas plus que les autres, et tu pourrais te perdre dans une telle histoire. Oublie ce que je viens de te dire.

Sur ce, il jeta un dernier regard apeuré en direction de la rue, avant de retourner d'un pas rapide vers ses autres invités et se perdre dans la foule bigarrée.

Hervé laissa jouer ses doigts sur les carreaux de la fenêtre, étalant en petites touches la buée qui s'y était formée.

- Madeleine… chuchota-t-il avant de retourner à son tour remplir son verre.

Des loups dans Paris

En ce mois de janvier, les personnages sont certainement retranchés au chaud dans un cabaret. Là, ils goûtent une vie doucereuse, en contemplant amèrement une société qui s'éveille et un certain monde qui s'éteint. Tout le monde est encore sous le choc de la disparition de Gérard, il y a seulement quelques jours, dans des circonstances toujours inexpliquées.

Le temps paraît long, et on se console en regardant discrètement les gazettes de Paris, et en buvant plus que de raison. C'est là qu'un article attire l'attention. C'est absurde, mais il est intitulé « Des loups dans Paris ? »

L'article relate un meurtre mystérieux, commis dans la cour d'une petite pension aux abords de la Seine :

Macabre découverte à la Pension des Glaïeuls. Emilie Quesne, tenancière de ce respecté établissement a découvert au petit matin dans sa cour le corps sans vie d'Hervé Billaut, fils du ministre Billaut, en charge de l'Intérieur. Le cadavre, marqué de nombreuses traces de morsures à caractère bestial, gisait à même la neige rougie par le sang du jeune homme.

Les témoignages ont permis de reconstituer une partie de la nuit de la victime : il aurait passé le début de la soirée chez Monsieur Gontrand Duvivier avant de quitter cette demeure vers une heure du matin, en ayant, dit-on, abusé de boisson. Depuis lors, son itinéraire est incertain, mais le jeune homme n'est pas rentré chez lui.

La police a évidemment été saisie de l'enquête et, bien que l'hypothèse des loups ait bien sûr été écartée, il n'est pas exclu que l'on ait affaire à une bande de chiens fous, d'autant plus que des traces de quadrupèdes ont été repérées dans la neige autour du corps.

Nous vous tiendrons évidemment informés des suites de l'enquête qui devrait être diligentée par l'influence directe du père de la victime.

Faire jouer ce scénario

Il y a plusieurs moyens de maîtriser ce scénario. Le plus évident (le jouer comme une partie de Chimères normale) me semble inadapté.

Mon conseil est le suivant : détachez-vous des règles. Si vos joueurs l'acceptent, jouez sans règles, simplement avec un background pour les personnages. Si cela est trop déroutant, utilisez des règles simples, comme celles de Maléfices.

Cela vous permettrait également d'aller vers une autre façon de jouer le scénario : en bi-table. L'une des équipes interprétant des dragons dans l'esprit Chimères, l'autre interprétant des humains normaux sur la même affaire. Il faut évidemment vous mettre d'accord avec un second meneur, et vous organiser pour gérer la chronologie des faits et des actions des deux groupes. L'antagonisme des deux équipes, qui poursuivent des buts nettement différents, sera intéressant à voir évoluer, surtout que les moyens, mais également la perception des deux équipes, sont nettement différents.

L'article devrait interpeller les personnages pour une raison simple : il y a au moins une contradiction dans l'article. Les traces de loups et de chiens sont bien différentes, et il en va de même pour la morsure. Pour ceux qui savent lire entre les lignes, le journaliste a voulu insinuer plus qu'il n'écrit. Et s'il y a des loups dans Paris, ce ne sont pas des animaux, mais des dragons…

Les Chasseurs

D'un autre côté, ils ne sont pas les seuls concernés par l'affaire. Comme précisé dans l'article, l'influence du ministre va se faire sentir dans cette affaire, et le préfet de police a de quoi avoir bientôt quelques cheveux blancs de plus. Avant même d'en recevoir l'ordre formel, il a constitué un groupe d'enquête pour élucider cette affaire. Il y participe lui-même afin de montrer sa bonne foi, mais il devine déjà de nombreuses difficultés.

À part lui, qui dirige la cellule, plusieurs de ses meilleurs inspecteurs sont sur la trace. Parmi eux, Pierre Leneuveu, qui s'est porté spontanément volontaire. Dans la circonstance actuelle, pas d'hésitation : toutes les aides sont les bienvenues.

Durant tout le scénario, son équipe enquêtera en parallèle avec les personnages. Inutile de dire que tout ne se passera pas pour le mieux, et que les deux groupes finiront forcément par se heurter.

Il convient de préciser une chose dans cet antagonisme : les chasseurs ont l'avantage de la loi, et du pouvoir qu'elle implique. Mais ce pouvoir ne leur sert que parmi les gens coopératifs. Or nous verrons qu'ils ne sont pas légion. De plus, dans leurs raisonnements cartésiens, ils seront rapidement dépassés par les événements.

De l'autre côté, les personnages, bien que ne disposant pas de pouvoir officiel, connaissent – ou devinent – déjà une part inavouable de la vérité. Ils partent avec une longueur d'avance. Si tout se passe bien, le préfet finira par se faire une raison, et par collaborer avec les personnages, quitte à se retourner contre eux le moment venu.

Jouez sur cette opposition pour combler les temps morts, et introduire de belles scènes de roleplaying. Si vous jouez dans l'hypothèse des deux groupes concurrents, ces rencontres seront l'occasion de réunir les deux tables…

Reconstitution

Il n'est jamais aisé de présenter le déroulement d'une enquête, tant les pistes peuvent s'étoiler. Le plus simple est déjà de reconstituer à l'attention du conteur ce qui s'est réellement déroulé durant la nuit.

Mais voyons d'abord l'état d'esprit de la victime. Hervé Billaut est un jeune homme de la bonne société. Comme tous les désœuvrés de son âge, il se cherche des occupations, et passe le plus clair de son temps à fanfaronner et à s'ennuyer. Lorsqu'il entend parler de la bouche même de son ami Gontrand de la curieuse prostituée nommée Madeleine, il se prend au défi. Ne craignant pas l'opprobre mondain, il se décide à cueillir cette femme, et à réussir là où nul n'avait réussi jusqu'à présent : la rendre heureuse, ne serait-ce qu'une nuit.

Après avoir bu pour se donner du cœur à l'ouvrage, il se rend donc auprès de la jeune femme et l'achète pour la nuit. Il fréquente régulièrement la pension des Glaïeuls, non loin de là, où la patronne lui loue, contre une modique somme, une petite chambre sous les escaliers de façon permanente. Cette chambre est prévue pour la discrétion : entrée directe depuis la cour, isolée des autres chambres de la pension, mais tout de même douillette et confortable.

Là, il entreprend Madeleine, qui se laisse faire sans un mot. Après s'être serrée presque violemment contre le jeune homme, elle finit rapidement par se laisser aller, et reprend bientôt son attitude froide et distante. Tandis qu'Hervé s'affaire comme un beau diable pour tenter de lui arracher un sourire, des larmes se mettent à couler en silence sur les joues de la prostituée. Humilié et sous l'effet de l'alcool, le jeune homme finit par s'énerver, et devient de plus en plus violent, dans ses propos comme dans ses gestes. Lorsqu'il en vient aux coups, quelque chose semble se briser dans l'esprit de la jeune femme. En fait, instinctivement, elle prend une forme qui lui permet de se défendre contre son agresseur, et le jeune homme est terrifié de découvrir un loup dans sa chambre.

Sans même se rhabiller, il se précipite au-dehors. Mais Madeleine, à l'esprit échauffé, le poursuit et le mord violemment au mollet avant de s'acharner sur le dandy jusqu'à le tuer. Se rendant alors compte de ses actes et de ce qu'ils impliquent, la jeune prostituée se retransforme, et poursuivie par des souvenirs similaires datant d'une autre époque, s'enfuit dans les rues avoisinantes.

Ce n'est qu'au matin qu'Emilie Quesne, osant enfin sortir pour voir ce qui s'est déroulé, découvre le corps.

Les témoins de la dernière nuit

Trois personnes savent quelque chose d'intéressant concernant la dernière nuit d'Hervé Billaut.

¨ Gontrand Duvivier

Gontrand est un personnage étrange. Comme Hervé, il a été intrigué par la belle prostituée, mais contrairement à lui, n'a jamais osé l'approcher. En l'observant, soir après soir de sa demeure, il a fini par l'idéaliser, par imaginer des histoires dramatiques autour de cette mystérieuse jeune femme. À force de la sanctifier, il en est tombé amoureux, comme seuls savent l'être ceux qui n'osent se déclarer.

De par sa position, il ne peut évidemment se compromettre dans cette histoire. Aussi a-t-il décidé de pleurer son ami en silence. Il devine que ce dernier est allé la trouver. Il imagine même qu'elle a un rapport dans sa mort, mais cela ne change rien à ses sentiments.

Quand la police viendra le trouver, il ne dira que le minimum : son ami a quitté sa demeure légèrement saoul, et il ignore ce qu'il est devenu après. Lorsque les personnages viennent le trouver, il sera encore moins bavard, mais la répétition des questions le rend nerveux. Il sera évident qu'il cache une information…

Le lendemain soir, n'y tenant plus, il quittera sa demeure pour rejoindre une petite fumerie d'opium, dans laquelle il s'abandonnera à tous ses sentiments. C'est là que les personnages qui auront eu la bonne idée de le surveiller pourront l'interroger. Entre des crises de larmes et de délires, des bribes de vérité finiront par sortir : une belle femme, Madeleine, un défi… Les choses doivent rester incohérentes…

¨ Emilie Quesne

La tenancière de la pension a également des choses à cacher. Bien sûr, elle a presque tout dit aux policiers : que Hervé louait une chambre dans le but inavouable d'y emmener des filles de petite vertu, qu'il n'y venait toutefois pas très fréquemment et qu'elle n'a découvert le cadavre qu'au petit matin.

Elle cache soigneusement qu'elle a entendu des cris dans la nuit (ce que certains autres voisins pourraient également indiquer), et que lorsqu'elle a enfin eu le courage d'ouvrir les volets, le jeune homme était déjà mort. Pourtant, elle se souvient exactement avoir vu courir une femme à moitié nue dans la neige.

Son mari, Henri, un petit individu totalement soumis à son épouse, et chargé de tous les travaux d'entretien pourra donner quelques précisions supplémentaires : il est celui qui a inspecté le corps en premier. Il est persuadé que les traces autour du corps n'étaient pas des traces de chiens. C'était beaucoup trop gros. De plus, des traces d'une jeune femme étaient également nombreuses.

Enfin, toujours d'après ces traces, le chien ou le loup venait de la chambre, alors qu'aucune trace de cette sorte y rentrait.

Dernier détail : lorsque Henri est allé inspecter la chambre dont la porte était restée ouverte, il a trouvé le lit défait. De plus, l'oreiller était gelé, comme si on y avait versé de l'eau récemment. De la sueur, sans doute…

Henri, sur les ordres de sa femme, a fait disparaître les traces après le passage de la police. Le sang dans la cour ne fait pas bon genre…

¨ Nicolas Klovein

Le dernier témoin ne sera jamais rencontré par les personnages : il s'agit d'un ouvrier, complètement ivre la nuit du meurtre. Il a toutefois gardé assez de lucidité pour apercevoir Hervé accompagné de la Madeleine, une prostituée bien connue du quartier.

En apprenant la mort de Billaut, il se présentera spontanément à la police, espérant une récompense, et livrera l'information…

Madeleine

Les recherches devraient donc rapidement s'orienter vers Madeleine. Si les personnages ratent cette piste, vous pouvez la relancer dans la gazette du soir. Un journaliste aura obtenu l'information de la police, elle-même prévenue par Nicolas Klovein. Il se pourrait même que ce soit Pierre qui fasse filtrer l'information, espérant ainsi alerter Madeleine qu'elle est maintenant recherchée.

Mais Madeleine n'a pas besoin de cela. Elle se sent de toute façon traquée. Tellement de mauvais souvenirs lui reviennent : elle se souvient de son vrai nom, Julie, des siècles d'errance, de la terreur engendrée à chaque fois par sa rencontre avec une caravane. Elle se souvient aussi de Pierre, mais plus de son visage. Elle se souvient de nombreux meurtres qu'elle a commis, d'avoir été brûlée comme sorcière, pendue puis guillotinée. Et tous ces souvenirs attisent son désespoir, son égarement et sa folie.

Dès lors, le souvenir de sa folie va transformer Paris.

Mais comment retrouver la piste de Madeleine ? Examinons quelques moyens, vous pouvez bien sûr en imaginer d'autres…

¨ Les autres prostituées

Madeleine n'est pas appréciée des autres filles de joie. Le portrait qu'elles font de « la pleureuse » est tout sauf élogieux. Elle terrorisait les clients, certains ayant tout simplement arrêté de voir des filles depuis qu'ils ont couché avec Madeleine. De plus, elle se moque de toutes les règles, attirant les foudres des habitants du quartier en revenant toujours au même endroit : à l'emplacement de l'ancien Pont Saint-Michel.

Il sera possible de leur arracher le lieu de résidence de la jeune femme : un immeuble vétuste de la rue des Poitevins.

¨ La police

Pour l'avoir plusieurs fois expulsée du quartier, la police sait où loge la jeune femme. Cette information sera disponible par simple demande pour les chasseurs, mais les personnages risquent d'avoir plus de difficultés.

Les rapports indiquent qu'il n'y a jamais eu de condamnation. De nombreuses arrestations suite à des plaintes ont été effectuées, mais il semblerait qu'aucun fonctionnaire de police n'ait eu le cœur de donner suite à l'affaire.

De plus, en l'absence de son nom (Madeleine est orpheline et ignore elle-même son véritable nom) et d'argent (les conditions de vie de la jeune femme sont vraiment extrêmes), il n'y avait pas beaucoup d'autre choix.

¨ Le quartier

De nombreuses rumeurs circulent dans le quartier. N'hésitez pas à en rajouter dans l'absurde, même s'il n'est pas facile de faire avouer à quelqu'un qu'il connaît la jeune prostituée.

Chez Madeleine

Quoi qu'on imagine, la réalité est encore pire. L'immeuble où loge Madeleine est vétuste. Elle occupait une petite chambre sous les combles, mais l'escalier de bois qui y mène est partiellement effondré, et extrêmement fragile. La puanteur est atroce, et il fait presque plus froid à l'intérieur que dehors. Le vent qui s'engouffre par le toit abîmé n'est pas étranger à ce phénomène.

Les occupants du lieu ne font guère attention à la propreté. Un cadavre de chien congelé traîne encore dans les environs. Une attention particulière permet même d'y découvrir des traces de morsures d'enfant. Des excréments souillent le sol, et partout, ce n'est que guenilles et ordures.

Dans la chambre de Madeleine, une certaine propreté jure avec le reste de l'immeuble. Pourtant, là aussi, rien n'est dans un état acceptable. Sur le sol, un paquet de vêtements souillés de sang. Sur le mur de pierre, des mots ont été gravés à l'aide d'un morceau de tuile. On peut y lire en désordre « Froid », « Feu » et « Pierre » au milieu d'autres inscriptions moins lisibles.

Une fois que le premier groupe à être arrivé sur les lieux a examiné la pièce, des cris retentissent en bas : prêter l'oreille ne permet pas de distinguer des mots, mais en s'approchant de la cage d'escalier, des lueurs suspectes sont visibles. Le feu vient de se déclarer au rez-de-chaussée, et le vent furieux dont l'intensité a redoublé l'attise et le fait progresser.

Les personnages doivent rapidement se mettre à l'abri. Sans doute faudra-t-il passer par des toits glissants, recouverts de neige et de glace. Faites-leur des frayeurs, mais ne les achevez pas : ce n'est que le commencement d'une longue liste d'incidents.

En effet, lorsque les personnages parviennent en bas, ils peuvent apprendre de la part des survivants massés plus loin une bien étrange histoire : le feu aurait pris tout seul, apparu au milieu d'une pièce, sans qu'il n'y ait de combustible. Très rapidement la chaleur est devenue intolérable.

Notez que si les joueurs ont posté quelqu'un en bas pour faire le guet, ce dernier pourra confirmer cette version absurde…

Paris est-il devenu fou ?

L'histoire rentre maintenant dans sa phase réellement onirique. Les désirs et les souvenirs de Madeleine vont petit à petit se mêler à la réalité, jusqu'à transformer la ville au-delà de tout ce qu'il est possible d'imaginer.

Les manifestations deviendront de plus en plus importantes, et toute la difficulté consistera à séparer les phantasmes des faits plus terre à terre qui permettront de retrouver Madeleine.

Voici quelques exemples d'événements paranormaux :

    - De plus en plus de gens prétendent avoir aperçu des loups en ville. En fait, très rapidement, c'est toute une ménagerie qui sera aperçue (des ours, des hiboux, des serpents, même un cerf).
    - Des hommes sont retrouvés morts de froids près de l'île de la Cité. Leurs corps sont bleus, alors même que quelques instants plus tôt, ils étaient bons vivants et au chaud…
    - Un pont a disparu, purement et simplement, pendant plus d'une heure.
    - La capitale est coupée du monde : le blizzard est de plus en plus fort à mesure que l'on quitte la ville.
    - Des rues entières s'effondrent brutalement, les maisons sont comme sapées.
    - La Seine charrie d'énormes blocs de glace. Son débit devient inquiétant.
    - Une guillotine apparaît sur le parvis de Notre-Dame.
    - De part et d'autre d'une rue du centre, des gibets exposent des grappes de pendus.
    - Enfin, la progression des personnages est systématiquement entravée par un élément naturel lié au vent, à la neige ou au froid.

À vous de classer ces événements selon un ordre de crescendo et selon la progression et les découvertes de vos personnages.

Le pire est sans doute que personne ne semble s'offusquer de ces changements. En fait, le nombre d'individus conscients que quelque chose ne tourne pas rond dans la capitale est limité aux dragons, et à quelques individus qui semblent avoir acquis un statut particulier dans le Rêve, des espèces d'entités conscientes infiltrées. En pratique, il s'agit de la seconde équipe de joueurs si vous souhaitez que les chasseurs soient interprétés. Sinon, eh bien seuls les personnages constatent ces anomalies.

Attention ! les autres habitants voient toutes ces choses, mais elles ne leur semblent pas anormales : il s'agit de l'incohérence d'un rêve, uniquement appréhensible lorsqu'on se trouve à l'extérieur du rêve.

En parallèle avec les altérations oniriques, Madeleine/Julie va intervenir physiquement dans le monde. Elle se sait désormais traquée, et est décidée à ne pas finir comme toujours : condamnée à mort. Dans sa paranoïa, elle va égrener les cadavres dans la capitale, plus particulièrement à proximité du centre.

De façon générale, quelque chose va l'empêcher de trop s'éloigner de l'ancien Pont. Et c'est certainement dans ce quartier que les personnages vont poursuivre leurs recherches.

La traque

Désormais, le ton du scénario aura fortement changé. Comme indiqué précédemment, l'accent doit être mis sur l'ambiance de jeu, et non sur une progression logique de l'enquête.

Il s'agit maintenant d'une lutte constante du rêve et de la réalité, de la folie et de la raison.

Vous devez inclure cela dans vos descriptions, et la recherche de Madeleine dans un Paris où l'on trouve des cadavres déchiquetés à chaque coin de rue.

La gestion de cette partie de l'histoire est laissée à votre entière appréciation. Vous pouvez faire preuve de dirigisme ou au contraire rebondir sur les bonnes (et mauvaises) idées de vos joueurs.

Les stratégies diffèreront en fonction du groupe : les « chasseurs » mettront en place des cordons de police, une recherche systématique, les moyens légaux.

Les dragons quant à eux pourront se servir du jeu de l'Initié, si vous jouez avec cette règle. Ils pourront utiliser leurs formes animales pour explorer le quartier ou encore utiliser leurs pouvoirs. Si vous jouez avec un autre système de règles, considérez simplement que comme Julie, les personnages sont capables d'influencer la réalité.

Pierre Leneuveu

Nous ne nous sommes pas encore beaucoup étendus sur le personnage de Pierre Leneuveu. Vous l'aurez compris, il s'agit de la réincarnation de Pierre, parfaitement conscient de son état et de ses particularités. Depuis des siècles, il est en quête de son amour disparu. Il n'a pas perdu patience, ayant retrouvé souvent des traces de sa bien-aimée, mais arrivant généralement trop tard. Sa pire épreuve fut sans doute de découvrir le corps pendu de Julie, quelques heures seulement après qu'elle fut condamnée à mort…

En cette époque moderne, il a bien compris que le champ d'investigation pouvait être magnifié par l'appartenance à un groupe de recherche, et il prit l'habitude de toujours chercher à rentrer dans la police à chaque incarnation. C'est donc ainsi qu'il a intégré le groupe d'enquête du préfet de police.

Si vous faites interpréter ce personnage, ce qui est conseillé, il vous faudra d'abord informer convenablement le joueur de son état d'esprit, de sa détermination et de son but : sauver Julie d'elle-même !

Il joue donc un double jeu : se servant de l'enquête pour retrouver Julie, mais faisant tout pour empêcher toute autre personne de la retrouver. Cela vaut également envers les autres dragons, car depuis son opposition systématique avec le Veneur, il évite soigneusement ses semblables.

Très rapidement, il va devoir jouer son propre jeu. Cela consistera vraisemblablement à garder toujours sa courte tête d'avance par rapport aux autres groupes, même s'il doit pour cela se trahir.

Il leur manque toutefois la puissance de la folie et du désespoir, et les effets qu'ils pourront obtenir sont bien inférieurs et moins flagrants.

Quoi qu'il en soit, débrouillez-vous pour que la traque s'achève sur les rives de la Seine, à proximité de l'ancien Pont Saint Michel.

Retrouvailles

Les perturbations oniriques doivent atteindre ici leur paroxysme. Tous les groupes de personnages doivent se retrouver en même temps à la poursuite de la jeune femme. Celle-ci fera naître de façon instinctive tous les obstacles nécessaires pour ralentir les poursuivants.

N'hésitez pas à vous servir d'un plan de Paris pour mettre en scène la poursuite. Les personnages sont tous des parisiens, et doivent certainement connaître le quartier. Ils peuvent tenter de se servir de raccourcis. Dans tous les cas, un des personnages finira certainement par se séparer des autres.

Pierre Leneuveu a compris que toute attaque frontale serait vouée à l'échec : son amie est trop paniquée pour se laisser attraper. Il doit l'amener à la faire reprendre momentanément ses esprits, pour calmer la folie de ses rêves et la ramener à lui. Si Pierre est interprété, glissez lui cette information : la séparation de Pierre et Julie est cristallisée autour du Pont disparu. C'est un symbole fort dont il doit tenter de se servir.

C'est d'ailleurs à proximité du Pont que la poursuite va s'achever, et que la jeune femme va être coincée. Elle devra à ce moment faire face à ses assaillants. Cela se fera au détriment des joueurs, car aucune attaque, aucune approche physique ne sera possible. Les éléments se mettront à hurler, le feu se mélange à la glace. Ce sera une lutte de mots et d'idées. Tout autre lutte s'achèvera par la défaite des personnages.

Laissez-les interpréter cette scène comme ils l'entendent. Et choisissez l'issue qui vous convient le mieux, en fonction des actes de vos personnages. Ils peuvent arriver à l'abattre après l'avoir désorientée. Ou encore la calmer, ce qui amènera forcément un conflit avec le préfet de police et ses enquêteurs.

Mais il reste encore une troisième possibilité : les retrouvailles entre Pierre et Julie.

Si Pierre est un personnage joueur, laissez le faire et soyez impartial. Il se peut qu'il ne soit pas encore destiné à retrouver son amour.

Dans le cas contraire, considérez l'éventualité suivante :

Comprenant qu'une attaque frontale était inutile, Pierre a quitté le groupe au pont précédent, pour se rendre sur l'île de la Cité. Là, il a suivi la poursuite depuis l'autre rive, s'arrêtant comme les autres à l'emplacement de l'ancien pont.

Quand la situation devient trop pénible, il se met à hurler « Julie ». Le prénom fait visiblement de l'effet sur la jeune femme (une attaque à ce moment peut l'atteindre), et elle se tourne vers l'autre rive.

Pierre contemple le visage ruisselant de larmes de sa belle, et est une fois de plus émerveillé par sa beauté. Les larmes lui viennent également, et c'est désespéré qu'il contemple en contrebas les eaux tumultueuses de la Seine.

Finalement, les personnages proches de Madeleine/Julie peuvent l'entendre murmurer « Pierre », avec un mélange de crainte et de joie, une anxiété difficilement exprimable, qui fait se couvrir les cieux et pleurer les nuages.

Pierre comprend que lui seul peut rejoindre son amour, et empêcher sa mort ou sa folie. Peut-être même le danger a-t-il déjà pris forme dans la main d'un personnage.

À son tour, il met dans la réalité toute sa détresse et ses désirs. Devant les personnages émerveillés naît spontanément un pont, à l'aspect médiéval. Celui-là même qui fut détruit des siècles plus tôt. Son apparence est intangible, des reliefs de maisons y sont suspendus.

Julie fait un premier pas sur la structure, qui semble miraculeusement soutenir son poids. Le vent s'est calmé. Seul le bouillonnement de la Seine rappelle le danger et le froid.

Le drame peut encore avoir lieu. Dans ce moment magique, le moindre son peut rompre le charme et projeter les amants dans les eaux mortelles. Une simple invective et c'est la fin.

Mais si les joueurs ont le bon sens de se taire, de laisser les événements se dérouler sans eux, ils vont assister à la réunion, au milieu du Pont Saint-Michel, de deux amants trop longtemps séparés. Dès lors, le rêve s'effiloche, et les rues de Paris s'estompent. Seul subsiste le pont, de plus en plus solide, et ses proches rives. Et finalement, tandis que les nuages sont remplacés par des étoiles, tandis que l'univers disparaît, reste en son centre et pour toujours les deux amants du Pont Saint-Michel.

Epilogue

Le préfet de police contemplait la Seine, incrédule. Les eaux du fleuve paraissaient apaisées. Autour de lui, ses hommes semblaient sortir du même rêve. Un rêve dont l'épicentre était un pont disparu. Le vieil homme se secoua la tête, pour chasser les dernières illusions. Ses soucis lui semblaient bien loin. Il fallait qu'il en parle à quelqu'un.

Deux ans après, les travaux de reconstruction du pont Saint-Michel furent initiés, sur ordre de Napoleon III. Ce fut le sénateur Vaudrey qui supervisa l'opération. Ce pont tient toujours…