Interview


Auteur(s) :

Jean-Luc


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Eastenwest > 5 - Le Démon du Jeu



François Bilem
La Boite à Polpette

Une interview par Mario Heimburger et Jean-Luc

On ne le cachera pas : François Bilem est un ami. Mais c'est aussi et surtout quelqu'un qui bouge, et qui sait faire bouger. Une denrée (trop ?) rare dans le milieu du jeu de rôle. Lorsqu'il a lancé sa propre maison d'édition (La Boîte à Polpette) il y a un an, c'était avec une toute nouvelle perspective, une façon de combler un manque dans le monde du jeu. C'est avec grand plaisir que nous lui donnons l'occasion de s'exprimer sur ses idées, ses coups de gueule et ses jeux.

Est-ce que tu peux nous parler de ce qui t'a amené à créer cette maison d'édition, la Boîte à Polpette ?

 

La Boîte à Polpette a été créée officiellement le 2 avril 2001 mais le concept date d'il y a beaucoup plus longtemps. Je me classe parmi les joueurs qui ne sont pas très récents, puisque j'ai commencé à jouer à l'âge de 16 ans. J'en ai 33 à l'heure actuelle, donc cela fait 17 ans que j'ai commencé à jouer. Comme la plupart des joueurs, j'ai fait mon petit parcours dans pas mal de clubs. A mi-parcours, j'ai eu envie d'écrire un jeu. C'est ce que j'ai fait et j'en ai même rédigé plusieurs mais il y en a un que j'ai travaillé plus que les autres et c'était Privilèges. Il y a eu un concours de création de jeux aux Francilles Open de Toulon auquel j'ai participé. J'ai été très content, flatté d'avoir remporté le prix et notamment d'avoir été nommé parmi les jeux " les plus éditables de l'année ".

J'ai eu une frustration énorme de voir qu'absolument tous les éditeurs m'ont tourné le dos. C'est-à-dire que je n'ai même pas eu un merde. Je n'ai rien eu du tout. Un mur de silence épais. Pour un créateur, cela s'apparente de très près à du mépris. Le temps a passé et à un certain moment tu te dis : finalement, pourquoi attendre de la part d'autres ce qu'on pourrait monter soi-même ? Le projet de la boîte à Polpette a mûri.

Si ces gens-là n'ont pas été intéressés par mon jeu, c'est parce que les structures existantes s'occupent de jeux " institutionnels ", des jeux qui ont connu leur succès à l'étranger ou qui travaillent sur une lourde promotion. Mais il y a toute cette masse de joueurs passionnés, des anonymes qui écrivent quasiment tous les jours pour faire vivre ce qui se passe dans les clubs. Il y a plus de scénarios faits maison dans les clubs que de scénarios achetés à l'extérieur. Pourquoi ne pas renvoyer un peu l'ascenseur à tous ces gens-là, d'autant que partout où j'étais passé, il y avait eu des créateurs. J'ai rencontré des gars qui avaient créé leurs références de jeu, adapté les règles de jeu et fait leurs propres univers. Toute cette capacité-là, il faudrait peut-être la mettre en avant, la valoriser. C'est comme ça que l'idée de départ de la boîte à Polpette s'est prononcée.

Tu peux expliquer ton parcours personnel, tes différentes expériences pour en arriver dans ce monde-là ?

J'ai été un vagabond de nombreuses années. En fait, j'ai commencé le jeu de rôles quand j'étais étudiant en Bretagne. Jusqu'à l'âge de 21 ans, j'habitais dans la région de Rennes où je jouais. Ensuite, je suis parti en Allemagne pour faire mon service à Berlin. A partir de là, j'ai voyagé un peu partout, à Paris, en Allemagne, en Hollande, en Belgique, à Marseille et à Colmar pour finalement atterrir à Strasbourg. Partout où je suis passé, j'ai rencontré des gens par le jeu de rôle, soit par hasard, soit par choix

En plus d'expériences diverses, il n'y a pas que le jeu de rôle qui a nourri mon parcours mais souvent cela a rebondi autour. Quand j'étais en Allemagne, c'était un besoin de rencontrer des gens mais cela c'est fait dans le cadre du jeu de rôles. Je parcourais 150 km dans tous les sens pour me taper mes parties de jeu de rôle où non seulement j'avais le plaisir du jeu, mais où en plus, je retrouvais des gens avec qui je pouvais parler.

Mon parcours de joueur n'a rien d'exceptionnel. Il correspond à cette génération de joueurs et à cette époque, on a commencé avec Donjons et Dragons, qui n'était pas encore AD&D. Le AD&D, on en entendait parler, c'était des règles trafiquées, on voyait des bouts de photocopies avec des règles. Après il y a eu une espèce d'âge florissant du JdR français avec pas mal d'apparitions, de gens tels que la bande à Siroz, Croc et compagnie.

Un certain nombre des jeux qui sont sortis alors, m'ont nourri. En tout cas, ils m'ont donné l'idée qu'il était possible de créer ses propres jeux. Après cette période découverte où j'avais pas mal de personnages dans beaucoup de jeux différents, je suis revenu à AD&D.

Le temps passant, depuis à peu près 4, 5 ans, je ne joue plus que sur mes jeux. Moins par narcissisme ou par conviction que seul mon jeu vaut quelque chose, que parce que cela prend beaucoup de temps de créer des règles de jeu, de les peaufiner, de créer des histoires. On est donc souvent en test de ce qu'on fait. J'espère pouvoir reprendre d'autres jeux. Je n'ai pas cette conviction d'être l'écrivain ultime du jeu de rôle. Je fais un truc, mais c'est une proposition parmi d'autres.

Ta première approche des éditeurs était plutôt négative, comment juges-tu à présent le travail des autres éditeurs en France ?

C'est une question piège ! Quand j'ai envoyé la publicité pour la Boîte à Polpette, j'ai dit aux gens : si vous avez créé quelque chose, manifestez-vous ! Certains m'ont fait part de leurs idées : ils avaient rencontré le même mépris chez d'autres éditeurs que celui que j'ai moi-même vécu.

A deux exceptions près, je le précise. Didier Guiserix, de Casus Belli, qui a tout compris à la notion d'encourager les initiatives par rapport au jeu de rôle et François Périnelle qui faisait le jeu Mercenaires et qui avait pris le temps de me répondre, de m'expliquer pourquoi les gens ne répondaient pas.

Bien sûr, je sais pourquoi les éditeurs ne s'intéressent pas à ces jeux-là. L'impératif  commercial – surtout dans les structures qui embauchent du monde, ce qui n'est pas le cas de la boîte à Polpette - nécessite un minimum d'exemplaires de ce jeu qui soient vendus pour revenir dans ses frais.

La Boîte à Polpette est une entreprise, mais c'est mon entreprise et je ne vis pas là-dessus. Je ne tire strictement aucun revenu de la Boîte à Polpette, et ce n'est pas mon objectif, du moins à moyen terme. J'ai donc plus de facilités de ce côté-là.

Là où je ne peux pas cautionner leur attitude que je trouve complètement lamentable, c'est qu'ils ne prennent pas le temps de l'expliquer. Toute personne qui a créé un jeu, une histoire sait que c'est beaucoup d'investissement personnel. Du point de vue de mon expérience personnelle je trouve cela un peu flippant parce que tu te dis : il va y avoir un jugement. Qu'à ce moment-là on ne réponde ni oui ni merde, je trouve ça un peu dur. Je préfère encore que quelqu'un me dise : ton jeu c'est de la daube.

J'ai du mal à le comprendre de la part de gens qui ont commencé avec des petites boîtes. Il me semble bien qu'au départ, les gens de Siroz étaient contents de trouver des gens pour les aider ou les épauler. A moins qu'ils n'aient trouvé personne dès le départ, et dans ce cas c'est d'autant plus dommage qu'ils reproduisent le même schéma.

Après, le " pourquoi on n'édite pas les joueurs ? ", je crois que cela ne ferait pas de mal de le ré-expliquer à chaque fois. Qu'ils ne s'emmerdent pas, qu'ils préparent un formulaire pro forma qui serait renvoyé systématiquement aux gens. Ne pas répondre aux gens, je crois que c'est montrer du mépris.

Peut-on dire que Privilèges est un jeu à tendances fortement anarchistes ?

Oui et non. C'est un jeu qui se veut volontairement cynique, avec un regard acide sur les choses et très critique par rapport à ce qui peut nous entourer. Tu prends du contemporain, tu le transposes cinq, six ans en avant dans un futur complètement hypothétique et tu en fais de la caricature.

Didier Guisérix avait donné (en 1993 lors des Francilles Open de Toulon) une appréciation sur le jeu qui m'avait beaucoup plu : il avait appelé ça le Paranoïa français. Cela m'avait fait extrêmement plaisir. Depuis j'ai appris à me méfier des comparaisons entre jeux, ce n'est pas toujours bon. J'ai vu que vous aviez fait un article sur Paranoïa et moi, j'avais adoré ce jeu. La seule limite que je trouvais à Paranoïa, c'est justement la tendance à cramer sept perso quand on en a droit à six ! C'était frustrant à certains moments.

Dans Privilèges, il vaut mieux garder son personnage, mais il est vrai que la progression du personnage n'est pas l'objectif premier. Le but est de se marrer. Je ne sais pas combien de tables de Privilèges j'ai fait depuis que j'ai créé le jeu, un paquet quand même. Je n'ai eu qu'une demi table qui n'a vraiment pas réagi, qui n'avait pas aimé. L'autre moitié s'est marrée.

Privilèges, c'est tout sauf de la finesse, je ne sais pas comment dire. C'est " vas-y, défoule-toi !  Fais ce que tu as envie de faire ".  A Privilèges, s'il t'est arrivé une tuile dans l'aventure, quand tu vois une petite vieille dans la rue, tu te dis : " Mémé, t'y passe ! " Celui à côté te dis : " t'es nul d'aligner les mémés et il se fait un facteur ! " C'est l'ambiance, et aussi un défouloir.

J'ai connu des scènes fabuleuses à Privilèges, de mecs qui rampent dans des couloirs pour le fun, des types qui jouent au golf avec des grenades. J'avais beaucoup joué à Toon, mais le problème c'est qu'au bout d'une partie, tu es en nage, loukoumisé, par terre en une espèce de caramel mou collé au sol. J'aimais aussi beaucoup Paranoïa mais je trouvais qu'il y avait un taux de mortalité trop développé.

Je me suis dit : pourquoi ne pas essayer de faire un truc entre les deux. Délire mais dans lequel tu survives plus. C'est un jeu où les règles sont volontairement en faveur du joueur. Il y a même un bonus de 35% sur une action où le joueur risque sa peau. Simplement pour la survie, pour s'amuser plus longtemps.

Privilèges est aussi un jeu rapide, qu'on peut jouer en une soirée, non ?

Effectivement, c'est un jeu de snipers. Quand tu te réunis dans un club, combien de fois on se demande quoi jouer. Je pense que Privilèges est un jeu qu'un meneur un peu expérimenté peut prendre en main en une demi-heure. La création de perso se fait honnêtement en un quart d'heure. Pour créer une équipe de personnages, c'est à peine plus long. C'est donc bien un jeu à tir rapide.

 

On peut donc facilement improviser ensuite ?

 

Je crois que oui. Je suis en train d'écrire une campagne entière parce que ça me fait marrer de prendre un truc très sérieux, souvent des poncifs du jeu de rôles et d'en prendre le contre-pied. Parce qu'il y a un certain nombre de règles, les dix commandements. Donc avec un jeu sous la forme de balle rapide, en prenant une campagne qui est quelque chose de très instituée dans lequel il faut rentrer et en lui donnant un rythme de balle rapide; ça m'a fait rire. Je vous donne un scoop : ça parle de fermes, de manipulations.

Privilèges est un jeu dans lequel vous incarnez des marginaux mentalement déséquilibrés, exploités outrageusement par le Club Privilèges, sensé mettre un terme aux privilèges et aux privilégiés.

Un jeu cynique par excellence, avec des bons gros moments de fous rires dedans…

Disponible – 95 F

On trouve quand même en France une culture du jeu décalé qu'on ne trouve pas forcément aux Etats-Unis ou alors cela ne nous parvient pas …

C'est vrai, Paranoïa a vraiment été comme une parenthèse dans ce qui nous arrive. Toon était déjà plus institutionnel parce qu'il renvoyait plus vers la culture Toon et donc vers des références. Je trouve que c'était une météorite dans le monde du jeu de rôles. C'est vraiment quelque chose qui est passé comme cela et qui était très particulier.

Mais c'est très bien. La petite édition est une édition de passionnés. Si elle permet justement de sortir des jeux décalés qui n'ont à aucun moment la prétention de devenir le nouveau Cthulhu ou le nouvel AD&D. Qui ont juste la prétention de dire à un moment donné : faites-vous plaisir, amusez-vous avec ça et puis voilà, quoi ! Eh bien tant mieux. Là, on est dans l'objectif.

A la limite, pourquoi essayer de refaire ce qui a déjà été fait par d'autres. Au-delà des critiques que j'émettais tout à l'heure pour les maisons d'éditions, je trouve qu'elles font bien leur boulot dans leurs domaines. Les bouquins qui sortent sont en général bien travaillés. On peut toujours avoir des critiques sur un bouquin, sur un contenu, sur le prix. Dernièrement j'ai vu des prix qui m'ont parus complètement faramineux (je pense à Star Wars D20).

Dans la Boîte à Polpette, je crois que l'on a l'idée de sortir des bouquins qui présentent bien. On a fait un effort sur la présentation pour ne pas sortir un jeu photocopié avec une bande spirale. Mais c'est clair qu'on n'a pas les mêmes qualités de présentations que les éditeurs classiques.  Enfin, je ne voudrais pas que les lecteurs pensent qu'on édite un truc complètement bidon. Sortir les mêmes trucs qu'eux, pour une boîte comme la nôtre, ça serait un peu idiot.

Là j'ai deux gars qui m'ont écris par rapport à des jeux à éditer. Je peux en parler parce que ça a quand même dépassé le stade du projet. Les sujets m'avaient l'air originaux. Je n'en dirai pas plus : je ne veux pas leur coller la moindre pression. J'espère que je pourrais les éditer.

Par rapport à Privilèges qui est un jeu pour passer un bon moment, Tsaliar prend l'opposé...

Tsaliar est un petit peu déroutant pour les gens qui l'achètent parce qu'il se présente en médiéval fantastique politique. Alors je pense que les gens s'attendent à quelque chose comme un AD&D politisé ou peut-être comme un truc que j'avais vu dans un additif du Secret des Sept Mers sur les rapports à la cour.

Or ce n'est pas du tout ça. Le livre de règles de Tsaliar qui est tout de même assez épais, propose un système de jeu et une base d'univers. On se base sur des individus référents qui ont un rôle politique sur ce monde, sur les rapports entre ces individus, comment ils se répartissent sur l'ensemble du territoire proposé et ensuite, quelle place les joueurs peuvent prendre là-dedans. Mon idée revient à dire la chose suivante : On connaît le principe de mettre en place un jeu dans lequel d'autres que le créateur peuvent intervenir, avec possibilité d'éditer ces ajouts, ce qui ne se fait jamais dans la pratique.

Avec Tsaliar, j'ai eu envie de pousser un peu plus loin le concept. Plutôt  de faire un produit où tu dis : " c'est comme ça et tu ne fais rien d'autre ", je donne une base. A partir de là, les joueurs vont écrire dessus. J'ai déjà quelqu'un qui travaille sur un bout de  territoire, ça va faire jurisprudence. Mon idée est de publier tout ce que  ces gens vont me donner. Je ne ferais que jouer le rôle de "conscience de ce monde", qui déciderait ce qui a le droit ou non d'exister, en garant de la cohérence et de la cohésion de ce monde.

Pour celui qui écrit une extension pour un bout de territoire et me la fait parvenir, on l'édite et si un autre veut reprendre ce territoire, à moi de vérifier ce qu'il va écrire afin d'éviter les oppositions. Partant de ce principe-là, on ouvre l'édition aux gens qui écrivent des scénarios, des aides de jeu, des extensions mais également à ceux qui voudraient créer des personnages référents. Tsaliar fonctionne sur un principe d'ordres majeurs et mineurs dont chacun représente un rôle social. Pourquoi ne pas proposer à des joueurs possédant des personnages de tel ou tel ordre de les rajouter comme un additif aux règles. Combien de joueurs j'ai pu voir créer les plans de leur château, qui se sont emmerdés à prendre une feuille de papier, à dessiner les douves, les passages secrets, les oubliettes, etc.. Pour l'instant, cela reste du domaine du plaisir purement personnel.

Pourquoi ne pas l'intégrer dans le monde de Tsaliar ? Cela ouvre la possibilité de construire quelque chose comme un plan de château, d'auberge, ou du quartier d'une ville ; jusqu'à la campagne qui va se dérouler sur plusieurs territoires.

Je suis prêt à tout intégrer et franchement, j'ai envie de tenter l'expérience. C'est pourquoi je dis que Tsaliar est un jeu à quatre mains. Je voudrais que ce soit un jeu où chacun participe à la partition et pas simplement aux achats d'extensions.

Tsaliar est résolument plus sérieux : après une guerre civile des plus meurtrières, les initiés, groupe social d'élite, tentent de reconstruire un monde stable. Les personnages seront vite amenés à jouer un rôle prédominant dans l'évolution du monde, d'où l'appelation mediéval-fantastique politique.

Disponible – 155 F

Est-ce qu'on peut dire que tu as envie de faire de Tsaliar une sorte de jeu communautaire ?

Ouais, j'ai envie d'en faire un jeu avec une reconnaissance. Je crois que c'est le maître mot de la Boîte à Polpette : reconnaître ce que les gens font.

J'ai tout vu, du petit dessin fait sur un bout de table par un mec qui sait bien dessiner jusqu'à des bouquins entiers. Je me suis dit : pourquoi ne pas faire un retour de ça ? Dans un club d'aéromodélisme, tu as le mec qui va suivre le plan de la maquette et celui qui va vraiment pousser sa passion jusqu'au bout en créant sa propre maquette.

Même eux ont des moyens de se publier, des réseaux d'échanges. Mettons donc ça en avant : le net y participe et va beaucoup aider de ce côté-là. Il fallait aussi une structure intermédiaire destinée essentiellement aux passionnés qui ont envie de partager leur passion, mais aussi aux gens qui aimeraient se faire reconnaître dans le milieu du jeu de rôles et qui n'ont pas l'opportunité de mettre le pied à l'étrier à l'heure actuelle. Il n'y a pas beaucoup de possibilités et c'est encore pire pour les illustrateurs. Après, j'espère qu'il y aura une certaine intelligence chez les boîtes d'édition de se dire qu'il y a là un vivier, une ressource.

 

Il y a un principe qui marche bien actuellement, en gros : dix ans après.

Est-ce dans l'ambition de Tsaliar de faire ce genre de chose et ensuite, est-ce compatible avec les initiatives locales ? C'est vrai qu'avec un univers bâti sur des retours, il y a des choses qui peuvent se situer "hors temps". Par exemple, le descriptif d'une auberge, tu peux le caser à n'importe quel moment.

Il y a des choses par contre qui doivent se situer dans le temps. J'ai déjà écris un développement pour Tsaliar, une campagne qui sortira au prochain catalogue avec laquelle une chronologie est proposée. Mais cela reste à l'état de proposition, ouverte aux adaptations. Il est en même temps important de fournir cette chronologie en aide de jeu supplémentaire pour recadrer les jeux par rapport à l'époque. A partir de là, il ne faut pas non plus se focaliser dessus. Ce qui me gène plus dans cette histoire de " Dix ans après ", c'est que je ne suis pas certain qu'entre 2050 et 2060, les dix ans d'écart aient été inspirés par la manière de jouer des rôlistes. C'est plus une certaine forme de comeback.

S'il y a eu des scénarios parus qui correspondent à cette période avec une évolution politique qui reprend le résultat final avec une orientation, cela peut être justifié. Des jeux peuvent évoluer et je trouve ça très bien. Sinon, on a le droit de se sentir floué. Quelque part en tant que joueur, tu n'existes pas. On a aujourd'hui tous les moyens techniques pour avoir un bon feedback et trop souvent on n'existe que comme acheteur de jeux. Je comprends qu'on ne puisse pas intégrer tout ce que font les joueurs parce qu'il y a une telle diversité entre les ultra gothiques et les Toons !

Dans Tsaliar, tu laisses une très grande ouverture à la façon de jouer. Tu décris 4 niveaux de jeux, qui correspondent aux quatre rangs des personnages. Quels sont justement les conseils que tu donnerais aux meneurs ?

Jouer au rang 4, c'est influer sur la politique complète du monde, tandis qu'au rang 1, on se place dans une perspective d'aventuriers locaux. J'ai voulu faire un jeu dans lequel tu pouvais faire progresser les personnages non seulement en terme de puissance du personnage mais également en terme d'implication du personnage dans le monde dans lequel tu joues.

J'avais cette envie, en tant que joueur, d'avoir des personnages qui au bout d'un moment devenaient également des gens importants pour le territoire sur lequel ils agissaient. Et j'ai eu beaucoup de mal parce qu'on se heurtait à ce mur entre l'univers décrit et l'apport des joueurs. Il y avait un moment où – pour reprendre l'exemple d'AD&D – on te disait quand tu étais niveau 1 que le gars qui te commande était 12ème niveau, et quand tu étais 12ème niveau, le gars qui te commande il est 50ème… Et le mec, forcément parce qu'il est très haut niveau, lui, il a le droit de, et toi pas ! Ca devenait gavant, au bout d'un moment.

Avec un système de jeu comme Tsaliar, tu peux effectivement jouer un personnage dans l'un des quatre rangs de jeu : le premier rang - qui pour revenir à ta question est le rang que je conseille au départ, bien qu'on puisse rapidement évoluer - est un niveau aventurier. Tu dépends d'une hiérarchie, on te donne des consignes, etc. On t'envoie sur le terrain pour voir, découvrir le monde, savoir un peu ce que tu as en face de toi.

Au bout d'un moment, tu peux avoir l'aventurier orienté, c'est à dire l'aventurier tel qu'on a pu le voir dans certaines campagnes médiévales fantastiques qui est vraiment dans un Ordre précis, un peu la différence entre le guerrier et le paladin. Du personnage généraliste, le personnage évolue pour acquérir petit à petit une éthique, une orientation, un code de conduite. C'est le deuxième rang de Tsaliar, des personnages qui rentrent dans un objectif, qui disent : " Moi, sur le monde de Tsaliar, je représente tel aspect des choses ". Et je me suis dit : allons plus loin encore : arrive le troisième rang, et à ce rang, à la limite, ce ne sont plus ces personnages qui agissent autour d'une table.

Tu joues ton personnage, et un jour tu te dis " J'ai déjà fait tellement de trucs avec ce personnage. Finalement, aller sauver de la princesse, ça ne m'intéresse plus trop. Je vois plutôt le mec dans sa cour… ". Et là, problème pour tous les maîtres du jeu : comment écrire un scénario 100% politique ? On peut y arriver, y'a des mecs qui y arrivent, mais c'est pas l'exercice le plus facile. Ces personnages-là, le joueur va décider qu'il ne va plus trop les jouer autour d'une table. Par contre, c'est un personnage qui va pouvoir donner des consignes à tous ceux qui dépendent de lui dans la hiérarchie. Les personnages joueurs qui seront présents autour de la table pourront recevoir de ce personnage-là des consignes, des aides, de l'argent et pouvoir faire progresser son personnage par rapport à des résultats d'une table de jeu où il n'est peut-être même pas, ou avec un autre personnage.

Comment ça marche ? Imagine que tu as un maître Seigneur de la Guerre (maître = 3ème rang), donc un combattant mais aussi un dirigeant. Quelqu'un de plutôt strict, moraliste, la loi c'est la loi. Tu apprends que tu as un groupe d'aventuriers qui va être envoyé sur une mission où quelqu'un bafoue la loi. Et dans ce groupe, quelqu'un dépend de ton organisation. Tu peux donner des consignes directement à ces joueurs, du genre " Faites-le disparaître discrètement ", " pendez-le en public ". Ou encore " prenez ça pour vous aider " ou " je ne vous donne rien car vous devez faire vos preuves, bande de novices ". Et là, les mecs de ta hiérarchie se couvrent de ridicule, qui rejaillira sur toi. Ou au contraire, ils se couvrent de gloire. Et tu dis " C'est moi qui leur ai tout appris " . Ton personnage progressera d'autant plus.

Le quatrième rang, c'est carrément le rang au-dessus, où tu prends des responsabilités sur l'ensemble de la politique de Tsaliar. Mais c'est un choix, tu ne passes pas de rang de façon obligatoire. C'est pourquoi j'ai créé la notion de " Déviance ", au-delà d'un certain moment où tu serais capable physiquement de passer au rang supérieur, tu peux décider de continuer à être dans ton rang, on t'appelle un déviant parce qu'on a du mal à te cataloguer. L'appellation Mediéval-Fantastique politique vient de là : ton personnage à un moment peut devenir un pilier actif du monde de Tsaliar, et non " Tu es un guerrier 2ème niveau, construis ton château ", ce qui était souvent la limite d'implication dans d'autres jeux.

Ce qui change aussi, c'est la réputation : se souvenir des actions passées, gérer sur le long terme…

Exactement. La réputation marche sur 6 critères qui vont évoluer, pas par rapport à ce que tu es, mais par rapport à ce que tu parais. Là aussi c'est une réaction par rapport à ADD, où le système d'alignement où tu étais est un peu figé. Là, tu peux être une pourriture de première et avoir à cœur de donner une réputation aux gens de mec ultra bienveillant. Tu peux aussi avoir des sales réputations qui te suivent et que tu ne mérites pas. Exemple : tu pars tuer un groupe de monstres quelconques, tu te bats comme un diable, tu manques de mourir, mais y'avait pas de témoin. Sur le retour, tu rencontres un gobelin, et t'es tellement blessé que tu décides de ne pas le combattre et de partir. Manque de bol, deux villageois qui passaient par là te remarquent, tu risques de te traîner une réputation de froussard, sans le mériter. La réputation peut également se retourner contre toi. Tes compagnons de route peuvent également influer sur ta réputation.

Là, je joue avec un groupe qui a voulu incarner des personnages Tyranniques. Au début, ils s'en sont donnés à cœur joie et leur score de malveillance a beaucoup augmenté… Mais là, ils ont des problèmes, parce que partout où ils passent, les gens sont terrifiés et plus personne ne veut leur parler. Ca donne aussi des éléments pour voir comment le personnage s'implique dans le monde. Toujours le même principe : vaincre l'anonymat du personnage. Faire en sorte que ton perso soit pas le même qu'un autre. Dans ADD, c'est ta réputation (ton alignement) qui décide de ce que tu fais. Dans Tsaliar, c'est ce que tu fais qui va décider de ta réputation.

En fin de compte, la construction du personnage passe autant par ce qu'il a été avant, que par ce qu'il a envie de devenir. Dans toutes nos parties, on s'est rendu compte que ça passait bien auprès des joueurs, même s'ils ont parfois du mal au début, à comprendre la maniabilité du personnage. Mais si un maître a envie de prendre le système des rangs comme un accroissement de pouvoir, qu'il le fasse…

Et les projets ?

Alors, il y a la campagne de Tsaliar, qui est plus qu'un projet, puisqu'elle devait sortir en même temps que le livre de base, mais on a eu un léger problème technique sur la dernière ligne droite. Du coup, on en profite pour l'améliorer. Là aussi, j'ai voulu essayer quelque chose : c'est une campagne qui est proposée en 18 modules, chaque module correspondant à un petit scénario. Il est prévu sur 5 approches différentes (tyranniques, populaires, conservateurs, intellectuels, commerciaux). Chaque module est proposé sous ces cinq angles, et du coup, j'ai proposé un mode en multitable. Un à cinq groupes peuvent alors jouer en même temps, trois modules individuels plus 3 modules de regroupement. Pourquoi pas ? J'aime bien essayer des nouveaux trucs.

Derrière, je prépare une grosse campagne Privilèges, une campagne sur le monde paysan (rires) : le club Privilèges récupère des fermes et va tenter de monter des " fermiers modèles ", qui seront interprétés par les joueurs (combats de Ploukemons – Engraissez-les tous - des courses de tracteurs, un gn, etc). Moi j'écris le matin et l'après-midi je bosse (si tant est que le matin c'est pas du travail). Certains matins où j'écris pour Privilèges, je suis plié de rire.

J'espère pouvoir sortir les deux auteurs qui ont pris contact avec moi. J'ai des contacts avec un gars qui me propose des musiques d'ambiance. Il fait ses musiques dans son propre studio. C'est un peu en marge du jdr, mais ça m'intéresse.

Un autre projet : un gars qui est en train d'écrire un début de campagne sur Tsaliar. Après la campagne de l'île d'Orion, il y aura un concours sur internet, dont le prix sera un objet magique dans le monde de Tsaliar, un concours purement jdr. L'objet sera réellement unique, décrit uniquement pour le joueur, et sera intégré à l'histoire de Tsaliar.

Essayer des trucs, c'est ma vocation. Par exemple, un vieux rêve : un championnat de jdr, pas un tournoi. Des rencontres entre groupes locaux avec un système championnat. Ca fait des années que je me heurte à des réponses du genre " c'est pas possible ", mais moi, plus on me dit ça, et plus j'ai envie de le faire. Parce que quand j'ai créé la boîte, j'ai été bombardé de " Ca va pas marcher ".

Y'a ce discours très réducteur qui consiste à dire " une boîte de jdr, ça peut pas durer… ". J'ai rencontré un gars aux Nocturnes Foréziennes, qui s'était endetté jusqu'à la moelle pour lancer sa propre édition. Moi, j'ai pas choisi cette voie-là : je suis passé par le système de la micro-édition, en petits volumes. Si demain, je devais arrêter, j'y perds de l'argent, mais en quantité réduite. Je ne suis pas dans une logique de course en avant. C'est pas difficile d'éditer : c'est diffuser. Editer, c'est juste un casse-tête administratif.

J'ai volontairement pris un système qui me permet de prendre un risque. Sinon, je deviens exactement comme les autres boîtes d'édition, obligé de dire aux gens : non je peux pas vous éditer parce que c'est pas rentable. J'ai investi 30000 francs. Tant que je suis à l'intérieur de ce budget, je peux éditer ce qu'on me propose. Après, mon objectif, c'est de rendre la boîte autonome, que les ventes puissent alimenter la boîte. Gagner de l'argent avec, ne figure pas dans mes objectifs immédiats, et j'espère durer.

Dernière question : compte tenu du fait que Eastenwest est un webzine sur internet, quels sont les projets au niveau internet ?

Pour l'instant, le concours va se dérouler par l'intermédiaire des boîtes aux lettres, sous forme d'énigmes qui seront proposées par internet. Le site de la boîte est actuellement en cours de projet et de développement.

On va suivre calmement l'évolution de ce site, pour que la boîte ne grandisse pas trop vite, donner en priorité la possibilité aux joueurs de donner leur avis. Internet va – évidemment - nous servir à présenter plus en détail nos jeux et d'assurer un meilleur suivi.

Ce qui m'intéresse, c'est de voir ce qu'internet permet maintenant qui n'était pas possible avant.

Par rapport à Tsaliar, il y a aussi le retour des joueurs.

Les gars de zombies vous disaient qu'ils étaient étonnés d'être les seuls auteurs contactables sur Internet. Tous ceux qui ont fait la tentative pourront le dire : je mets un point d'honneur à répondre à tous les messages qu'on m'envoie. Pas forcément immédiatement, mais je ne laisse jamais un message sans réponse, même quand ça n'a pas forcément de rapport avec la boîte. C'est la partie qui me plaît, discuter avec les joueurs.

Le net est un super outil, mais faut pas le galvauder. Faut le prendre calmement.

Pour tout renseignement, vous pouvez contacter François Bilem aux coordonnées suivantes :