Roman


Pour : Médiéval-fantastique


Auteur(s) :

Philippe de QUILLACQ

Illustrateurs(s) :

Ghislain THIERY


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Eastenwest > 5 - Le Démon du Jeu



Humble Mortel, ch 1-3

Un roman de Philippe deQuillacq

A partir de ce numéro, nous publierons par petit bout les chapitres d'un roman de fantasy inédit écrit par un de nos collaborateurs. Nous vous souhaitons une agréable lecture et vous encourageons à partager votre opinion avec l'auteur par mail.

Chapitre premier

 Romik s'était toujours demandé pourquoi on utilisait des marteaux de guerre dans sa famille. Cela se faisait de père en fils et chaque génération employait cette arme atavique lors des combats. Manier un marteau était bien plus difficile qu'une épée ; les coups devaient être soigneusement étudiés et accompagnés d'un mouvement de tout le bras pour atteindre leur cible.

 "Romik ! Tu es encore en train de rêver ou quoi ?"

Un coup de marteau en pleine poitrine ramena brusquement Romik à la réalité. Un peu sonné, il n'était pas blessé grâce à la lourde cotte de mailles qu'il pouvait porter en raison de sa forte carrure -encore un héritage de famille.

 "Cache toi derrière ton bouclier pour parer les coups, je n'arrête pas de te le répéter !, lui dit Famik, son père. Bon, on recommence et cette fois, essaye de parer mon attaque !"

Pesant de tout son poids, Famik assena un lourd coup de haut en bas. Romik n'eut aucun mal à éviter cette attaque grossière et il plongea de coté, le marteau de son père se plantant dans la terre et il donna un coup de bouclier au niveau du bas du visage, par en dessous.

 "Mmh tu t'améliores, lui dit son père en se frottant le menton. Tu vas finir par me blesser en progressant ainsi".

 "Il faut dire que si tu ne te battais pas aussi mal j'aurais plus de mal à placer des parades" lui répondit Romik en riant.

 "Et tu te crois assez doué pour te permettre de me critiquer !" rétorqua son père en souriant. "Tu devrais savoir qu'un simple entraînement est bien différent d'un combat réel, surtout si tu affrontes plusieurs ennemis à la fois. Dans ces situations, tu ne peux te concentrer sur un seul adversaire, car tu dois tous les surveiller  en même temps, ce qui prends la majeure partie de ton attention. Il devient difficile dans ces cas de choisir des attaques judicieuses et seuls les meilleurs manieurs de marteau peuvent tenir tête à plusieurs bretteurs simultanément."

Romik enleva son épaisse cotte de mailles. Il était trempé de sueur et il s'étendit sur l'herbe moelleuse. Son père ne tarda pas à l'imiter.

 "Père, quand est-ce que tu as tué un orc pour la première fois ?"  lui demanda Romik.

 "Allons, tu sais très bien comment ça s'est passé. Je devais être vieux d'à peu près deux cent soixante lunes et je me promenais avec ta mère dans une forêt. Nous étions jeunes amoureux et nous marchions paisiblement lorsque soudain une petite troupe d'orcs nous assaillit. Je me demande bien ce qu'ils pouvaient nous vouloir, nous n'avions aucun objet de valeur en notre possession."

 "Et alors?"

 "Eh bien Tarine a immédiatement escaladé un arbre et j'ai sorti mon marteau. Je me suis alors précipité sur le premier orc et lui ai donné un lourd coup sur le crâne. Son casque n'a pas tenu le coup, sa tête non plus… J'ai alors mis en déroute les cinq autres. Ils n'étaient pas bien courageux, même pour des orcs…"

 "Woah ! s'exclama Romik. Maman a vraiment du être impressionnée !"

 "Alors elle devait bien cacher son jeu parce qu'elle était peu rassurée et elle tremblait comme un poisson frétille. Et je n'ai pas eu autant d'éloges que tu le crois car ton grand-père m'a fortement réprimandé pour mon inconscience."

 "A table ! Le repas est prêt !"

 "On arrive tout de suite, oncle Deran !" répondit Romik.

Deran était le frère aîné de Famik et tous deux exerçaient la profession de maître artisan. Ils fabriquaient toutes sortes d'objets qu'ils essayaient ensuite de revendre. Comme à chaque solstice d'été, ils se rendaient à Fnor Ingël, la capitale du pays pour y vendre leurs objets lors du grand festival du solstice d'été. Famik avait prit l'initiative d'emmener son fils pour la première fois au festival car ce dernier approchait de la majorité -il avait maintenant plus de deux cent lunes- et il semblait à Famik qu'il serait bon pour son fils de voyager un peu et de découvrir du pays.

 Le souper se composait d'une soupe à l'oignon avec du pain, du lard et du fromage. Famik, Deran et Romik prenaient leur repas de bon cœur car leur voyage était éprouvant pour le ventre. Ils avaient installé leur campement provisoire au bord d'une rivière à proximité de la grande route reliant Fnor Ingël à Stanok, où ils avaient laissé leur famille. Au fur et à mesure des jours qui s'écoulaient le long de leur périple, une sorte de routine s'était instaurée et, bien qu'un trajet jusqu'à Fnor Ingël fut occasionnel pour eux, ils commençaient à prendre certaines habitudes comme le souper par exemple, qui, dépourvu de veillée, était presque instantanément suivi d'un sommeil réparateur jusqu'au petit matin.

Le lendemain, ils reprirent tôt la route car Famik espérait qu'ils arriveraient à Fnor Ingël avant le coucher du soleil. La route était tranquille et peu fatigante. Elle n'était pas non plus sinueuse et offrait une vue sur toute la plaine, à l'ouest comme à l'est. Les voyageurs matinaux pouvaient même, par endroits, contempler la brume se lever dans les contrebas de la vallée. La platitude du reste du paysage n'était rompue que par quelques bois touffus, auprès desquels passait parfois la route, pour rafraîchir les voyageurs.

A quelques heures précédant le milieu de la journée, Romik aperçut au loin, derrière eux, une charrette qui avançait plus rapidement que leur lourd chariot tracté par deux solides chevaux de trait. Intrigué, il confia son inquiétude à Famik et Deran.

 "Les rencontres sur les grands chemins peuvent parfois être très désagréables" déclara Deran qui avait une plus grande expérience du voyage que les autres. Il ajouta: "Je pense que nous devrions agir avec prudence, sans toutefois nous comporter de manière hostile. Du moins, tant que ce n'est pas nécessaire…"

Quelques temps plus tard, Romik distingua plus clairement les occupants de la charrette ; il vit deux silhouettes, correspondant à des hommes assis à l'avant du véhicule et, après quelques instants, il entendit chanter une ballade grivoise connue de tous qui narrait l'amour d'un chevalier de retour de guerre pour la bière et les donzelles. Romik comprit alors que ces deux voyageurs n'étaient point hostiles et qu'ils devaient sûrement être de compagnie agréable. L'un d'eux avait l'âge de Deran tandis que l'autre devait avoir un peu moins de trois cent lunes. Ils étaient souriants et avaient l'air jovial. Lorsque leur véhicule arriva à hauteur de leur chariot, le plus âgé prit la parole. "Salut gais dols ! Comment vous portez-vous ? Je suis Terjal et j'exerce le métier de forgeron. Avec mon fils Sirjal nous nous rendons à Fnor Ingël car nous espérons avoir beaucoup de demande lors du festival du solstice d'été."

 "Eh bien nous nous rendons comme vous à la capitale, aussi nous pourrons partager notre route jusqu'à destination si vous le souhaitez" proposa Deran.

Après que les présentations furent faites, les voyageurs s'arrêtèrent pour se restaurer car la mi-journée était passée de peu.   

Une fois le repas fini, Terjal décida qu'ils pouvaient s'accorder une petite sieste car en voyageant à cinq, ils craindraient moins de poursuivre leur route une fois la nuit venue. Romik alla s'entraîner au maniement du marteau avec son père. Se rappelant sa victoire aisée de la veille, il préféra agir avec prudence car il savait que Famik ne se laisserait pas aussi aisément battre cette fois-ci. Il retrouva rapidement les sensations qu'il éprouvait au contact de la peau tressée qui enrobait le manche de l'arme. Il ressentit aussi les picotements familiers au creux de sa paume et qui lui venaient à chaque fois qu'il saisissait son arme pour un entraînement. Sa tête guidait son bras et son bras guidait son attaque. Le marteau ne devait être que le prolongement du bras. Si cette condition n'était pas satisfaite, il était inutile de poursuivre le combat plus avant. Romik se remémora ses erreurs de la veille et prit instinctivement la position d'attaque que son père lui avait apprise. Il échangea quelques attaques légères avec lui, usant du large bouclier pour parer ou détourner les coups, et ayant recours immédiatement après au marteau pour contre-attaquer. En contradiction avec les bretteurs, il n'était pas question de se fendre et de parer à l'aide du marteau, ce qui était difficile et quasi-inutile. L'usage du marteau était fort différent de celui d'une épée légère ou d'une rapière. Par contre, il se rapprochait un peu de celui d'une épée lourde, difficilement maniable, comme une épée bâtarde et il était encore plus familier avec celui d'une hache. Ainsi, au lieu de se fendre, on attaquait presque toujours de côté, puis on ramenait son arme à soi d'une torsion du poignet. Il était admis que l'utilisation du marteau était peu subtile, il s'agissait de tromper la garde adverse pour, ensuite porter une attaque puissante afin d'infliger de sérieux dégâts à son adversaire. Les attaques étaient peu variées, en raison du mauvais équilibrage de l'arme et de son poids important au bout du manche. Par contre, même si la personne blessée portait des protections relativement importantes elle pouvait toujours finir par se trouver avec des côtes brisées, alors qu'une épée n'aurait fait qu'une entaille minime. Il fallait parfois préférer une arme simple mais efficace à une épée, car un impact causé par un marteau n'est jamais négligeable, sauf s'il est évité.

Famik et son fils continuèrent à s'entraîner pendant quelques minutes jusqu'à ce que Sirjal, qui n'avait fait que les regarder en silence se décide à les interrompre. "Le maniement du marteau de guerre m'a l'air assez difficile et je me demande bien pourquoi vous vous obstinez à utiliser cette arme désuète alors qu'une bonne épée est beaucoup plus commode, dit-il."

 "Oseriez-vous m'affronter pour me prouver vos dires, sire  Sirjal?" s'enquit Famik.

 "Ce serait un plaisir pour moi de vous infliger une défaite que vous regretteriez amèrement."

 "Alors qu'il en soit ainsi, mais combattons sans haine et avec dignité : je ne voudrais point vous voir étendu, les os brisés"

Sirjal se dirigea vers sa charrette et en sortit une légère cotte de mailles à manches courtes ainsi qu'une épée longue. Il s'équipa promptement et revint vers Famik. "Je pense qu'il est inutile que je porte un casque ou un bouclier sinon quoi le combat risquerait d'être inégal."

"Vas-y père, prouve-lui l'efficacité d'un marteau" lui souffla Romik.

Sirjal traça prestement du pied les limites de l'arène de combat et il se mit à un bout de l'espace délimité. Famik ne tarda pas à faire de même puis, après un bref salut, ils entrèrent dans l'arène. Deran et Terjal, réveillés par le bruit des préparations rejoignirent Romik, à une distance respectueuse de la zone de combat. Sirjal dégaina son épée et Famik décrocha le marteau de guerre de sa ceinture.

Le combat pouvait commencer.

Sirjal attaqua le premier. Il porta un coup rapide sur la garde de Famik qui ne fit que parer. Et cela continua de la sorte : Sirjal attaquait et Famik repoussait à l'aide de son bouclier, et même parfois de son marteau. Mais il ne ripostait jamais réellement.

 "Père se comporte comme s'il ne voulait pas se battre contre son adversaire, se dit Romik, il a du adopter une attitude défensive parce qu'il doit penser ne rien avoir à craindre de lui. Je suppose qu'il est en train de le jauger, de déceler ses faiblesses avant d'agir enfin."

Terjal et Deran quant à eux ne faisaient que regarder avec sérénité l'affrontement, comme s'ils connaissaient d'ores et déjà l'issue du combat.

Et comme l'avait prédit Romik, son père se mit enfin à se battre pour de vrai. Il profitait de la fatigue de Sirjal qui avait  mené des assauts incessants et, à l'aide de cette opportunité et d'un savoir du maniement du marteau transmis depuis des générations, il reprit le dessus de la situation. Il était flagrant que Famik dominait son adversaire. Il le battit en feintant à l'aide du marteau puis en portant un coup brutal de bouclier au niveau du bas du visage -tout comme l'avait fait son fils la veille- et en le fauchant à l'aide du pied. Projeté par la violence du choc, Sirjal retomba lourdement sur le sol. Famik l'immobilisa instantanément.

Le duel était achevé.

 "Oooh, quelle chute ! se lamenta Sirjal en se relevant. Je crois que vous m'avez démontré avec succès l'utilité de l'emploi du marteau de guerre. On dirait que cette arme bien employée peut se montrer dangereuse," finit par avouer Sirjal, bon perdant.

 "Et en plus, vous avez donné une bonne leçon à mon prétentieux de fils, et ça ne lui fera pas de mal, à mon avis !" ajouta Terjal. "Mais au fait, d'où vient cette parade qui l'a fait mettre à terre ?"

 "Oh, c'est un savoir de famille" répondit Famik en regardant son fils malicieusement. "Mais je ne vous ai même pas montré l'art de lancer un marteau. C'est une technique qui peut se révéler très utile pendant d'un assaut."

 "Je pense que maintenant je traiterai les utilisateurs de marteaux avec plus de respect, même si j'estime qu'une épée sera toujours plus efficace. C'est peut être parce que vous avez une meilleure expérience du combat que moi que vous avez pu vous tirer d'affaire avec un marteau" déclara Sirjal, en passant la main sur son menton douloureux.

Deran interrompit la conversation: "Bien, je pense que nous pourrions poursuivre notre voyage, si vous ne souhaitez pas arriver trop tardivement à Fnor Ingël."

 "Ecoutez donc la voix de la raison nous rappeler à l'ordre !" lança Terjal en riant.

CHAPITRE II

Ils arrivèrent en début de soirée à Fnor Ingël. Du moins, cela s'appelle un début de soirée car bien que la nuit soit déjà avancée, la ville était en ébullition. Les gens avançaient comme ils le pouvaient dans les rues étroites, comme pendant un jour de marché, et Romik finit par se demander si la notion de repos existait chez ces gens là. Avant d'arriver dans la ville, il avait eu le loisir de l'observer à distance. Il se souvint qu'il avait vu au loin une lumière qu'il avait au début prise pour un feu. Mais au fur et à mesure qu'ils se rapprochaient, il se rendit compte qu'il voyait bien des lumières. Ayant passé sa vie en campagne, dans des bourgades, il fut surpris par la taille de la ville. Elle semblait immense ! L'importante cité s'étalait le long d'une large baie, ce qui était d'ailleurs la cause de son influence : depuis des générations, la cité avait gagné en prospérité, et ce parce que les échanges commerciaux avec les autres villes longeant la Mer Intérieure s'étaient toujours multipliés. Fnor Ingël se situait dans une plaine et le majestueux fleuve Ternez longeait la ville, qui, bien desservie, était rapidement devenue un pôle majeur d'échange du nord-ouest du continent, il y a longtemps de cela.

Romik regrettait un peu qu'ils ne soient pas arrivés en plein jour. Il aurait aimé pouvoir admirer les immenses navires de commerce dans la baie. La vue depuis la colline surplombant la ville aurait été enchanteresse pour une personne habituée à la vie rurale. Mais le panorama de la ville entourée d'un halo lumineux, tournée vers la mer avait aussi quelque chose de spectaculaire.

Ils restèrent dans la rue principale de peur de se perdre dans les dédales de Fnor Ingël. Deran s'inquiétait de trouver une auberge où loger à cette heure avancée de la soirée lorsque Terjal le rassura : "Il est inutile de vous préoccuper de ce problème. Je connais un vieil ami de l'autre côté de la ville qui acceptera sûrement de nous héberger pour cette nuit, et nous pourrons trouver une auberge demain."

 

Pendant le trajet jusque chez Earven -l'ami de Terjal- Romik eut tout le loisir d'observer la ville. Son père lui avait dit que les soirées lors d'un festival étaient particulières ; il y avait peu de marchands, mais surtout des badauds qui se promenaient sans but précis. Les tavernes étaient bondées d'hommes se saoulant allègrement, et malgré quelques querelles bruyantes ainsi que certaines personnes ivres rendant leur souper sur la voie, l'ambiance générale plaisait assez à Romik. Il y avait une sorte de bonne humeur qui saisissait chaque personne, un parfum d'euphorie qui adoucissait l'atmosphère. Il en était de la sorte lors du festival : le temps semblait ne plus exister et on oubliait ses peines et ses soucis durant  quelques jours.

 "Père, penses-tu que nous pourrons voir des elfes ?" s'enquit Romik.

 "Fnor Ingël est très éloignée des lieux habituels où ils résident. De plus, ils apprécient peu la compagnie des mortels que nous sommes."

 "Toutefois, je pense qu'il peut y avoir quelques elfes en ville, ajouta Terjal. Mais ils préfèreront passer inaperçus. Ils sont très discrets, en comparaison des humains."

Après un bref instant de silence, Deran ajouta : "Il arrive aussi que des orcs ou des trolls viennent en ville pour faire des pillages. Malgré tout, cela demeure très rare. Ces créatures se font immédiatement repérer car elles ne sont pas aussi discrètes que les elfes et on leur tranche la gorge prestement"

Romik avait constaté que si occire un homme était considéré comme une faute très grave, ces derniers n'éprouvaient aucun scrupule à éliminer un orc ou un troll. Selon son père, ces monstres ne devraient pas exister car ils ne connaissent aucun sentiment mis à part la cruauté et la haine. Certains disaient que le diable lui-même avait crée ces horreurs pour parodier les merveilles façonnées par le Seigneur et il était alors du devoir de chacun d'occire orcs et trolls si on en avait la possibilité. Les elfes, quant à eux, sont davantage semblables aux hommes. D'un physique similaire au leur, ils sont dits immortels car ils jouissent d'une jeunesse éternelle, mais ils peuvent toujours succomber à des blessures graves. En revanche une brève discussion avec l'un d'eux -si on a la chance d'en rencontrer un- suffit pour se rendre compte à quel point ils peuvent se révéler étranges. Selon les rares personnes ayant pu les rencontrer, la présence des elfes est assez intrigante. On dit qu'ils pensent différemment  Ils n'ont pas la même perception des choses et  ne réagissent pas de la même manière que les hommes. Cela explique qu'ils sont en un sens déroutants.

Lorsque Romik fut tiré de ses pensées, il s'aperçut que l'aspect de la ville avait changé. Les anciennes et épaisses maisons de la rue principale avaient laissé place à des masures à toits de chaume aux murs obscurcis par la saleté et l'usure, dans des ruelles plus étroites. Il se demandait s'il était prudent de s'aventurer dans des passages aussi sombres à une heure si avancée mais il conjectura que Terjal devait connaître les environs et qu'il devait probablement vouloir se presser pour ne pas avoir à tirer Earven de son lit.

Enfin, ils finirent par arriver. Le quartier semblait plus calme qu'à leur arrivée en ville, en raison de leur éloignement du centre-ville. Toutefois,  il y avait bien plus d'activités qu'à Stanok à une heure pareille.

Pendant que Terjal et son fils allèrent rendre visite à Earven, les autres restèrent à proximité de la maison et patientèrent.

 "Père, n'y a-t-il jamais de couvre feu dans cette cité ou alors les habitants se couchent-ils quand la lune est haute dans le ciel ?" s'enquit Romik.

 "Bien sûr que le couvre feu est imposé, répondit Famik. Fnor Ingël est aussi touchée par les attaques nocturnes. Néanmoins, lors du festival, il y a toujours des marchands qui négocient à toute heure. Et comme les allées et venues sont nombreuses entre Fnor Ingël et les bourgs avoisinants en cette période, les portes de la ville sont rarement fermées."

Terjal sortit de la maison. "Mon ami accepte de nous offrir l'hospitalité pour la nuit. Vous pourrez vous installer dans la grange. Il y a suffisamment de paille pour faire des couches. Pour l'instant, suivez-moi : Earven nous invite à boire."

Le logis était assez petit comparé à une maison de campagne. L'intérieur était simple mais confortable et l'endroit chaud. Sirjal était déjà attablé en compagnie d'un homme un peu moins âgé que Famik et les autres ne tardèrent pas à les rejoindre. La femme d'Earven, une robuste femme qui ressemblait à une paysanne habituée aux durs labeurs, apporta des bocks de bière brune sur un plateau. Terjal et son ami évoquaient avec beaucoup d'enthousiasme leurs souvenirs de jeunesse tandis que les autres écoutaient poliment tout en sirotant leurs bières. Lorsque Earven se rendit compte qu'il monopolisait la conversation et que l'heure était fort avancée, il s'excusa et proposa aux voyageurs d'aller se reposer et de les revoir au matin. Après avoir remercié poliment le maître de maison pour son hospitalité, ils allèrent promptement se coucher, hormis Sirjal qui continua à bavarder avec Earven pendant quelques temps.

A l'aube, ils furent réveillés par les bruits de la rue. Romik s'habilla de mauvais gré car son réveil lui sembla précoce pour cette longue journée à venir ; mais au fond de lui-même, il était réjoui, car ce séjour à Fnor Ingël lui ferait découvrir de nombreuses choses et il repartirait à Stanok plein de souvenirs en tête.

Ils eurent un léger repas chez Earven. Cette fois, plus de monde que la veille prenait part à une discussion animée sur les programmes du festival. On parlait d'une troupe de troubadours de renom qui donnerait une représentation en plein air -donc gratuite, à priori- sur la place de la ville, ce qui n'était pas pour déplaire à Deran, Famik et son fils qui n'assistaient guère à ce genre de divertissement dans leur bourgade.

Après avoir encore remercié Earven pour son hospitalité, les voyageurs se séparèrent de Terjal et Sirjal.

 "Alors au plaisir de se revoir mes amis, dit Terjal. Nous resterons à proximité de ce quartier, alors si vous désirez nous rendre visite, vous saurez où chercher."

 "Bien, quant à nous, je pense que nous retournerons dans le quartier proche de la grande route, dit Famik. Je suis sûr que nous y aurons beaucoup de clients."

 "Dans ce cas je vous suggère de loger à l'auberge du Sanglier Doré, conseilla Earven. Elle est tenue par mon cousin Nolen et sa femme Ayavin. Si vous leur parlez de moi ils vous donneront une de leurs meilleures chambres pour un prix raisonnable."

 Deran, Famik et Romik reprirent donc la route vers l'entrée de la ville. Le trajet prit encore plus de temps que la veille car les rues étaient pleines de marchands, de troubadours et de nombreux passants. Ils arrivèrent à destination au bout d'un temps qui leur parut interminable. Après avoir loué une chambre, Romik et son père sortirent afin de repérer un emplacement convenable pour vendre leurs marchandises tandis que Deran, toujours enclin à faire une sieste, resta à l'auberge.

 Romik fut immédiatement attiré par une représentation théâtrale à quelques minutes à pied de l'auberge. Cette pièce contait l'histoire d'un courageux berger qui ayant tué un dragon avec bravoure, se fit adouber chevalier. Il épousa la belle princesse et devint roi des contrées avoisinantes quelques mois après, à la mort de son beau-père. A la fin de la pièce,  Romik donna une partie de l'argent que son père lui avait offert pour ses distractions, tellement la représentation lui avait plu. Il resta même pour voir la représentation suivante. Cette fois, elle parlait d'un paladin qui avait perdu sa bien aimée lors d'une embuscade. Après ce coup du sort, il s'était mis à douter de Dieu, de sorte que des démons vinrent pour le tenter de rejoindre l'Ennemi. Aussi dut-il les affronter au cours d'une lutte épique pour parvenir à racheter sa faute.

Lorsque Romik décida de s'en aller, le soleil était déjà haut dans le ciel et il prit conscience qu'il était temps de poursuivre son chemin. Il chercha son père pour lui demander s'ils retourneraient manger au sanglier doré. En vain : il était introuvable.

 "Il est probablement rentré à l'auberge pour réveiller Deran et le ramener ici. Je n'ai donc qu'à attendre quelques temps" se dit-il. Malheureusement le temps lui parut beaucoup plus long que précédemment car la troupe qu'il avait tant appréciée avait été remplacée par une autre qui donnait des comédies d'un goût douteux. Après une longue attente relativement désagréable, il réalisa que son père ne reviendrait pas et s'aperçut qu'il était alors perdu dans la grande ville.   

 "Pourquoi avoir suivi père comme un mouton sans essayer de me repérer dans la ville ? se reprocha Romik. Et maintenant que je suis seul, me voila incapable de retrouver mon chemin !"

Il restait à Romik la possibilité de retourner au Sanglier Doré mais il avait tellement faim qu'il décida de chercher d'abord quelque chose à manger dans les environs afin d'apaiser la douleur que lui infligeait son estomac.

CHAPITRE III

Il dépensa le peu d'argent restant pour une miche de pain accompagnée d'un gros morceau de fromage et d'une pomme. Emportant son repas sous le bras, il décida de continuer à marcher pour se trouver un endroit agréable où déjeuner. Il déambulait avec émerveillement au milieu de tous ces stands : les attractions ne manquaient pas et à chaque carrefour, il en découvrait une nouvelle plus intéressante que la précédente, ce qui faisait qu'il y passait beaucoup de temps. Cependant, son ventre le rappela à l'ordre et il longea le fleuve pour aboutir à un petit espace dégagé entouré d'arbustes. Cet endroit était un havre de paix et de tranquillité en comparaison de l'agitation régnant dans les rues de Fnor Ingël. Tout en avalant son frugal repas, il songeait à ce qu'il allait pouvoir faire ensuite. Il se dit qu'il valait mieux retourner à l'auberge sans trop perdre de temps s'il ne voulait pas que son père finisse par s'inquiéter ou même s'énerver.

A moitié allongé sur l'herbe tendre, il s'adossa contre un arbre. La rivière avait un cours régulier et les légers clapotis berçaient Romik. Le brouhaha lointain de la ville ressemblait à un doux murmure. Il avait quelque chose de reposant… 

 

Lorsque Romik reprit conscience, le Soleil  avait déjà bien amorcé sa descente vers l'ouest. Il se dit qu'il était temps de songer sérieusement à rentrer s'il ne voulait inquiéter sa famille. C'est pourquoi il prit l'initiative de couper à travers ruelles pour ne plus s'attarder devant les multiples étalages, dans l'espoir de gagner du temps. Hélas, c'était sans savoir que pour un néophyte, Fnor Ingël pouvait s'avérer aussi sinueuse qu'un labyrinthe. Il dut faire un large détour pour rejoindre une grande rue car il lui était impossible de s'orienter dans les dédales de la ville. Il se demandait déjà ce qu'il allait dire à son père pour justifier une absence aussi longue. Pour se rassurer, il se disait que Famik avait du le laisser seul sans le prévenir, l'estimant suffisamment âgé pour s'en sortir seul de par lui-même.

Absorbé dans ses pensées, Romik ne vit pas venir une silhouette sur sa trajectoire qu'il heurta violemment. La personne qui marchait avec précipitation était plus frêle que lui et, de ce fait, s'écroula au sol. Quelques passants se retournèrent et s'esclaffèrent sans retenue au vu de cette chute inattendue. La personne avait du mal à se relever et semblait s'être blessée. Romik, se rendant compte de la faute commise par son inattention s'empressa d'aider l'inconnu à se relever.

 "Mille excuses, je suis sincèrement désolé de vous avoir bousculé" balbutia Romik.

 "Ce n'est rien, répondit une voix féminine, et maintenant laissez moi partir."

Romik comprit alors qu'à sa plus grande honte il avait renversé une demoiselle. Elle était vêtue d'une longue mante enveloppant une ample tunique. De son visage à moitié dissimulé, il aperçut une longue mèche blonde ondulée. Dès le premier regard, il se rendit compte qu'il n'était pas en face d'une personne ordinaire. Il était doublement intrigué par la tenue de l'inconnue car ces habits étaient d'ordinaire portés par des hommes ; en outre, pareille tenue était singulière en plein été.

Romik n'eut pas le temps de s'interroger plus longtemps que l'inconnue était déjà en marche. Il courut prestement jusqu'à elle.

 "Vous ne semblez pas vexée par cette bousculade" lui dit-il.

 "Je vous ait déjà dit que ce n'était rien, répondit-elle sèchement. Ce n'est pas pareille broutille qui va m'arrêter. Maintenant, je désirerais que vous me laissiez car je dois vaquer à mes obligations."

 "Vous semblez fuir quelque chose ; est-ce que vous seriez poursuivie par d'ignobles orcs ?" demanda Romik sur un ton léger.

Derrière la capuche de l'étrangère, il perçut un bref sursaut comme s'il avait deviné juste. Se souvenant que son père lui répétait fréquemment qu'un vrai gentilhomme ne devait jamais laisser une dame en détresse, il lui fit une proposition : "Vous savez, je suis habile au maniement du marteau de guerre, " suggéra " Romik. Je pourrais vous apporter mon aide si vous êtes en péril."

 "Savez vous quelque chose de moi pour me proposer vos services de la sorte?"

 "Euh… je ne voulais que vous aider, bafouilla-t-il. Je serais très confus d'avoir laissé une demoiselle seule face à son péril."

Après un court moment de réflexion elle dit : "Si vous tenez à ce point à me porter secours, alors venez avec moi. Avez-vous vos armes ici ?"

 "Je les ai laissées à l'auberge du Sanglier Doré qui est à quelques pas de là. Nous pouvons nous y rendre si vous le voulez."

 "Alors allons-y, mais promptement car je vous rappelle que je suis pressée."

Ils marchèrent en silence jusqu'à l'auberge, puis Romik amena l'inconnue à la grange où il avait laissé ses affaires.

 "Je me nomme Romik, de Stanok, je suis le fils de Famik. Comment dois-je vous appeler ?"

 "Appelle-moi Gwantholin. Ces chevaux sont-ils tiens ?" demanda-t-elle en désignant les bêtes ayant tracté le chariot lors du voyage.

 "Oui, ils appartiennent à mon père et à mon oncle. Vous ne comptez tout de même pas les prendre ?"

 "Ce sont de grosses bêtes de somme mais ce sera toutefois convenable pour notre voyage" fit-elle, songeuse.

 "Bien, dans ce cas il faudrait que je prévienne ma famille. Je vais monter à ma chambre les avertir."

Arrivé rapidement à l'étage, Romik trouva la chambre vide. Il redescendit à l'entrée et demanda où se trouvait Nolen ; un cuisinier lui répondit qu'il était parti acheter des victuailles. Il finit par trouver sa femme Ayavin et lui demanda de prévenir sa famille de son absence afin que nul ne s'inquiète. Pressentant que Gwantholin ne l'attendrait pas un instant de plus, il se précipita à la grange ; les chevaux étaient déjà sellés et les armes de Romik se trouvaient empaquetées sur le dos d'une monture. Gwantholin était presque assise sur une monture et elle lui fit comprendre d'un geste qu'elle n'attendait plus que lui pour partir.

 

Ils s'engagèrent sur la voie principale mais elle les fit rapidement bifurquer vers des routes moins fréquentées. Ils passèrent sans encombre les portes de la cité.

A l'extérieur de la ville, les fermes et les champs se succédaient sans autres variations dans le paysage. De temps à autre, ils passaient à proximité de quelque village que Gwantholin semblait éviter avec un soin méticuleux. Romik était trop intimidé par cette dernière pour oser engager la conversation et elle n'en semblait nullement contrariée. Alors, pour passer le temps, il fredonnait doucement quelques ballades. Lorsqu'il en était lassé, il épiait sa compagne du coin de l'œil. Jusque là, il n'avait pu la contempler à loisir. La majeure partie de son visage était toujours dissimulée derrière la capuche de sa mante et seules ses fines mains étaient totalement exposées à la lumière du jour. Cette demoiselle semblait très pudique. Ou alors elle avait honte de sa laideur et elle préférait se dissimuler des regards. Romik rougit immédiatement de cette idée. Non, malgré une large mante la recouvrant, il se dégageait d'elle une forte aura d'élégance et de prestance… comme si elle était la fille d'un roi d'une contrée oubliée.

 

Après un temps qui lui parut interminable -et que ses mollets soient endoloris par cette longue chevauchée-, Romik se décida à rompre le silence. "Gwantholin… quand arrivons-nous à destination?"

 "Tu t'es enfin décidé à parler… j'ai cru pendant un temps que tu me suivrais pendant tout ce voyage sans dire un mot."

 "Euh, j'aimerais quand même savoir où nous allons…"

 "Eh bien comme tu peux le constater nous nous dirigeons vers l'est."

 "Mais je ne connais aucune ville à l'est qui soit à proximité de Fnor Ingël!"

 "Et qu'est-ce qui te fait croire que nous nous dirigeons vers une ville et à proximité de Fnor Ingël?"

Romik ne dit plus un mot. Il savait que la conversation n'aboutirait plus à rien. Il ne savait toujours pas où ils se rendaient. Accompagnait-il une personne qui allait faire son marché dans un bourg avoisinant ? Ou bien comptait-elle se rendre dans une ville lointaine ? Il l'avait suivie sur une impulsion, parce qu'elle l'intriguait, parce qu'elle lui plaisait sans qu'il ne l'admette réellement et surtout parce qu'il venait d'avoir vu des représentations théâtrales et que stupidement il avait voulu agir en paladin serviable. Maintenant, il n'avait plus vraiment le choix : soit il s'en allait piteusement et il passait pour un lâche, soit il continuait à escorter Gwantholin en assumant les conséquences de ce choix.

La vie à Fnor Ingël est plutôt mouvementée…

 

Déjà, le ciel commençait à s'assombrir et Romik se rendait compte de plus en plus qu'ils allaient devoir dormir à la belle étoile. Pourtant, une fois la nuit venue Gwantholin continua de mener la chevauchée. Ils croisaient de moins en moins de voyageurs, ceux-ci s'étant évidemment  arrêtés dans des auberges pour s'y reposer la nuit.

Lorsque Romik commença à somnoler sur sa monture, Gwantholin les fit bifurquer de la Grande Route vers un sentier bien moins fréquenté qui les menaient à un bois. Au grand dam de Romik, ils entamèrent une chevauchée dans le bois. Il se demandait comment ils pourraient continuer à progresser sous les sombres branchages, sans aucune source de lumière, lorsque Gwantholin décida enfin de faire escale pour la nuit dans une petite clairière.

Une fois pied à terre, Romik s'occupa de décharger les montures qu'il attacha à un bouleau. Puis, il s'allongea sur l'herbe en s'emmitouflant dans sa cape de voyage. Gwantholin était déjà assise en tailleur à veiller, enveloppée dans sa mante, la capuche toujours baissée sur son visage. Romik jugea inutile de demander s'il devait faire un feu, elle s'en serait déjà chargée et, de toute façon il n'avait qu'une seule envie : dormir.

 

Il fut réveillé très tôt le matin par une Gwantholin pressée et distante.

 "Mais le jour ne s'est toujours pas levé ! se plaignit Romik, nous n'allons tout de même pas continuer à voyager de nuit !"

 "Si, je tiens à ce que nous progressions beaucoup aujourd'hui. Il faudrait s'éloigner suffisamment de Fnor Ingël avant ce soir."

Romik se dirigea en grommelant et en pestant vers les chevaux qu'il harnacha rapidement.

 "Tu n'es nullement obligé de m'accompagner si tu ne le désires pas, annonça Gwantholin. Tu peux à l'instant t'en retourner chez tes parents. Je voudrais juste que tu me laisses une monture. Je te la rembourserai, bien sûr."

 "Il n'en est pas question ! dit Romik, subitement réveillé. J'ai pris un engagement que je respecterai et puis, de toute façon, j'avais envie de voyager, dit-il en ne mentant qu'à moitié."

 "Bien, alors nous partons tout de suite."