- Même si j'ai perdu de l'argent dans le JdR, j'y ai appris mon métier. Et puis, il y a tellement de conflits d'ego dans ce milieu que cela m'a forgé le caractère. Je pensais avoir affaire à des adultes, que c'était un monde sérieux et je me rend compte maintenant que c'était juste un bon tremplin pour le monde de l'édition. Christian CAROLI,
un auteur de JdR mort il y a une dizaine d'années, avait cette phrase merveilleuse : "le jeu de rôle est une grande famille, il laissait un petit temps ... les Borgia aussi étaient une grande famille.". C'est le drame de ce milieu. Je suis toujours ravi de rencontrer des gars dynamiques qui font des fanzines et je suis toujours atterré de voir la même ambiance de guérilla au Monde du Jeu ou je suis retourné cette année. Je ne comprend pas ça. Il y a tellement peu d'espaces ou le JdR
a droit de cité... Le salon de la maquette a été une pantalonnade pendant des années mais on a bien été obligés d'y aller parce que c'était le seul endroit où on pouvait poser des trétauts et rencontrer des joueurs. Le problème du jeu de rôle, contrairement à la littérature, est que ça reste une passion et que tout ce qui est passionnel est irrationnel. A l'époque d'Hurlements, j'en arrivais à ce stade d'incompréhension où des gars venaient me voir en disant que mon scénario n'était pas dans
l'esprit du jeu ! Il n'y a que dans ce monde-là que tu peux le trouver. Tu te dis : qu'est-ce qu'on est ? On n'est pas des auteurs, on a eu une idée mais on n'a rien inventé du tout, c'est Garry Gigax qui a tout inventé.
Mais Chimères est pourtant très littéraire comme jeu, non ?
- C'est parce que j'ai toujours été un écrivain frustré. Maintenant je peux enfin faire ce que je veux. On a toujours pillé la littérature sans jamais renvoyer l'ascenseur. Gigax
citait pèle mêle une cinquantaine d'auteurs et de titres passionnants qu'il a pompés.
Peut-on considérer que vos jeux ont bien marché ?
- Qu'est-ce que c'est qu'une bonne vente de jeu de rôle ? A l'époque d'Hurlement, c'était 3000 boites. On l'a épuisé à 3500 boites. Tout le monde est persuadé que cela ne s'est pas vendu, alors qu'à l'époque c'était un carton phénoménal. Chimères aussi c'est bien vendu. Aujourd'hui un jeu est rentable à 600 exemplaires.
Quand ils en vendent 1000, ils sont contents. Il faut le savoir, ce sont les chiffres. Le drame des français (je vais encore dire du mal des petits camarades mais tant pis), c'est qu'ils voudraient à la fois faire un truc super élitiste pour pouvoir se regarder dans la glace en se disant : moi monsieur je suis un créateur; et en même temps faire un carton commercial. Il faut faire un choix. Avec Chimères, on savait que l'on n'en vendrait jamais 100.000 exemplaires. On s'est fait plaisir et le
contrat était là. Multisim a joué le jeu et l'a très bien joué. A un moment donné, ils n'ont plus eu envie de continuer à mettre de l'argent sur un truc qu'ils n'étaient même pas sûrs de rentabiliser à terme. Le jeu a été rentable et a rapporté de l'argent mais les suppléments... La règle à l'époque, c'était : tu vends un supplément pour deux boites de jeu vendues. Donc tu fais très vite la règle de trois pour savoir si c'est rentable ou pas.
Qu'est-ce qui fait que Dongeons
et Dragons est toujours le jeu le plus vendu en France et dans le monde ? Un type qui rentre dans un magasin pour s'acheter une boite de jeu a d'un coté une armoire de jeux et de l'autre un jeu qui vivote avec deux ou trois suppléments. Le choix est vite fait : on a beau critiquer, moi je reste persuadé que Dongeons a raison. C'est un jeu grand public, un jeu fourre-tout et donc n'importe quel joueur peut y mettre ce qu'il veut et s'amuser avec.
N'y a-t'il pas une
opposition entre le JdR qui essaye de se vendre et le fait qu'il n'est pas nécessaire d'en acheter pour y jouer ?
- Je crois qu'il faut que les auteurs arrêtent de se pignoler sur leur oeuvre. A partir du moment où tu mets un produit à disposition, tu le vends, cela ne t'appartient plus, il faut lâcher le bébé. Tu vends un produit que tu as calibré pour un certain esprit, un certain univers et tu ne peux pas lutter contre les joueurs qui se l'approprient qui en font ce qu'ils
veulent. A partir de là, le joueur est libre ! On vend un mode d'emploi.
Que pensez-vous de la situation du jeu de rôle, du nombre de joueurs, des oppositions jeux vidéos/jeux de rôles ?
Je pense qu'il y a toujours autant de joueurs mais il ne faut pas oublier qu'il n'y a pas de renouvellement. On a cru à un moment donné que les cartes, parce que cela touchait les gamins, allaient donner une nouvelle génération de rôlistes. C'est faux, les mômes qui ont
fini de jouer aux cartes sont passés aux jeux vidéo. Ils ont besoin de l'immédiateté. Quand on leur donne un livret de règles de dix pages pour jouer aux cartes et qu'ils savent après qu'ils vont jouer des centaines d'heures, ça ne les dérange pas. Quand on inverse le truc et qu'il faut des centaines d'heures pour intégrer des centaines de pages de règles et qu'ils savent que la partie va durer quelques heures... C'est un investissement, non pas financier. Il faut arrêter de nous faire rire :
ce sont les mêmes joueurs qui râlaient sur le prix des jeux de rôles qui étaient capables de dépenser 1000 francs par mois à l'Oeuf Cube pour des cartes. Il y a plein de choses comme cela mais c'est toujours pareil, on n'est pas dans le rationnel, on est dans le passionnel et voilà ! Vous devez le ressentir à votre niveau tous les jours.
Je compare souvent le JdR au rock'n roll : cela a passionné nos parents mais cela ne nous intéresse plus. A un moment donné, cela a permis de
faire évoluer les choses et ça va se retrouver ailleurs. Mon fils écoute maintenant Marylin Manson, il n'a que dix ans, ça promet ! On se rend compte que AC/DC qui faisait frémir nos parents, c'est juste un groupe de blues. On évolue ! Le JdR a permis à toute une génération d'ouvrir les yeux, de découvrir la littérature, les films et la musique et ça va donner autre chose. On a maintenant une génération de jeunes mecs qui montent et qui s'intéressent aux médias de leur époque. Vous êtes sur
Internet les gars, il faut ouvrir les yeux. Pour la nouvelle génération des 17-25, le jeu de rôle, c'est du jeu vidéo.