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Pour : Little Fears
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Eastenwest > 18 - L'art de la guerre
Gaire et pé
À tous les petits Lee à qui on a fait croire que la guerre était un art.
L'avenir appartient au passé
La tête pleine de rêves, gonflée à l'héroïsme et au patriotisme bon marché, le jeune Lee Sanderson ne savait pas réellement ce qui l'attendait lorsqu'il s'engagea dans l'armée le jour même de son quatorzième anniversaire. Libérer son pays, défendre sa famille, trouver la gloire ! Quelques mois plus tard il mourait dans la boue d'un champ de bataille. C'était son premier combat, et un de ceux perdus d'avance dans lequel un vieux général impotent n'hésite pourtant pas à sacrifier toutes ces vies qu'on a arbitrairement placées entre ses mains.
Touché au ventre dans les premières salves de l'assaut, Lee eut tout loisir d'observer le spectacle surréaliste de ces gens marchant à la mort. De ses yeux d'enfant il contempla la danse macabre de ces corps mis en pièces par les obus, déchiquetés par les shrapnells et la mitraille. Alors que sa vie le quittait lentement, il ressassa ses griefs, ses espoirs et ses amertumes. Il regretta maintes fois de ne pas pouvoir vivre encore pour se battre comme il l'avait voulu, et regretta plus encore de n'être pas simplement resté à la maison au milieu de ceux qui l'aimaient et le chérissaient. Il pensa enfin à cette statue de femme qui, dans le cimetière de son village, orne le monument aux morts d'un conflit passé. Il eut encore le temps de se demander si lui aussi aurait son nom au pied de cette femme triste et magnifique. Puis il mourut.
Rentrée mouvementée
À chaque rentrée des classes c'est la même chose, les " anciens petits " testent leur nouvelle autorité sur les nouveaux arrivants, ces " petits " qui ne connaissent encore ni les lieux, ni les gens. Quant aux grands, il est assez rare qu'ils daignent même lancer un regard vers le bas, préoccupés par les soucis cryptiques certainement liés à leur âge avancé. Il n'en reste pas moins que pour eux aussi la rentrée est le lieu où l'on se forge sa place dans le groupe, bien souvent en remettant en question l'autorité d'autrui.
Mais cette année les choses sont un peu différentes, et l'on assiste rapidement à l'édification de deux camps au sein de la cour de récréation.
Le but de cette première partie est d'emporter les joueurs dans le maelström de la montée en puissance d'un conflit. On pourra aussi s'arranger pour introduire Lee Sanderson, un petit nouveau que les personnages pourront souhaiter prendre sous leur aile et qui se distinguera par une rapide prise de position dans l'un des deux camps.
Le conflit pourra débuter de manière anodine, le vol d'un goûter ou d'un jouet, une bagarre inégale ou encore des menaces ou des mensonges proférés à l'égard d'un PJ. Rapidement, un petit groupe se forme pour régler le problème. En réaction, un second groupe se forme pour faire entendre raison au premier. Puis c'est l'escalade. Lee, passablement exalté, sera parmi les premiers volontaires pour rejoindre un camp. Quant aux joueurs ils ne pourront pas rester neutres très longtemps, d'ailleurs, ils sont certainement eux-mêmes au centre du problème.
Il est probable qu'une première escarmouche prévue dans la cour de récréation soit évitée pour cause de cafetage auprès des surveillants, les deux parties s'entendront alors pour se retrouver dans un lieu plus discret pour régler leur différend : le grand terrain vague.
Il semble assez naturel de considérer l'opposition d'une faction de petits contre une faction de grands avec de possibles transfuges de part et d'autre, mais toute autre solution fera aussi parfaitement l'affaire. Il sera certainement préférable de limiter le nombre de factions à deux, d'une part parce que cela sera bien plus gérable en terme de jeu, et d'autre part pour des raisons de vraisemblance. Le but étant en effet de coller au maximum aux concepts manichéen à l'origine de toute guerre, en particulier à celle à laquelle Lee a participé. |
La suite de la journée verra la tenue de la plus grande campagne de recrutement que l'école ait jamais connue. Des billets échangés en cour montent les uns contre les autres, exhortent les copains à s'allier avec une faction ou l'autre. Des erreurs d'acheminement permettent de se rendre compte de la trahison d'untel, ou tout simplement d'obtenir les dernières nouvelles du camp adverse. On tente d'infiltrer les ennemis en retournant l'un ou l'autre de ses opposants, on se rend compte que son propre camp est infiltré.
Dans la cour de récréation on tente de convaincre les amis de se joindre à nous, on essaie d'infléchir les ennemis d'hier, on noue des alliances à grand renfort de diplomatie, de promesses ou de menaces. On se rend compte que les autres en font autant. Bref, au milieu de toute cette effervescence la broutille à l'origine du conflit est rapidement oubliée pour laisser uniquement place à la sensation que la menace et l'agression vient du camp adverse, ceux qui ont bafoué le bon droit.
La fièvre augmente ainsi jusqu'à la date prévue pour la bataille, probablement un soir après les cours ou plus certainement un après-midi de libre.
Champ de bataille
Le grand terrain vague en question est situé en bordure de l'agglomération. Les plus vieux se souviendront du cinéma qui se trouvait à cet emplacement il y a de cela deux ans et de sa destruction, mais pour la plupart des enfants, les palissades sont là depuis toujours. De fait, les travaux sont retardés par des analyses de sol. Tous les bâtiments ayant été édifiés à cet endroit précis ont en effet rapidement présenté des lézardes, et l'on voudrait apporter les réponses les plus adaptées en terme de traitement du sol avant d'entreprendre la construction du grand centre commercial. Or toutes les analyses réalisées jusque là révèlent inexplicablement une nature géologique des plus saines. Ces informations précises ont peu de chances d'être connues des enfants, mais la succession rapide des bâtiments sur le terrain et la stagnation des travaux actuels ont contribué à nimber le lieu de mystère. À ces on dits s'ajoutent encore les rumeurs concernant la disparition récente d'un vieux clochard qui avait établi ses quartiers à l'abri des regards derrière la longue palissade de tôle. Mais pour les enfants, ce lieu est le terrain de jeu privilégié des plus aventureux.
On accède au terrain par quelques brèches pratiquées dans la muraille en des lieux où la rouille et l'opiniâtreté d'un squatter ont eu raison de la résistance de quelques boulons. En ces rares endroits il suffit de forcer un peu la tôle pour se frayer un passage.
La surface inégale du terrain vague présente quelques portions bien planes sur lesquelles les grues et les bennes se sont succédées. Actuellement, on peut seulement observer le camion de forage chargé de prélever des échantillons de sol. Sa forme intrigante liée au tube de forage n'est d'ailleurs pas sans rappeler un lance-missiles.
Partout ailleurs, le terrain se compose de bosses et de remblais pouvant atteindre les deux mètres de haut, sans compter la taille des mauvaises herbes qui ont rapidement colonisé les lieux. De nombreuses cabanes y ont été établies par des générations d'explorateurs en culotte courtes, et toutes contiennent quantité de ces trésors dont la terre regorge. Pour ceux qui ne veulent pas se fatiguer à creuser la terre, il est aussi possible de farfouiller parmi les petites pyramides que des gens peu scrupuleux se sont sentis autorisés à constituer en jetant leurs immondices par-dessus la palissade : vieux matelas, vieilles télés, vieille machine à laver, cadavres de vélos... Autant de mines dans lesquelles les belligérants pourront piocher pour constituer leur armement.
En début d'après-midi, en raison du faible nombre de protagonistes on s'observe de loin ou on se mesure en petites escarmouches disparates. Dans ces premières heures de la bataille les personnages auront peut-être fortifié une position, peut-être auront-ils acculé un petit groupe ennemi, ou au contraire été eux-mêmes repoussés. À eux la gloire passagère d'une action d'éclat comme l'espionnage à haut risque camouflé dans un baril de lessive.
L'heure avançant, les rangs grossissent et la situation change. Les personnages peuvent tout à coup se rendre compte qu'ils sont en terrain ennemi et tenter de rallier leurs rangs. Peut-être devront-ils fuir sous les coups de nouveaux arrivants, ou seront-ils au contraire sauvés in extremis par l'arrivée providentielle de renforts. Auront-ils fait un prisonnier ? Ou au contraire abandonné un des leurs derrière les lignes ennemies. Essaieront-ils d'aller le libérer ? Là encore les alliances se font et se défont à grand renfort de trafic d'images et de bonbons. Les esprits s'échauffent et d'horribles drames ponctuent ces premières heures, on observe par exemple le rapt de plusieurs nounours ou des maltraitances de doudous. Mais quoi, c'est la guerre...
On pourra parsemer ces scènes d'éléments étranges et anodins qui prendront toute leur ampleur dans la dernière bataille. Les personnages pourront par exemple entendre des ordres guerriers hurlés d'une voix adulte particulièrement autoritaire ; ont-ils rêvés, serait-ce une radio, ou un de leur camarade de classe à la voix forte ? Une explosion particulièrement violente soulèvera une motte de terre à quelques pas d'eux, vraisemblablement un énorme pétard ! On entend des cris et des râles de blessés, mais on n'en trouve pas l'origine. Petit à petit le sol du terrain vague se transforme en gadoue sans pour autant qu'il n'ait plu... Il convient d'introduire ces détails au compte-gouttes et sans trop insister dessus, l'essentiel étant que les joueurs n'aient jamais le temps de se focaliser dessus. |
Dans ces conditions chaotiques il sera bien difficile de mener une stratégie, mais il est très probable qu'après un moment de flottement les deux camps s'établissent nettement de part et d'autre du terrain vague. Ce sera alors le moment des grandes manœuvres et des charges héroïques. Rapidement, les bosses et les horions découragent bon nombre de petits soldats qui préfèrent rentrer chez eux, souvent en pleurant. Une attitude qui déplaira fortement au jeune Lee qui, totalement transfiguré, se moque des bleus et des écorchures et monte au front avec un courage et une fougue qui en étonnera plus d'un.
Mais le champ de bataille se vide petit à petit. Les opposants sont de moins en moins nombreux à chaque retour dans leurs camps respectifs, et l'on commence à prendre conscience de ces phénomènes surnaturels (voir encadré) auxquels on avait pas prêté attention jusqu'à présent, trop pris qu'on était dans le feu de l'action.
Les phénomènes prennent rapidement une ampleur effrayante et les enfants se retrouvent coincés au milieu d'un authentique champ de bataille partiellement visible. La boue est maintenant omniprésente, et parfois on sent un crachin invisible caresser la peau. D'ailleurs une quantité importante de nuages d'un gris menaçant se sont amassés au-dessus du terrain vague où ils forment une spirale en rotation constante. Partout on entend le sifflement des obus, et le bruit de la mitraille. Des explosions assourdissantes soulèvent d'énormes mottes de terre qui retombent en pluie épaisse contenant parfois des membres humains. Un cheval agonise en répandant ses tripes dans la glaise, un obus dans le ventre. Au détour d'un recoin on rencontre un homme dans un uniforme antique, est-ce un blessé, un simple soldat à la défroque merdeuse, réfugié derrière un illusoire abri et récitant des je-vous-salue-Marie, ou bien un officier hargneux qui hurlera ses ordres aux personnages ? Au milieu de ce carnage le petit Lee est resté en arrêt, bien droit, comme paralysé, si les joueurs tentent de le sauver il n'opposera aucune résistance, l'enfant n'est en fait plus qu'une écorce vide et son double qui l'animait jusque là est maintenant à l'œuvre sur le champ de bataille. Les personnages pourront d'ailleurs rencontrer ce grand épouvantail d'os et de chairs séchées affublé de nombreuses médailles, d'un monocle et d'une belle moustache amidonnée se promener sabre au clair au milieu de la bataille, à moins que le meneur ne préfère le réserver pour le chapitre suivant.
Dans leur fuite vers la palissade qu'ils observent au loin, les PJs pourront rencontrer certains de leurs camarades d'école plongés dans la même angoisse qu'eux. Peut-être en perdront-ils d'ailleurs un ou deux, fauchés dans leur course par une mitraille invisible. La mort, elle, est réelle. Mais la palissade est enfin en vue avec ses immondices rassurantes et sa faille salvatrice. Encore quelques pas et il sera possible de la franchir.
Quelque chose sous les feuilles.
Le spectacle n'est cependant pas fini, car derrière la palissade ce ne sont pas les rues dont ils ont l'habitude que les personnages trouveront, mais une immense et dense forêt automnale. Avec un peu de jugeote, il sera possible de remarquer que la topographie des lieux épouse en tout point celle de la ville connue. C'est juste comme si la ville n'avait jamais existé.
Un sentiment de paix et de sérénité presque palpable émane des bois, et les joueurs devraient préférer tenter leur chance dans cette direction plutôt que de retourner sur le champ de carnage où la bataille bat toujours son plein. Au besoin, le spectre de la guerre émergeant de la palissade pourra les aider à faire leur choix.
La forêt meurtrie, en elle-même est assez rassurante, n'étaient ses quelques bizarreries. Les feuilles tantôt tombent sur l'épais tapis qu'elles constituent déjà au sol, tantôt suivent le chemin inverse et remontent lentement se fixer aux branches. Quant aux troncs d'arbres, un liquide noirâtre perle de leur écorce ; les personnages pourraient d'ailleurs bien se demander d'où provient ce sang qui leur macule les mains ou les vêtements. En dehors de cela la forêt s'avère être un lieu sûr où les personnages pourront rallier les quelques autres enfants qui comme eux auront quitté trop tard le terrain vague et se retrouvent en plein cauchemar. La petite troupe ne tardera pas à faire la surprenante rencontre d'un adulte.
Le vieux Neil n'est rien moins que le clochard disparu du terrain vague. Enlevé à ses certitudes dans les mêmes circonstances que les enfants, le vieil homme a vécu depuis à l'abri de la forêt, apprenant à se cacher de la présence malfaisante sous les feuilles et contre laquelle il commence par mettre les enfants en garde. Il leur parlera aussi de l'ange qui garde la colline voisine et dont " l'épouvantail tête de mort " ne peut pas s'approcher
C'est la spirale nuageuse qui a attiré Neil en bordure des bois, car il pense qu'elle indique l'ouverture du portail qui lui permettra de rentrer chez lui. L'arrivée des mômes le conforte dans son opinion et d'après lui il n'y a qu'à attendre que la spirale commence à se dissiper en tournant dans l'autre sens pour retourner au terrain vague et que tout rentre dans l'ordre. Neil proposera de passer le temps en grillant quelques-uns de ces étranges marrons qu'on trouve ici, auxquels s'adjoindront quelques chamalow rescapés du quatre-heures des enfants. Mais le spectre de la guerre ne tardera pas à rompre la timide gaieté du campement improvisé par le clochard.
Cela commence par une impression de figement. Les feuilles ne tombent plus ni ne remontent aux arbres et le sang commence à perler un peu plus vite le long des troncs, formant de petites rigoles au sol. De loin en loin on pourra apercevoir la silhouette filiforme de la guerre. Dès qu'il en aura conscience, le vieux Neil, soudain blême, donnera le signal du sauve-qui-peut, à moins qu'il ne soit déjà embroché par un sabre d'abordage sorti soudainement de sous les feuilles mortes et tenu par une main squelettique. S'en suivra une course-poursuite en direction de la colline à l'ange.
Le spectre de la guerre est une entité bien trop puissante pour être détruite de la même façon que les monstres habituels. Si les personnages l'affrontent, ils arriveront tout au plus à le retarder de quelques instants, ajoutant encore au sentiment d'angoisse et d'impuissance. |
Gravir la butte ne sera pas aisé avec ces feuilles mortes glissantes, le spectre, lui n'a pas l'air gêné dans sa progression. À certains moments même, il semble flotter lentement à quelques centimètres du sol.
Enfin arrivés sur la hauteur, les personnages pourront contempler une statue de bronze juchée sur un socle de grès. Des inscriptions dans la pierre évoquent des dates lointaines et des noms inconnus. Une lumière sourde semble émaner de la femme ailée. Le spectre de la guerre ne pouvant s'approcher de la statue, il assistera presque impuissant à la scène qui suivra, ne pouvant que l'inquiéter de sa présence malfaisante et de ses couinements malsains.
La statue s'adressera aux enfants d'une voix triste et douce pour les exhorter à abandonner leurs querelles passées. Elle leur proposera de ratifier un traité à l'aide du papier, de l'encre et de la cire qui se trouvent au pied de son monument.
Après ce qu'ils viennent de vivre, il est très probable que les ennemis d'il y a peu ne se souviennent même plus avoir eu des griefs les uns envers les autres et trouveront rapidement un terrain d'entente... Or dès la signature du traité, le spectre de la guerre se met à fondre en une flaque gluante et brunâtre. Totalement résorbée, la substance laisse apparaître un jeune homme vêtu d'un uniforme antique et maculé de boue. Sa respiration est difficile et embuée, il tient un petit paquet rose contre son ventre, ses intestins. Encore quelques respirations, puis dans une expression interloquée il rend son dernier souffle en regardant les enfants.
Le meneur pourra souhaiter faire courir ses personnages au terrain vague alors que la spirale se dissipe, mais il sera aussi possible d'utiliser d'autres portes pour rentrer chez soi. Les feuilles par exemple pourront se mettre à voleter de plus en plus vite et se coller aux membres des personnages, ceux-ci auront alors l'impression d'être emballés dans un cocon végétal avant de s'enfoncer dans le sol. Ils se retrouveront emberlificotés dans les vieux journaux d'une poubelle à cartons dont il faudra s'extraire sous les injonctions courroucées d'un passant (les enfants, c'est bien connu, ne respectent plus rien de nos jours). À quelque pas de là sur le coin du parking, une statue de femme ailée commémorant depuis toujours les morts d'un conflit à moitié oublié observe la scène de ses yeux inertes.
Épilogue
À la suite de cette après-midi belliqueuse, la petite ville enregistrera une hausse significative des rendez-vous chez le pédopsychiatre ainsi qu'un nombre important de plaintes contre X pour coups et blessures. Les parents n'hésiteront souvent pas à accuser le fils du voisin des maltraitances subies par leur rejeton. Qu'importe d'ailleurs que leur propre fils nie catégoriquement l'identité du bourreau qu'on leur octroie, il ne fait aucun doute que le choc et la peur des sévices trop récemment subis les empêchent de dénoncer le coupable. D'ailleurs, cet empressement à vouloir l'affranchir n'est-il pas le plus clair des aveux ?
La nature des blessures observées laissera longtemps les adultes perplexes, jusqu'à la découverte du site archéologique à une profondeur importante sous le chantier du centre commercial. Il ne fera alors plus aucun doute que les enfants auront trouvé - par quel miracle ? - des sabres, des fusils et des grenades encore en état de fonctionner... Et qu'importe si certaines pièces trouvées dans le corps des petites victimes sont clairement anachroniques à cette bataille dont on vient de trouver les reliquats.
Les fouilles archéologiques permettront encore d'arracher quelques petits corps à la glaise du chantier, mettant un terme aux angoisses ainsi qu'aux espoirs de certains parents. Les hypothèses les plus farfelues seront avancées pour expliquer cet ensevelissement à près de trois mètres de profondeur, au beau milieu des dépouilles mortelles des protagonistes de cet ancien conflit. On exhumera en outre le cadavre en parfait état de conservation d'un adolescent vêtu d'une défroque de soldat.
Quant au chantier, il sera d'abord fermé pour enquête et prendra encore quelques mois de retard pour cause de fouilles archéologiques. Dans le même temps la société de construction déposera le bilan suite aux plaintes des parents, occasionnant un délai supplémentaire. Elle sera finalement remplacée par une autre dont le premier geste sera d'édifier une barricade autrement plus sérieuse et qui ne tiendra pas son rôle plus de trois mois.
Quelques " parce que " au bout des " pourquoi ? "
Il n'est pas nécessaire de connaître le fin mot d'une histoire pour la jouer, mais cela permet parfois plus de liberté. Ceux dont l'esprit rationnel a besoin de se sustenter trouveront ici confirmation de leur intuition : c'est bien le jeune Lee, qui par sa mort tragique et sa réluctance à arpenter les sentiers de l'au-delà a happé les enfants dans les tréfonds de son âme tourmentée.
À l'instant de sa mort, près de cent cinquante ans plus tôt, les souffrances morales et physiques du jeune Lee ont ouvert en grand les écluses du ciel. À moins qu'il ne s'agit de celles du monde du placard. Abreuvé de patriotisme mal digéré, apeuré par cette première expérience de bataille, il a créé un monde bipolaire antagoniste, entre guerre et paix dans lequel il joue le rôle omnipotent et schizophrène des deux opposés.
La nature exacte des conflits dont il est question dans ce scénario est laissée à l'appréciation du meneur. On pourra par exemple considérer que Lee a participé à la Première Guerre Mondiale, et que le monument aux morts de son souvenir commémore la guerre de 1870 ou la guerre de sécession suivant qu'on joue en France ou aux États-Unis. |
Les
constructions successives sur le lieu même de la bataille qui a vu le jeune
homme mourir n'ont pas résisté à la rage larvée du spectre. Lee n'a pris conscience
de son existence et de celle d'un monde extérieur que très récemment, lors des
travaux de forage dans le terrain vague. Persuadé de sa normalité, la force
de ses convictions s'est projetée dans un golem de boue modelé à son image,
et dans la normalité d'une existence enfantine, il est naturellement allé suivre
des cours dans la première école venue. Les personnages auront d'ailleurs pu
sentir à plus d'une reprise une étrange odeur de boue dans la salle de cour,
ou à la récréation.
La nature belliqueuse de cette rentrée scolaire et les combats dans le terrain vague ont malheureusement réveillé ses désordres, déclenchant une parodie de l'antique bataille ainsi qu'un basculement de la réalité vers le monde du placard. Lee s'est alors incarné dans un spectre de la guerre empruntant physiquement aux représentations communes de la mort et des généraux dans l'imagerie populaire de son époque. Peut-être le meneur souhaitera-t-il y surimposer la vision des enfants modernes, ajoutant un peu de grotesque dans la défroque du personnage. Dans son incarnation de la paix, Lee a assisté les personnages dans la concrétisation physique de ce que la paix pouvait signifier pour lui à son époque : une signature sur un traité.
Et dès lors que l'acte rédempteur pour l'humanité fut accompli, son âme apaisée réintégra son corps, ou ce que l'on voudra. Gageons que le supermarché aura une meilleure longévité que les bâtiments qui l'ont précédé.
Quant au jeune Lee, on n'en entendra plus jamais parler après l'exhumation de son corps, si ce n'est une ou deux fois à mi-voix dans la cour d'école, ou après la découverte d'une flaque de boue sous une chaise - toujours la même - au beau milieu d'une salle de classe.
Ouverture
Le thème de ce scénario se prêterait bien à une campagne basée sur les quatre cavaliers de l'apocalypse. Resterait donc à traiter Mort, Famine et Pestilence. Entre campagne de vaccination, vols de goûters en série et empoisonnement alimentaire à la cantine, peut-être m'y attellerais-je à l'aube d'une autre nuit d'insomnie.
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