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...écrits par Philippe de QUILLACQ
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Eastenwest > 13 - C'est dans l'air
Voilà donc la suite de ce roman épique commencé dans le numéro 5 et poursuivi depuis. Comme d'habitude, n'hésitez pas à envoyer vos commentaires à l'auteur pour lui faire part de vos impressions. Bonne lecture.
Chapitre XXIII
Ce fut après de nombreux jours de voyage que Romik se rendit compte à quel point l'Izerklod était grand. Bien sûr, l'Ertelie était plus vaste que l'Izerklod mais pas autant qu'il ne l'avait crû, et c'est alors qu'il comprit aussi pourquoi ce périple prendrait autant de temps qu'Althgovifen l'avait annoncé. Le voyage était assez pénible : ils ne voyageaient que parmi des paysages mornes et rébarbatifs et les journées se succédaient avec une morosité exaspérante. La route montagneuse était difficile et ils furent souvent obligés de descendre de leurs montures en raison de son délabrement. Ils faisaient encore moins de trêves qu'auparavant et Romik était fatigué et courbatu. Bien que l'atmosphère générale s'était améliorée lorsque les nains acceptèrent de les aider, elle n'était pas à son mieux et elfes et nains continuaient de s'éviter. Peut-être de façon inconsciente et sans aucun mépris - à vrai dire, il arrivait à chaque peuple, de temps à autre, d'envier l'autre - mais ils s'évitaient tout de même. Tout le monde, même Jelion et Digilijt, affichait un air maussade, chacun étant conscient qu'on se rapprochait de plus en plus du Sanctuaire Maudit et que peut-être personne n'en reviendrait...
Un jour, enfin, ils ne furent plus qu'à courte distance de leur point de destination. On était en plein jour et pourtant la luminosité était très faible. L'importante masse nuageuse n'expliquait pas à elle seule ce phénomène. Romik sentait qu'il y avait quelque chose de surnaturel : l'air était vicié et il avait du mal à respirer. L'atmosphère était lourde, comme si un orage allait éclater. L'humain était convaincu que le Mal ou une magie noire s'était emparé des lieux.
La piste était devenue quasiment impraticable et ils furent obligés de laisser les chevaux sur place. Sergojvalitur resta seul avec Ruvmirtik pendant un petit temps et Romik eut l'impression qu'il était presque en train de discuter avec lui. Puis l'elfe laissa le chien seul avec les bêtes. Apparemment, le ranger lui avait demandé de monter la garde. Pendant ce temps, les autres s'affairaient à refaire leur paquetage car ils devraient dorénavant tout porter sur leur dos. Althgovifen conseilla de prendre juste de quoi subsister pendant quelques jours à peine : leur destination était toute proche.
Au bout de plus d'une heure de cheminement pénible, ils débouchèrent sur une vallée. Si on pouvait appeler cela une vallée... Cela ressemblait plutôt à un cratère. Une âpre fumée noirâtre en sortait et la poussière en suspension irritait yeux et gorge.
" Voilà, c'est ici, annonça Althgovifen. Il nous faut maintenant descendre jusqu'en bas, puis nous introduire sous terre. Ensuite, nous pénétrerons dans le Sanctuaire Maudit. Il n'y a pas âme qui vive, et cela m'inquiète car je ressens pourtant une importante force mauvaise.
- Et vous n'avez pas peur qu'on se fasse attaquer ? demanda Ledongal. Je parie que ça grouille d'orcs, là-dedans, ou quelque part dans le coin. Peut-être devrait-on laisser quelques personnes ici, pour surveiller...
- C'est peut-être une bonne idée, bien que je répugne à ce que nous nous séparions : nous pourrions laisser beaucoup de vies s'il y avait un conflit important.
- Effectivement, mais de toute façon nous ne pouvons pas miser sur la force, dit Sergojvalitur. Je suis en accord avec la proposition de Ledongal. Un groupe devrait s'introduire dans ce souterrain tandis qu'un autre devrait rester en surface pour inspecter les environs et faire diversion, si besoin était. "
Et c'est ainsi que la communauté se scinda en deux. La première partie, composée de Sergojvalitur, Ledongal, Tergolaïd, Inerglaïk, Eanepalith, Dakgonthë et Firdofeïm eut la tâche d'explorer les alentours et de surveiller les arrières du second groupe, qui lui était composé d'Althgovifen, Romik, Gwantholin, Digilijt, Jelion, Targetelan, Aïnedegathel, Ilpalfejid et Sedanofog. Bien que ce dernier voulut rejoindre le premier groupe pour être parmi les siens, le Clairvoyant avait insisté pour qu'il fasse partie du second. Étant nain, il avait des talents innés pour la vie sous terre, ce qui pourrait être bénéfique pour les autres.
Le second groupe descendit donc en direction du cratère. Après une longue et difficile descente, ils arrivèrent en bas. L'endroit était nu, désert et semblait inhabité. De toute évidence, il n'y avait aucune construction, pas âme qui vive. Après quelques minutes de recherche, ils repérèrent une entrée. Elle ressemblait à un début de terrier, ou plutôt à un terrier géant. Ce tunnel paraissait s'enfoncer sous terre, mais on ne pouvait en savoir plus car on n'y voyait plus rien au bout de quelques mètres. Althgovifen sortit quatre bâtonnets longs de plus d'un pied chacun.
" Voilà qui nous aidera pendant quelques heures, dit-il. "
Il sortit alors une plante de sa besace et en détacha quelques feuilles qu'il écrasa puis frotta sur les extrémités des bâtonnets. Puis il se saisit d'une baguette d'une main qu'il brandit et il commença à exécuter de curieux mouvements de sa main libre, comme s'il essayait de tracer un dessin ou d'écrire un texte.
" Aïne dom enorglerel emnoj ur paësens imn tidondekeldë " prononça-t-il d'une voix grave. Puis il frappa la paroi du souterrain avec le bâtonnet qui s'illumina, éclairant les lieux d'une lumière diffuse de couleur jaunâtre. Il fit de même pour les trois autres bâtonnets qu'il donna aux autres. Il s'engagea en premier dans la sombre galerie.
Au bout de quelques minutes, la terre laissa place au roc mais il n'y avait toujours rien. La progression dans ce passage n'était guère rassurante pour des personnes non habituées et seul Sedanofog ne semblait pas aller trop mal.
Romik perdit bientôt toute notion temporelle. Il aurait été incapable de dire s'il s'était engagé sous terre depuis une heure ou une journée. Ce détail contribuait à son mal-être et il y en avait beaucoup d'autres : le silence inquiétant uniquement perturbé par le bruit et l'écho de leurs pas, la moiteur incongrue en ces lieux et le manque d'air frais. Ils étaient maintenant en plein cœur de l'Izerklod et nul n'aurait pu nier ressentir une atmosphère de mal pur mêlée à de l'appréhension.
" Ce lieu n'est pas naturel dit Sedanofog un peu plus tard. En tant que nain, je peux vous certifier que cette voûte a été taillée ; elle ne s'est pas faite naturellement. "
Et effectivement, en regardant avec plus d'attention, on put s'apercevoir que le sol, les parois et la voûte étaient relativement lisses. Malgré tout, cela avait été fait de manière grossière, ce qui expliquait qu'on pouvait difficilement remarquer que ce passage avait été travaillé si on n'y faisait pas attention.
" Savez-vous quelle est la race des individus qui ont creusé cela ? demanda Ilpalfejid.
- C'est difficile à dire, répondit Sedanofog. Beaucoup de tailleurs de pierre laissent généralement leur poinçon quelque part mais on ne le ferait pas pour un travail aussi grossier. Peut-être aurons-nous d'autres indices plus tard. Tout ce que je peux supposer, c'est que c'est certainement une race assez robuste et endurante qui a fait ce travail, parce que tout cela représente quand même de longues années de labeur. Je pourrais par exemple difficilement imaginer que des elfes aient pu faire cela, sans vouloir vous vexer. "
Ils cheminèrent encore pendant un temps qui parut infini à Romik, jusqu'à ce que la lueur des bâtonnets d'Althgovifen faiblisse.
" Je pense que nous pourrions faire une halte, déclara le Clairvoyant. Nous sommes tous fatigués par cette marche et nous nécessitons un peu de repos. "
Le groupe s'arrêta et s'assit dans une sorte d'alcôve, à une portion du tunnel qui était une fois et demi plus large. Le moral du groupe était bas, mais la bonne humeur revint rapidement, tout comme l'appétit de Jelion. Ce dernier se rua sur les vivres, bientôt imité - avec un entrain plus modéré toutefois - par les autres.
Manger et boire fit du bien à tous, mais les jambes paraissaient toujours aussi lourdes. Après discussion, ils décidèrent de rester là encore quelques temps.
Digilijt proposa alors de réciter une comptine gnome. L'auditoire s'adossa contre les parois et le gnome prit place au milieu du tunnel, entouré par les quatre bâtonnets crachotant une faible lueur. Il chanta en ertélien la transposition d'une fable gnomique sur la création de son peuple. Elle était amusante et captivante, bien que la version parlée en gnomique dû être encore plus intéressante. Digilijt mettait tellement d'entrain à chanter et il s'agitait avec tant de fougue que des sourires commencèrent à se dessiner sur chaque visage. Il chanta ensuite une ballade assez triste traitant de l'amour d'un père pour son fils. Les deux gnomes ne se voyaient que très rarement, car le fils avait décidé de partir et de découvrir le grand monde, et le père, tailleur de gemmes l'attendait et voyait s'écouler les années. Romik prit conscience que la famille devait représenter beaucoup pour Sedanofog. Il se demanda quelle attitude il devrait adopter avec lui. Après tout, il le connaissait à peine alors qu'il s'était embarqué dans la même affaire que lui. Cela devrait normalement les rapprocher bien plus que cela. Peut-être devrait-il se montrer plus ouvert envers le gnome, et aussi envers ses autres compagnons ?
Gwantholin s'était assise à côté de Romik et ils étaient presque l'un contre l'autre car il y avait peu d'espace en ce lieu clos. L'elfe prit la main de l'humain et la serra fortement. Il la regarda, mais il avait du mal à distinguer ses traits en raison de la pénombre. Il lui sembla qu'elle lui souriait. Digilijt contait dorénavant avec moins d'entrain car il s'était beaucoup fatigué sur l'histoire précédente. Le ton de sa voix se faisait plus calme, plus reposant. Romik ferma les yeux et écouta distraitement ce que disait le gnome.
La main chaude de Gwantholin lui apportait du réconfort et il ressentit à ce moment une énorme vague d'affection pour elle. Après tout, elle était la personne du groupe qu'il connaissait depuis le plus longtemps et elle devait être celle avec qui il était le plus en confiance, sauf peut être avec Aïnedegathel. Il fit le vide dans ses pensées et se laissa bercer par la voix du gnome.
Il fut réveillé par Gwantholin. Les autres étaient déjà prêts à partir et il était le seul à ne pas être debout. Il avait fini par s'assoupir et il éprouvait la curieuse sensation d'avoir dormi à la fois des heures et quelques minutes à peine. Il n'était pas encore tout à fait réveillé et il aurait aimé se rendormir. Mais l'heure n'était plus au repos...
Ils se remirent en route avec résignation. Décidément , cette pause fit du bien à tout le monde et on sentait que l'ambiance était plus légère.
Après moins d'une heure de cheminement, la structure des lieux changea encore : si la voûte avait été jusque là grossièrement taillée, elle était désormais travaillée avec bien plus de finesse. Le sol était cette fois pavé de lourdes et immenses dalles claires qui faisaient résonner les pas à la manière du marbre. Le couloir était moins espacé et on pouvait à peine s'y engager à trois de front. Les parois des murs étaient constituées de pierres d'environ trois pieds sur deux de dimensions un peu plus sombres que les dalles. Sedanofog expliqua que les nains des montagnes faisaient des souterrains similaires mais il lui semblait hautement improbable que ces derniers aient pu un jour venir ici.
" Peut-être l'œuvre de nains gris... " dit-il sombrement.
Ils avaient presque toujours progressé en descendant depuis qu'ils avaient quitté la surface. L'atmosphère était à la fois de plus en plus chaude et de plus en plus moite, et elle n'avait jamais été aussi lourde. Bientôt, le long chemin rectiligne qu'ils avaient parcouru commença à bifurquer à plusieurs reprises. Ils ne descendaient plus et il leur arrivait même de monter un peu. Les bifurcations étaient peut-être dues à la présence de rocs difficiles à tailler, mais ça ne restait qu'une hypothèse. A un moment donné, ils parvinrent au bout d'un couloir où il y avait une dalle de la taille d'un humain. Elle était entièrement sculptée et représentait des créatures pratiquant des rituels qui firent frissonner Romik. Cette dalle était divisée en quatre parties représentant chacune une scène différente. L'une d'elles dépeignait ces créatures qui faisaient un peu penser à des elfes car elles étaient très élancées et leurs oreilles finissaient aussi en pointe. Elles se livraient à une sorte de rituel maléfique impliquant le sacrifice de personnes vivantes. Bien que cette représentation était sculptée et peu éclairée, les détails étaient saisissants de réalisme et de cruauté, et on pouvoir clairement distinguer la douleur et la terreur sur les traits des personnes sacrifiées et suppliciées. Une autre sculpture mettait en scène un monstre hideux d'assez grande taille et d'apparence éthérée qui massacrait des êtres inoffensifs. La troisième sculpture représentait un abominable accouplement entre ce monstre et une créature elfoïde. Sur la dernière, le monstre aux contours imprécis était toujours présent. Il occupait la majeure partie du cadre et était beaucoup plus détaillé. Cette bête était littéralement hideuse et elle fit hoqueter plusieurs personnes de dégoût. Elle semblait rayonner d'une aura de feu, mais cela restait incertain. La créature massive et fortement trapue avait un semblant d'humain. Elle était bipède mais avait deux paires d'ailes similaires à celles d'une chauve-souris. Les deux plus grandes ailes étaient situées au niveau du dos tandis que les deux autres arrivaient au niveau des épaules. La tête était la partie la plus abominable du corps : elle était suffisamment bestiale pour être laide et monstrueuse mais elle ressemblait toutefois beaucoup à celle d'un humanoïde, ce qui était peut-être le plus répugnant. La bouche sertie de multiples crocs aiguisés esquissait un terrifiant rictus carnassier. Le museau ressemblait vaguement à celui d'un taureau et il semblait en sortir des flammèches. Les yeux, petits et étirés dévoilaient un regard empli de malice et de haine. Il semblaient animés d'une vie propre. De multiples cornes de grande taille, situées sur le sommet du crâne, formaient une sorte de couronne d'ivoire. La bête toute entière était recouverte de poils et plusieurs parties de son corps étaient pourvues de cornes effilées similaires à de gigantesques griffes. Les pieds similaires à des sabots étaient fendus. La bête possédait quatre bras, des mains à trois doigts et un pouce avec de longues griffes acérées fixées sur le dos. Cette représentation était une vraie abomination et Romik en fut extrêmement choqué.
C'était comme si on lui avait présenté la somme de toutes ses peurs incarnée par ce démon. Mais comment pouvait-il avoir aussi peur ? Cette sculpture, aussi hideuse et saisissante de réalisme était-elle, le traumatisait de manière surnaturelle, il en était persuadé. Oui cela était réellement malsain. Le Mal et une haine infinie se dégageaient indubitablement de ces représentations. Romik était persuadé que même si une personne passait devant les yeux bandés, elle ressentirait de l'effroi.
Chaque scène était accompagnée de runes étranges qui devaient probablement décrire avec de plus amples détails les représentations. La dernière était particulièrement chargée de runes. Les explorateurs s'arrêtèrent sur place et passèrent un long moment à étudier cette dalle, mais plusieurs membres du groupe préférèrent rester un peu plus loin car les scènes sculptées les dégoûtaient trop. L'humain ne put guère tirer d'informations sur cela et ses questions restèrent presque toutes sans réponse. Il entendit souvent les elfes prononcer le mot Hegendaro avec une certaine appréhension mêlée à du dégoût mais les immortels restèrent muets quand il leur demanda la signification de ce terme.
Enfin, ils reprirent leur route le long du tunnel et ne rencontrèrent rien d'autre. Romik se sentit clairement soulagé de s'éloigner des dalles sculptées. Au bout de quelques minutes à peine, le chemin s'élargit. Les dalles au sol étaient cette fois plus sombres et on voyait à peine les rainures les séparant. Sedanofog qui menait la marche s'arrêta presque instinctivement. Il regarda autour de lui avec minutie.
" Je ne sais pas pourquoi, mais ce passage ne m'inspire pas confiance " dit-il.
Althgovifen ordonna un arrêt et il se plongea dans une méditation pendant quelques secondes.
" J'ai l'impression que la concentration en mana est plus importante ici qu'ailleurs, expliqua le Clairvoyant. Elle ne l'est guère plus et cela peut ne pas signifier grand chose, car il existe des lieux naturellement plus concentrés en mana. On les appelle nœuds de magie et ils ne sont pas rares, surtout en des lieux peu fréquentés. "
Soumise à un intuition, Gwantholin s'empara du sac de vivres sur lequel était assis Jelion. Le hobbit, qui était tombé au sol, commença à l'apostropher quand, éberlué, il la vit jeter le sac sur les dalles sombres. Celles-ci, au moment ou le sac entra en contact avec elles, s'éclaircirent pendant un instant très bref, mais il était indéniable qu'elles avaient changé de couleur.
" Je vous rappelle que la concentration en mana dans un environnement clos se trouve modifiée quand on en puise pour créer un sort, dit Gwantholin. Et c'est le cas parce que quelqu'un a créé ici un piège magique. "
Chapitre XXIV
Sergojvalitur balaya du regard la vallée qui s'étendait sous ses yeux. Il ne voyait rien de remarquable à part l'entrée par laquelle s'était introduit l'autre groupe.
" Bien, il ne nous reste plus qu'à inspecter les environs et à nous efforcer de repérer quelque chose qui puisse nous aider. Je n'ai pas la prétention de m'imposer comme chef de cette expédition, mais je suis versé dans l'art du pistage et de la vie en plein air, bien que ce type d'endroit ne me soit pas familier... Voilà pourquoi je vous propose que ce soit moi qui prenne la tête de notre expédition. Ses compagnons hochèrent de la tête. Je pense qu'il est inutile de descendre dans cette vallée car les autres sont déjà passés par-là et ils nous auraient sûrement fait signe s'ils avaient remarqué quelque chose. "
Après réflexion, ils optèrent pour contourner le cratère tout en restant sur les hauteurs, près du sommet. Au bout d'une heure de cheminement, ils se trouvèrent du côté opposé de leur ancienne position. Chacun eut l'impression d'avoir perdu son temps car il n'y avait rien de nouveau. Ils débattirent pendant un certain temps pour savoir s'ils ne devaient pas retourner en arrière et rejoindre les autres, ce qui pourrait être la meilleure chose à faire. Mais ils décidèrent finalement de poursuivre quand même leur chemin car de toute façon, ils avaient perdu trop de temps.
Devant eux, ils aperçurent d'autres sommets qui s'étendaient à perte de vue. Entre leur position et la montagne suivante - à plus de deux heures de marche - le terrain était extrêmement rocailleux, à un tel point qu'ils se demandèrent s'ils pourraient bien passer par-là. Sans trop savoir pourquoi, les nains insistèrent pour le faire quand même. Peut-être parce que le terrain leur était vaguement familier, à moins que ce ne soit un pressentiment...
Ils crurent pendant longtemps avoir perdu leur temps et s'être égarés, mais au bout d'une heure et demie, l'intuition des nains paya : ils finirent par apercevoir des cavernes habitées. Les troglodytes étaient des monstres gobelinoïdes, essentiellement des orcs femelles ou en bas-âge. Bien qu'ils étaient en bien plus grand nombre que les voyageurs, ils ne tentèrent même pas de combattre, et ils s'enfuirent en poussant des glapissements, de terreur.
" Eh bien nos efforts ont abouti à quelque chose, dit Eanepalith. Nous voilà en face d'un campement.
- Mais curieusement il n'y a pas de mâles susceptibles de combattre, remarqua Tergolaïd. Vous avez pu constater que nous avons seulement vu des jeunes ou des femelles fragiles qui sont gardées à des fins reproductives.
- Je suppose que les autres se trouvent ailleurs, probablement pour une opération militaire ou quelque chose du même genre fit remarquer Firdofeïm.
- Alors nous n'avons plus qu'à suivre ces fuyards pour repérer le lieu où ils vont aller se réfugier, dit Ledongal. Je pense que ça nous mènera tout droit au quartier général de ces affreux.
- A moins qu'ils ne servent qu'à nous mener tout droit vers un piège... dit Tergolaïd.
- Firdofeïm, Dakgonthë et moi aurions bien pu partir en éclaireurs pour vérifier cela, mais nous sommes pressés par le temps, dit Sergojvalitur. Je vais rester un peu dans ce campement pour voir si je ne peux pas trouver quelques renseignements. Je vous rejoindrai un peu plus tard. Je vous recommande de rester discrets. Même si nous sommes déjà repérés, nous ne savons pas ce qui nous attend, alors autant faire preuve de prudence... "
Le groupe se remit en route, mené par les rangers. Ces derniers parvinrent à trouver la piste laissée par les fugitifs et ils la suivirent tant bien que mal. Le terrain rocailleux laissait peu de traces mais Dakgonthë et Firdofeïm étaient doués pour le pistage. Ils rencontrèrent encore quelques cavernes avant de voir, bien en évidence, une entrée qui aurait pu ressembler au début d'un terrier géant. Ils se cachèrent non loin de là et patientèrent jusqu'à ce que Sergojvalitur arrive.
Ils attendirent suffisamment longtemps pour commencer à s'inquiéter de ce qu'il advenait du ranger lorsqu'ils le virent apparaître de derrière un rocher situé non loin de l'entrée du tunnel. Les nains furent surpris car ils ne l'avaient aperçu qu'au dernier moment, et il leur semblait que Sergojvalitur aurait pu leur être encore invisible s'il l'avait souhaité. Les elfes, quant à eux, ne furent guère étonnés par son arrivée impromptue car tous connaissaient son habileté à rester inaperçu.
" Je n'ai hélas rien trouvé d'intéressant, déplora-t-il. Il y avait essentiellement des objets usuels, peu d'objets personnels et quelques armes rudimentaires. Nous voilà peu avancés...
- Y avait-il des objets de culte ou des signes d'appartenance à des clans ? demanda Ledongal.
- Fort peu, à vrai dire. Il y avait quelques grossières statuettes et d'ignobles tentures à l'effigie de leurs dieux obscurs, voilà tout.
- Y avait-il des fresques ? Je sais qu'ils en sont généralement friands.
- Non, je n'ai rien vu de cela.
- Vous dites qu'il n'y avait aucune fresque, dit Ledongal. Curieux, curieux... C'est comme s'ils s'étaient installés récemment et qu'ils avaient eu autre chose à faire que soigner leur campement.
- Nous avons donc finalement quelques indices, lança Eanepalith. Le Sanctuaire Maudit était probablement déserté il y a quelques temps de cela. Il est sûrement habité depuis que l'esprit maléfique du démon se faisant passer pour Garsha peut influer sur les monstres des environs...
- Oui, ce doit être la même personne qui a commandité cette attaque contre nous et qui a conféré assez de pouvoir à la chamane orque pour créer un golem de chair...
- Il est donc possible qu'elle soit réellement présente ici... fit sombrement Dakgonthë.
- Et si ce n'est pas le cas, elle peut de toute façon exercer son influence, appuya Eanepalith. Il doit donc nous être possible de mettre un terme à cette menace, probablement en coupant le lien mental entre notre plan d'existence et celui de cette créature, si elle n'est pas déjà présente physiquement ici.... "
Ils entrèrent dans le souterrain. Les nains, habitués à vivre sous terre et ayant la capacité de voir dans l'obscurité de manière restreinte auraient préféré se passer de torches, car une telle source de lumière peut être vue assez facilement, et aussi être sentie, ce que les orcs sont habiles à faire. Malheureusement, les elfes voient dans l'obscurité encore moins bien que les humains et ils auraient été de véritables fardeaux sans éclairage. Inerglaïk, qui était la personne du groupe ayant la vue la plus perçante en pénombre prit la tête de la marche, suivit par Firdofeïm, qui avait l'ouïe la plus aiguisée. Il tenait une torche pour guider ses compagnons tout en s'efforçant de dégager le minimum de lumière.
Il ne leur fallut pas beaucoup de temps pour rattraper un fuyard. C'était une créature famélique abandonnée par les autres, et qui semblait visiblement épuisée. Mais avant que quiconque ne puissent l'attraper, elle s'enfuit à une vitesse surprenante. Les elfes hésitèrent à la poursuivre par crainte d'un piège. Ils décidèrent finalement de continuer leur progression en laissant Inerglaïk prendre de la distance sur eux, afin qu'il les prévienne d'un danger.
Ils passèrent ensuite un moment assez pénible. On n'entendait plus que le bruit de leurs pas et le crépitement des torches. Tout le monde était mis mal à l'aise par cette marche angoissante. Inerglaïk était revenu vers eux par deux fois pour leur signaler qu'il n'y avait toujours rien de nouveau.
Brusquement, Firdofeïm s'immobilisa et tendit l'oreille.
" J'ai crû entendre quelque chose d'anormal... souffla-t-il. A peine eut-il le temps d'achever sa phrase que tous entendirent un cri.
- Inerglaïk ! s'exclama Tergolaïd d'une voix étranglée. C'était lui, j'en suis certaine ! "
Ils sortirent tous leurs armes et poursuivirent leur progression d'un pas précipité. Quelques instants après, des orcs les attaquèrent. Ils étaient peu nombreux et mal armés. Mais ils s'étaient jetés sur eux avec une rage si intense que l'affrontement ne fut pas aussi aisé qu'il aurait pu l'être. Tergolaïd fit prestement tournoyer sa hache qu'elle enfonça dans le torse du premier assaillant. Sergojvalitur, qui était à ses côtés esquiva l'attaque du second orc et lui entailla le ventre. Puis de sa main libre, il exécuta une saisie sur la créature qu'il rejeta vers les autres antagonistes tandis que Tergolaïd décrivait quelques amples moulinets dans le but de les tenir à l'écart. Mais les orcs étaient habités par une telle fougue que tout cela ne les ralentit que quelques instants à peine. Toutefois, ce répit fut suffisant pour que les elfes et les nains puissent tous se regrouper et faire face à leurs assaillants avec plus de tactique et une plus grande liberté de mouvement. Ainsi, Tergolaïd et Ledongal se mirent en avant du groupe en raison de leur petite taille et de leur meilleur équipement de protection. Dakgonthë et Firdofeïm se placèrent chacun contre une paroi afin de pouvoir user leurs arcs qu'ils maîtrisaient bien mieux que n'importe quelle arme de corps à corps. Sergojvalitur était placé entre les nains, un peu en retrait, afin de les épauler. Eanepalith formait à lui tout seul l'arrière garde du groupe. Il avait gardé sa torche afin d'aider les archers à mieux viser. Il était conscient qu'ainsi il aiderait aussi grandement les orcs si ces derniers avaient de quoi leur lancer des projectiles, mais c'était un risque à prendre.
Avec cette formation, ils tinrent tête à leurs ennemis du mieux qu'ils purent. Le combat fut quand même éprouvant en raison de la fatigue, du faible éclairage, de la configuration des lieux et de l'acharnement des orcs. Les monstres - lorsqu'ils pouvaient venir à eux sans être tués par les flèches elfes - étaient soumis aux attaques coordonnées de deux haches naines suivies par un fauchon. Et s'ils pouvaient s'approcher davantage, Eanepalith apportait secours à ses compagnons. Il veillait aussi à ce que les archers ne se fassent pas attaquer.
Au bout de quelques instants, on n'entendit plus que le râle d'agonie que faisait le dernier orc encore en vie. Un calme apparent était revenu et le groupe s'était tout de suite remis en marche car il leur fallait impérativement retrouver Inerglaïk.
" Y a-t-il des blessés ? demanda Eanepalith.
- J'ai pris deux ou trois coups, mais grâce à ma cotte de maille, ce ne sont que des blessures mineures. On s'en occupera plus tard... dit Ledongal.
- J'ai une entaille au bras, mais je peux continuer à avancer dit Sergojvalitur.
- Mon arc est inutilisable, mais sinon tout va bien annonça Firdofeïm. "
Le groupe ralentit l'allure de la progression afin que Dakgonthë les rejoigne. Elle était restée en arrière afin de récupérer les flèches encore utilisables. Les flèches elfes étaient d'excellente facture et mieux valait ne pas les gaspiller.
Eanepalith était intrigué par le silence de Tergolaïd et par la façon dont elle marchait, car elle progressait en restant voûtée. Il lui demanda si elle n'était pas blessée.
" Ça va aller... " se contenta-t-elle de lui répondre.
Un examen plus attentif de l'état de la naine aurait révélé qu'elle était en fait sérieusement blessée : en plus d'une blessure mineure, elle avait prit un sérieux coup au ventre. Pareille blessure aurait certainement tué un elfe, et probablement un humain ; mais les nains sont bien plus résistants et endurcis qu'eux. Cependant, même un nain aurait normalement eu du mal à gérer pareille blessure. A vrai dire, c'était l'amour de Tergolaïd pour Inerglaïk, son fils, qui lui permettait de continuer à avancer avec tant de stoïcisme.
La situation était critique et c'est peut-être pour cela qu'ils mirent un petit temps à se rendre compte que la configuration des lieux avait changé : les parois s'écartaient de plus en plus et la voûte se faisait de moins en moins basse. Les sons résonnaient et n'étaient plus étouffés. Ils entendirent alors crier de nouveau : c'était Inerglaïk. Tout le monde s'immobilisa.
" Vous voilà enfin, dit une voix mauvaise qui parlait dans un ertelien peu commun. J'ai crû pendant un instant que mes orcs vous avaient tué... "
Il y eut un silence pesant. La voix avait le même timbre que celle d'un elfe mais elle avait un accent chantant bien plus prononcé.
" Ashalozg ! "" entendirent-ils tous crier.
Des lanternes qui avaient été masquées furent découvertes par des orcs qui révélèrent les lieux. Ils se trouvaient dans une caverne large de plus de trois cent pieds. Des dizaines d'orcs en armes les encerclaient ; ils avaient bien été conduits tout droit à un piège. Plus loin devant eux, une étrange créature se tenait sur un promontoire. Deux imposants trolls se tenaient à ses côtés ; un orc particulièrement grand et à l'aspect cruel soutenait Inerglaïk. Le jeune nain était mal en point. Il saignait de plusieurs plaies et il avait maintes contusions. Mais ce fut surtout l'étrange créature qui attira leur attention. On pouvait maintenant la voir assez distinctement. L'être était svelte comme un elfe et il y avait en lui de leur grâce. Mais sa peau était grisâtre et il était un peu plus grand qu'un elfe. A vrai dire, sa taille avoisinait celle d'un humain. Il portait une armure articulée constituée de petites plaques noires et mates. Ses avants-bras et le bas de ses jambes étaient protégés par plusieurs morceaux de cuir noir et épais assemblés. Ses mains et sa tête étaient nues et ses cheveux mi-longs étaient rejetés en arrière comme pour mettre en évidence son héritage elfique. Il portait un tabard bleu et gris magnifiquement ouvragé avec un symbole représentant une curieuse étoile creuse comportant une dizaine de branches finissant en pointes incurvées.
Les elfes commencèrent à murmurer des paroles inquiètes. Ledongal se contenta de grimacer de dégoût.
" Un déchu ! éructa-t-il. Il ne manquait plus qu'eux... "
Les déchus - ou elfes déchus - étaient une race maudite et peu connue. Ils étaient la négation même des elfes et leurs semblaient contraires en tout point. Peu de personnes les ayant rencontrés purent rester vivantes ; voilà pourquoi on ne connaissait presque rien de ce peuple. On savait qu'il était possible de les rencontrer parfois sous terre, mais leurs campements - s'ils en avaient - demeuraient inconnus.
Plusieurs nains des montagnes et gnomes subissaient parfois quelques raids éclairs après lesquels il ne restait plus que mort et désolation. Les nains des collines - cousins des nains des montagnes - avaient pour la plupart déjà entendu parler des déchus mais ces derniers restaient une légende pour eux. Les elfes, quant à eux, connaissaient aussi les déchus - qu'ils appelaient Hegendaren ou Hegendaro au singulier - mais ils entretenaient sur ces derniers un grand mystère car ils vivaient avec une certaine honte le fait que les déchus puissent avoir une branche commune avec eux. Les autres peuples, quant à eux, n'avaient jamais entendu parler des déchus. Il est possible que quelques humains en aperçoivent parfois, mais ils les prenaient alors pour des elfes, ce qui contribue à renforcer la méfiance et la crainte des mortels vis-à-vis de ces derniers.
" Qu'avez-vous fait à mon fils ? hurla Tergolaïd.
- Il restera vivant, ainsi que vous si vous devenez coopérants, vous et mes... cousins répondit le Déchu d'un ton méprisant. Alors voici donc la petite compagnie osant s'aventurer au Sanctuaire Maudit. Vous nous avez causé quelques petits tracas mais tout cela est terminé, à présent. Vous allez maintenant déposer vos armes, mettre vos mains bien évidence devant vous et avancer un par un jusqu'à moi. "
Un lourd silence s'appesantit sur la caverne. Les compagnons se regardèrent l'un l'autre. A l'expression que chacun affichait, ils finirent par déduire que c'était la fin. Personne, sauf peut-être Inerglaïk, ne se faisait d'illusion sur leur sort.
" Je ne pense pas vous sous-estimer si je vous considère suffisamment lucides pour vous rendre compte que vous n'avez pas d'autre alternative " ajouta le déchu comme s'il voulait leur rappeler que toute tentative de velléité entraînerait leur mort.
Tergolaïd la première déposa sa hache au sol et avança lentement vers le déchu, les mains levées. Lorsqu'elle fut assez proche de lui, elle adressa à son fils un regard empli de contrition et de fière résignation. Des orcs l'empoignèrent.
Chapitre XXV
" Encore de la magie ! s'exclama Romik. Mais qui a bien pu faire ça ? Sûrement pas des orcs, alors qui ? "
Les elfes restèrent coîts tandis que les autres regardèrent l'humain avec un air interrogateur.
" J'ai l'impression que vous savez quelque chose : après tout, vous connaissez cette magie et il me semble que les dalles sculptées vous disaient quelque chose.
- Poursuivons notre chemin se contenta de dire Althgovifen.
- Putain de merde ! explosa Romik. Mais comment voulez-vous qu'on réussisse si vous, les elfes ne nous faites jamais confiance ? Alors maintenant, vous allez-nous dire ce que vous savez, sinon on ne pourra jamais s'en sortir !
- Il a raison, dit Aïnedegathel en passant un bras sur l'épaule de l'humain. Nous devons nous entraider et accorder notre confiance aux autres. Si des humains nous ont trahis, si des hobbits nous ont ignorés, si des nains nous ont méprisés et si des gnomes nous ont raillés, nous devons les traiter différemment : ils ne sont pas tous comme eux ; on juge les gens d'après leur valeur, pas d'après leur race. Vous savez parfaitement que les préjugés ne peuvent que nuire. Il faut leur faire confiance car c'est en nous unissant que nous vaincrons. "
Le Clairvoyant prit une longue inspiration et soupira gravement, puis il regarda chaque non-elfe avec gravité. " Soit, je vais vous dire ce que vous ne savez pas et ce que vos races n'ont jamais su - à quelques exceptions près. Les sculptures que vous avez vues représentent des elfes déchus. Moi-même, qui suit l'un des plus anciens représentants de ma race a encore beaucoup à apprendre sur eux. Les faits remontent à des temps lointains et presque oubliés. A cette époque, comme vous le savez tous, les humains étaient apparus sur le monde et ils sont, de loin, ceux qui influent le plus sur le déroulement des choses - en bien comme en mal. Des elfes inquiets de la menace que pourrait représenter cette race se plongèrent dans l'étude de la magie, dans le but de stopper la progression de ce peuple.
Je sais qu'ils découvrirent un savoir immense et excellaient dans l'art de la magie ; mais leur soif de connaissance et leur égoïsme les rongèrent. Il est dit qu'ils firent appel à Brundashka - un démon suprême - afin d'obtenir suffisamment de pouvoir pour assurer à jamais la suprématie de la race elfe. Je suppose que vous prenez conscience de la gravité de cet acte : ils s'étaient écartés de la voie que nous sommes tous appelés à suivre, celle de l'amour, de la compréhension, de la compassion et du respect de l'autre. "
Après une pause, le Clairvoyant reprit en expliquant à Digilijt, Sedanofog et Jelion : " A Arnœd Keïtzan - la ville d'où je viens - j'ai déchiffré un écrit narrant qu'il y a plus de quatre vingt mille lunes, un démon faillit quitter l'Enfer pour venir sur notre monde. Des prêtres-mages elfes d'un ordre oublié qui se faisaient appeler Wæïnetogethaj purent avec l'aide d'Ajelebathan - c'est le nom que nous donnons à notre dieu - bannir ce démon. En faisant la relation avec ce que je vous ai dit, nous pouvons comprendre que ce démon évoqué par les sculptures était très certainement Brundashka, et que c'est en raison des elfes fous qu'il put presque envahir notre monde.
Une légende dit que les Déchus sont le produit d'une malédiction, car Ajelebathan lui-même maudit ces êtres rongés par le pouvoir qui avaient failli causer l'apocalypse. Une fois maudits, au lieu de s'efforcer à racheter leurs fautes, aussi laborieux que cela puisse être, ils se tournèrent complètement vers le Mal et se terrèrent sous terre. Je ne détiens ensuite que très peu d'informations sur eux, et la majorité des elfes, d'ailleurs, croit que ce n'est qu'une légende qui appartient au passé. Mais les déchus sont bien présents et ils continuent de prospérer, même s'ils restent discrets. "
Althgovifen se tourna vers Romik. " Romik, fils de Famik, si notre silence a pu vous offusquer, ce que je vous demande de comprendre, c'est parce que nous préférons taire l'origine des déchus et ne pas en parler : ils représentent une honte pour nous et sont la conséquence de notre orgueil et de notre aveuglement. Quant aux scènes sculptées que vous avez pu voir, elles désignent, vous l'avez deviné, des déchus ainsi que Brundashka qui correspond à la vague description que nous avons de lui. C'est donc Brundashka, se faisant passer pour la déesse orcque Garsha, qui menace d'envahir notre plan d'existence.
- Et nous aurons affaire à des adversaires coriaces, des elfes déchus... ajouta Gwantholin.
- En effet, ils ont toujours gardé une grande maîtrise de la magie et peu d'autres êtres seraient capables de les surpasser dans ce domaine expliqua le Clairvoyant.
- Alors c'est donc eux qui ont piégé ce passage déclara Aïnedegathel.
- Oui, mais j'ai repéré ce piège bien trop aisément, dit Gwantholin. Ou bien il en cache un autre ou bien il y a une autre raison. A mon avis, nous ne devrions pas emprunter cette direction ; j'ai le sentiment qu'ils veulent nous y attirer...
- Si nous retournions étudier les sculptures avec plus d'attention ? proposa Ilpalfejid. "
" Quand même, un bon sac de vivres... En plus, j'avais à peine entamé le saucisson... se lamenta Jelion.
- Jelion, j'ignore si tu te rends compte de la situation à laquelle nous sommes confrontés, lui reprocha Gwantholin. Tu n'es plus en ballade ! Il se joue peut-être le destin du monde, alors tâche d'être un peu plus sérieux !
- Mais qu'est-ce qu'un pauvre hobbit insignifiant comme moi a comme rôle à jouer dans tout cela ?
- Je te comprends, tu te sens inutile, lui dit Romik qui le comprenait parfaitement. Tu as l'impression que tu es insignifiant aux yeux des autres ou qu'ils te considèrent comme un enfant ou un fardeau. Mais tu devrais oublier ce sentiment, sinon tu vas être rongé par l'amertume et le mal-être. De toute façon, personne ici ne sait quel rôle il va avoir à jouer dans cette sinistre affaire et aucun d'entre nous a sa place ici.
- Et si je trouve que tu manques un peu de sérieux, je dois te dire que je suis toujours surprise de ta bonne humeur, lui avoua Gwantholin. Même en un lieu pareil tu penses à une chose aussi prosaïque que te remplir le ventre ! "
Les trois compagnons rirent de bon cœur. Cela fit beaucoup de bien à Romik qui oublia pendant un instant cette sombre histoire de démon issu de plans démoniaques, d'elfes déchus, d'orcs et de magie qui corrompait ceux qui y faisaient appel. Il eut la sensation que c'était les choses simples qui pourraient le rendre heureux. Il se rappella des veillées à Stanok : les habitants du village se réunissaient dans une grange, chacun amenait son tabouret et les plus jeunes s'asseyaient par terre. On parlait de faits divers : de l'état des pousses, des changements de climat à venir, des rhumatismes du vieux Lindgrad, des bagarres des gamins du village. Celui qui recevait tout ce monde devait apporter à boire : bière, alcools forts, tisane et jus de pomme ; il devait veiller à un éclairage suffisant des lieux. Il était même dans l'obligation d'improviser une chanson et de conter une histoire. Romik se souvint de la dernière fois où son père avait reçu les villageois. Famik s'était presque ridiculisé en chantant une ballade d'un air plus qu'approximatif. Tout le monde avait bien ri mais de bon cœur, pas méchamment. C'est le père Altrek qui prenait souvent la suite, il avait un prodigieux talent de conteur. Avec lui, l'histoire la plus insignifiante devenait captivante, il pouvait faire trembler de peur toute l'assistance, la rendre hilare ou l'émerveiller en contant des faits prodigieux quand il le souhaitait. Romik se demandait toujours s'il inventait ses histoires de toutes pièces, si elles étaient basées sur des légendes ou s'il se contentait de ressortir les contes qu'il avait entendus.
Recevoir presque tout le village chez soi était toute une organisation et il se souvint que ses parents avaient mis des jours à évacuer leur fatigue. Mais le pragmatisme des ertéliens joignait souvent l'utile à l'agréable : quand on participait à une veillée, on ne chômait jamais. Les maîtres de maison trouvaient toujours du travail à dispenser : écosser les haricots, plumer les volailles, préparer le pain et cætera.
Romik se demanda ce qu'il se passerait s'il rentrait à Stanok. Il aurait des histoires à raconter jusqu'à la fin de ses jours. Tout le monde voudrait savoir comment sont les elfes, ce qu'ils mangent, où ils habitent, de quoi ils vivent, comment ils s'habillent, à quoi ressemblent leurs maisons, comment est leur langue... Il avait conscience qu'il ne serait plus jamais le même garçon. Peut-être même que ses parents ne le reconnaîtraient plus et qu'ils auraient l'impression de se trouver en face d'un étranger. En tout cas, il devait sûrement être l'un des humains qui connaissait le mieux les elfes, bien qu'il ne se sentit pas encore pleinement intégré parmi eux, si cela était vraiment possible.
Il soupira longuement... pour se rendre compte que le groupe avait pris de la distance. Gwantholin fermait la marche. Il accéléra son pas.
" Te sens-tu bien, Romik ? lui demanda-t-elle lorsqu'il fut à côté d'elle.
- Pas vraiment... Ma famille, Stanok, mes amis me manquent.
- Tu aurais préféré ne pas venir avec nous ?
- Non, ce n'est pas cela, je ne regrette pas. Mais... par moment...
- Je vois, répondit-elle. Nous sommes tous confrontés de temps à autre à des instants de solitude, de remise en cause profonde. Je présume qu'il en de même pour un jeune humain comme toi.
- Je crois... lui fit-il mal à l'aise. Le terme jeune humain comme toi le dérangeait. Il avait l'impression qu'elle avait pris de la distance par rapport à lui en disant cela. Il ne savait plus ce qu'il fallait penser d'elle. Il éprouvait beaucoup d'affection pour elle, mais il y avait toujours quelque chose en plus, une attirance qu'il ne parvenait pas à refouler même si l'elfe lui avait fait clairement comprendre qu'ils ne pourraient jamais être plus que des amis - ce qui est déjà un trésor immense. Il regretta d'être si peu expérimenté car il se demandait perpétuellement s'il éprouvait pour elle un amour intense et puissant ou juste une fascination que n'importe quel garçon comme lui pourrait éprouver pour une belle femme.
Il aurait tout donné pour la comprendre, mais il ne pouvait rien y faire. Aïnedegathel lui avait juste suggéré d'essayer de ne plus y penser, mais rien ne lui disait si elle savait ce que pensait réellement Gwantholin.
Mais peut-être que Gwantholin elle-même n'était pas sûre d'elle...
Lorsqu'ils furent de nouveau en face de la dalle sculptée, les elfes les plus érudits se postèrent devant et l'étudièrent avec une grande circonspection. Ils traduisirent les écrits et méditèrent dessus.
" Ces inscriptions ne nous apportent rien de nouveau, conclut Althgovifen. Elles ne font que répéter les prophéties des déchus selon lesquelles Brundashka reviendra un jour avec l'appui des hegendaren pour se venger de ceux qui l'avaient renvoyé en Enfer. Il est évident que Brundashka va s'en prendre à la race elfe toute entière et très probablement à beaucoup de monde ensuite. Puis il assiéra son pouvoir sur le monde entier, appuyé par les déchus qui rêvent eux aussi de voir le monde à leu pied.
- Il n'y a donc aucune information exploitable pour nous ? en déduisit Sedanofog.
- Hélas, non.
- Alors qu'allons-nous faire, sortir d'ici et chercher une autre entrée ? demanda Targetelan.
- Cela risque de prendre beaucoup de temps, mais avons-nous vraiment le choix ? Personnellement, je ne me risquerais pas à prendre le passage piégé.
Il y eut un lourd silence.
- Avez-vous remarqué que cette dalle a à peu près la taille d'un elfe ? releva Jelion. Bien sûr, ça n'aurait pas pu avoir ma taille : rien n'est jamais adapté aux hobbits, comme toujours... Mais bon ! cela veut peut-être dire quelque chose... non ?
Les yeux de Gwantholin qui étaient plissés s'ouvrirent largement.
- Sa théorie est plausible, cela pourrait bien être un passage fit-elle remarquer.
- Peut-être, mais il nous reste à savoir comment ça pourrait s'ouvrir, objecta Sedanofog. Et je peux vous certifier que si mécanisme il y a, eh bien il est sacrément compliqué sinon j'aurais déjà compris comment ça s'ouvre. On a un sixième sens pour ça, nous les nains expliqua-t-il.
- Il faut penser à la manière d'un déchu, s'imprégner de leur mode de pensée pour avoir une chance de faire ouvrir cette dalle expliqua Gwantholin.
- C'est peut-être magique suggéra Romik. "
Althgovifen s'avança vers la dalle, ferma les yeux et prit une longue inspiration. Il posa la main gauche dessus et exécuta des arbesques de la main droite en disant d'une voix lente et grave :
" Prasechan qarïyena eridnol yagœntââl ur ompe "
Sa main gauche resta toujours plaquée contre la paroi tandis qu'il plaça son pouce entre son index et son majeur, plia son annulaire et balaya les sculptures de la main en tendant les autres doigts. Il soupira longuement et malgré le faible éclairage, Romik put voir à l'expression qu'il affichait qu'il avait dépensé un effort important.
" Ce n'est pas magique, j'en suis sûr se contenta-t-il de dire.
- Donc c'est bien un mécanisme caché, annonca Sedanofog. Alors au boulot ! "
Il passa un temps interminable à examiner les sculptures, de près comme de loin. Il regarda chaque aspérité, chaque creux, jura plusieurs fois, entailla sérieusement sa hache dessus mais ne trouva rien. Il s'assit à quelque pieds de là, la tête placée entre les genoux, les bras croisés par-dessus.
Les autres se regardèrent d'un air ennuyé.
" Je pourrais peut-être essayer avec ma dague suggéra Romik.
- Pourquoi pas... lui accorda Gwantholin sans grande conviction. Ne prends pas trop de temps, il est inutile de s'éterniser. "
L'humain dégaina sa dague et s'assit en tailleur sur le sol. Il essaya d'oublier l'endroit où il était et s'efforça de se remémorer la fois où il était parvenu à activer les pouvoirs de la Dague de Précision, à Torkanjen Dilurgansan. Cela s'était passé dans un endroit tranquille, un véritable havre de paix... Il allait lui être difficile de se plonger dans les mêmes conditions, mais il fallait y arriver ! Il se concentra sur l'immense pouvoir que recèle cette petite arme et parvint à l'activer. Il sentit tout d'abord un picotement naître dans son poignet puis se propager dans tout son corps.
Puis il entendit un léger vrombissement. Il ouvrit les yeux : l'arme était nimbée d'une aura céruléenne et elle lévitait à quelques pouces de sa main ouverte. Il se concentra davantage sur son pouvoir, encore et encore, et il sentit une énorme décharge secouer tout son être. Une grande vague de puissance s'était libérée en lui et il sentit sur le coup une sensation grisante de pouvoir.
Il eut l'impression qu'il aurait pu faire tout ce qu'il voulait en un clin d'œil. Il montrerait enfin à ces elfes arrogants qu'il pouvait maîtriser la magie bien mieux qu'eux, il leur prouverait ce qu'un humain pouvait faire... Il tuera Brundashka seul et en retirera toute la gloire. On le nommera Romik Le Tout Puissant ; tous les peuples le craindront, il se fera respecter sur toute l'Ertelie ; non... sur le monde entier, plutôt ! Gwantholin rampera à ses pieds, le suppliera d'être sa femme mais il la rejettera. Elle aurait du se rendre compte dès le début de l'immense potentiel qu'il détenait, au lieu de le mépriser, de le considérer comme un vulgaire mortel. La sotte...
Il ouvrit les yeux. Il lui sembla qu'il était passé en Vision Véritable mais il était pourtant plongé dans le noir. Après un petit instant de concentration, il aperçut des formes blanchâtres et éthérées autour de lui : ses incapables de compagnons, bien sûr... La dague rayonnait d'une intense lumière jaune et diffuse, mais pourtant elle n'éclairait rien. Il sentit que l'endroit où il se trouvait puait le Mal. C'était d'une évidence flagrante. Il regarda la dalle sculptée et s'aperçut qu'elle était presque animée. Il vit Brundashka, au centre qui lui faisait signe et qui remuait les lèvres, mais il ne parvenait pas à saisir l'objet du message. Il aperçut quelques points jaunes, placés dans un ordre non aléatoire.
C'était bien trop facile à comprendre : la dalle sculptée était en fait une porte donnant sur un autre passage, et il suffisait d'activer les interrupteurs magiques pour l'ouvrir. C'était d'une telle trivialité, et pourtant, personne ne s'en était rendu compte. Il n'y avait que lui, Romik le Suprême qui avait deviné. Lui, un humain qu'autrefois on méprisait... Mais maintenant, la donne va changer. Oui, tout va changer... CHANGER !
" Romik... Romik ! " lui dit une voix lointaine inintéressante. Il l'ignora et retourna à ses rêves de suprématie, de pouvoir.
" ROMIK FILS DE FAMIK ! " entendit-il distinctement tout en ressentant une vive mais brève douleur à la joue.
Il ouvrit les yeux et vit la gracieuse Gwantholin penchée sur lui. Mais elle lui paraissait peu gracieuse à l'instant ; elle lui semblait faible, presque famélique. Ces elfes... si menus, si fragiles malgré leur soi-disant immortalité ne faisaient décidément pas le poids face à un humain.
" Cela fait depuis dix minutes que tu es figé, dit-elle d'une voix soucieuse, nous étions inquiets pour toi.
- Eh bien il fallait me laisser dans l'état où je me trouvais ! vociféra-t-il. Vous avez cassé ma concentration, imbéciles !
Ses compagnons le regardèrent, interloqués.
- Qu'est-ce qu'il y a, je vous fais peur ? Pauvres cons...
- Tu ne vas pas bien, Romik... lui dit Aïnedegathel en fronçant les sourcils.
- Oh, si je vais bien et je vais vous montrer ce que je peux faire. "
Sur ce, il se leva. Il tenait fermement la Dague de Précision dans sa main et il voyait toujours avec la Vision Véritable. Il s'avança vers la fresque et appuya sur les points lumineux. Tout le pan de mur se nimba de jaune, puis il s'ouvrit en raclant le sol. Romik s'engagea dans le passage.
" Alors, qu'attendez-vous pour me suivre ? leur adressa-t-il d'une voix impatiente en se retournant.
- Je reste perplexe, dit Althgovifen d'une voix basse. Ce n'était pas magique, pourtant...
- Et pourtant cette ouverture est bien magique. Tout magicien digne de ce nom aurait du s'en rendre compte du premier coup d'œil, fit-il d'un air suffisant et lourd de reproches. Mais s'est peut-être l'âge, qui sait... "
Il s'engagea avec promptitude. Il marchait à grandes enjambées, puis il se mit à ralentir. Il se sentit extrêmement mal. Mais c'était impossible ! Comment un être comme lui ayant atteint un aussi haut degré de puissance pourrait-il se sentir affaibli ?
Romik jura. Il sentit un flot intense de sang affluer vers son cerveau et eut l'impression que sa tête allait exploser. Son pas se fit encore plus chancelant et sa vue se troubla. Il ne voyait plus que du rouge. Il lâcha la dague de Précision et tomba dans le coma. La dernière image qu'il perçut fut la voûte qui lui semblait extrêmement haute.
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