Roman


Auteur(s) :

Philippe de QUILLACQ

Illustrateurs(s) :

Olivier LAMBREY


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Eastenwest > 9 - Plus mort que vivant !



Humble Mortel, ch. 12-15

Voilà donc la suite de ce roman épique commencé dans le numéro 5 et poursuivi depuis. Comme d'habitude, n'hésitez pas à envoyer vos commentaires à l'auteur pour lui faire part de vos impressions. Bonne lecture.

CHAPITRE 12

Gwantholin se releva. Le soleil était en train de se coucher. "Il est tard" dit-elle.
Romik se releva lui aussi, pour s'écrouler tout de suite après au sol… "Aah! j'ai mal!" s'écria-t-il en frottant son séant ankylosé. "Je crois que je me passerai d'un cheval pour rentrer…" ajouta-t-il.
"Bien, rentrons à pied alors."

Ils marchaient depuis quelques minutes en silence mais ce n'était plus un silence gênant comme auparavant et Romik n'éprouvait plus cette sensation d'embarras. Il décida quand même de prendre la parole: "Au fait, tu ne m'as toujours pas expliqué comment utiliser la Dague de Précision."
"Oui, tu as raison; je n'y pensais plus du tout. Peut-être te l'enseignerai-je demain."
"Demain? Tu ne pourrais pas le faire ce soir? On a encore du temps."
"Ce soir, j'ai d'autres préoccupations. Les elfes sylvains organisent des festivités pour honorer notre présence ici. J'espère que tu viendras."
"D'accord je viendrai. Mais j'en ai marre de toujours être prévenu en dernier. Ce n'est pas parce que je suis le wogantagë qu'on doit tout me cacher."
Gwantholin esquissa un sourire mais elle ne dit rien. Ils continuèrent à marcher en silence. Mais Romik s'enhardit et prit la main de l'elfe dans la sienne. Cette fois-ci, elle ne dit rien non plus mais toutefois, elle serra sa main.

Ils remontèrent de la même façon que Romik était descendu: par les échelles de cordes. A chaque plate-forme qu'ils atteignaient, ils remontaient l'échelle qui pendait, afin que nul visiteur indésirable ne remarque quoi que ce soit.
Ils franchirent plusieurs plate-formes qui étaient désertées et, lorsqu'ils se rapprochèrent de la hutte de Todjekelimf, Romik perçut une musique. Elle était un peu similaire à celle qu'il avait entendue quelques jours auparavant et cela le fit penser à Ponjafen Deskutog. Puis il vit des tables dressées sur des tréteaux. Il y reposait toutes sortes de mets. Ils étaient essentiellement composés de produits de cueillette et il y avait aussi des tranches de pain blanc, de la viande séchée et quelques légumes sauvages. Il y avait aussi des pots de miel, de la gelée, des fruits secs et diverses sortes de vin, de l'hydromel et du vin de noix.
La superficie totale des lieux n'était pas bien grande, mais Romik réussit quand même à dénombrer plus d'une centaine de personnes. Il parvint aussi à distinguer plusieurs elfes avec qui il avait voyagé. Toujours accompagné de Gwantholin, il se dirigea vers Aïnedegathel.
"J'espère que tu t'amuses bien ici!" lui dit-elle.
"Je viens d'arriver, alors je ne peux pas encore me prononcer. Mais tous ces elfes réunis au même endroit, ça m'intimide un peu."
Aïnedegathel hocha de la tête. "Je crois que je peux te comprendre" dit-elle. Elle tendit à Gwantholin son gobelet et prit la main de Romik.
"Viens! lui dit-elle en l'entraînant. Je vais te montrer un autre endroit plus calme. Peut-être t'y sentiras-tu mieux."
Elle l'entraîna dans un autre endroit, guère éloigné. C'était de là que provenait la musique. Il y avait une vingtaine de musiciens qui jouaient avec des instruments semblables à ceux que Romik avait vus à Ponjafen Deskutog. Mais si là bas ils n'avaient été qu'une demi-douzaine, ici, le nombre bien plus important d'instrumentistes rendait la musique encore plus entraînante. La plupart des elfes qui étaient là dansaient, d'une manière similaire à celle durant la cérémonie de départ et une fois de plus, Romik en fut un peu choqué car il n'avait pas l'habitude de voir ces personnes d'ordinaire fort réservées plongées dans cette attitude qui lui semblait quelque peu frivole. Il y avait aussi d'autres elfes un peu à l'écart des autres qui conversaient ou bien qui écoutaient la musique.
"Tu viens danser?" lui demanda Aïnedegathel.
Sur le coup, Romik eut envie de décliner l'invitation; mais la musique était si belle et si entraînante qu'il se résolut à accepter. Il prit la main de l'elfe et se fondit parmi les autres danseurs. Ne sachant plus trop comment s'y prendre, il regarda autour de lui et imita les autres. De sa main, il fit tourner sa cavalière sur elle-même, puis il la réceptionna de son autre main et la fit encore tourner tout en se mouvant aux rythmes de la musique. Il continua de la sorte, variant les passes en imitant les autres ou en suivant les indications d'Aïnedegathel.
Il s'en sortait bien, mieux que lorsqu'il avait dansé avec Gwantholin. La dernière fois, il avait eu un blocage au début et il lui avait fallu quelques temps avant de réussir à danser correctement et sans se sentir pitoyable. Cette fois-ci, il était parvenu à danser aux rythmes de la musique sans difficultés et il y prenait plaisir.
Après de longues minutes, la musique cessa et chaque danseur changea de cavalière. Romik continua à danser. Et après un temps qui lui parut très long, il s'arrêta, fatigué et en sueur. Il se dirigea à l'écart du groupe de danseurs et prit le premier gobelet qu'on lui tendit. Il était assoiffé et il vida son contenu d'un trait, sans chercher à connaître sa nature. C'était de l'alcool mais heureusement pour lui, il était léger et désaltérant. Après cela, il entreprit de chercher Aïnedegathel. Il eut beaucoup de mal à la trouver: elle se trouvait là où il n'avait pas pensé à la chercher au début, parmi les musiciens. Elle accompagnait les autres musiciens en jouant de la mandoline. Elle jouait merveilleusement bien et les sonorités de son instrument se mêlaient idéalement à celles de la musique.
Romik fut très impressionné et il resta aux côtés d'Aïnedegathel, à l'écouter jouer. Lorsqu'elle s'arrêta enfin, il l'entraîna un peu à l'écart des autres musiciens pour qu'ils puissent se parler sans trop être dérangés par le bruit.
"Tu joues vraiment bien, commenta Romik. Je ne savais pas que tu avais tant de talent. Tu n'y avais jamais fait allusion."
"Et moi, je ne te savais pas si sensible à cela. Aimes-tu la musique, Romik?"
"Eh bien auparavant, je n'avais jamais eu beaucoup d'occasions d'en écouter. Mais la musique elfe est vraiment belle. Elle est riche, si envoûtante… Par contre, elle m'a l'air aussi très complexe, et difficile à jouer. Tu as eu du mal pour apprendre à te servir de la mandoline ?"
"Il faut que tu saches que les elfes naissent presque avec un instrument de musique dans les mains. Notre culture est très portée sur cet art: que ce soit nous qui chantions, le chant des oiseaux ou la musique instrumentale. Dès notre enfance, on nous y initie alors nous n'avons pas beaucoup de difficultés en ce qui concerne ce domaine."
"C'est bien; dommage que ce ne soit pas pareil chez nous" fit Romik, pensif.
Il bailla. "Je suis épuisé, annonça-t-il. Je crois que je n'ai pas encore tout à fait récupéré la fatigue accumulée lors de ce voyage."
"Bonne nuit."
"Oui, bonne nuit."
Romik repartit vers la hutte où il était allé en début d'après-midi et il s'effondra sur sa natte.

Lorsqu'il se réveilla, il entendit le pépiement d'oiseaux et il resta allongé, les yeux grands ouverts, regardant le plafond de la hutte pendant plusieurs minutes. Ensuite, il s'assit sur sa couche et regarda autour de lui. Il semblait qu'il n'avait pas été le seul à dormir en ce lieu mais ses compagnons de chambre s'étaient montrés plus matinaux que lui. Il se leva et sortit.
Il estima que le soleil devait s'être levé depuis trois heures environ. Il n'avait aucune idée de ce qu'il pourrait faire et il commençait à avoir faim. Alors il parcourut Torkanjen Dilurgansan en quête de nourriture. Il ne rencontra presque personne sur sa route et il revint là où il avait passé la soirée la veille. Ce qu'il avait espéré trouver était là: de quoi manger. Il y avait suffisamment de restes entreposés sur les buffets pour nourrir plusieurs Romik. Il se servit de quoi faire un bon petit déjeuner et partit manger un peu plus loin.
Une fois repu, il décida de retourner à la clairière aux chevaux, espérant y retrouver Gwantholin. Il descendit de la même façon que la veille, par les échelles et marcha quelques minutes avant d'atteindre la clairière. Du sommet de la butte, il aperçut beaucoup de chevaux, mais aucun elfe. Il passa quelques temps avec ses chevaux puis il marcha dans le sous-bois.
Rapidement, il entendit chanter. C'était une voix féminine qui psalmodiait avec beaucoup d'émotion. S'attendant à trouver celle qu'il espérait, Romik évolua silencieusement vers la direction d'où provenait la voix. Se rapprochant, il finit par distinguer une silhouette solitaire adossée à un arbre. C'était Gwantholin. Il s'efforça de se diriger vers elle le plus précautionneusement possible, en marchant lentement et en espérant que le chant de l'elfe couvrirait le bruit de ses pas. Puis il s'adossa lui aussi à l'arbre, mais du côté opposé.
Il attendit, assez longuement, jusqu'à ce que le chant cesse puis il dit: "Tu as une belle voix, Gwantholin; ça rend ton chant d'autant plus admirable." Il se leva et contourna l'arbre.
"Je suis contente de te revoir Romik" lui déclara-t-elle en guise de réponse.
Romik sourit. "J'ai réussi?" s'enquit-il.
"Quoi donc?"
"A te surprendre."
L'elfe hocha de la tête et Romik éclata de rire. "Oui, j'ai réussi à te surprendre!" jubila-t-il. "Mais tu aurais pu te montrer un peu plus surprise que ça, ça m'aurait fait encore plus plaisir" ajouta-t-il.
"Oh, si ce n'est que cela alors nous n'avons qu'à recommencer: je me boucherai les oreilles et tu viendras encore une fois par surprise derrière mon dos" dit-elle en riant.
"Bon, mais j'ai quand même réussi à me déplacer aussi silencieusement qu'un elfe, j'y suis arrivé!"
Romik redevint sérieux. "Bon, assez plaisanté. Maintenant que nous avons toute une journée devant nous, tu vas pouvoir m'enseigner l'utilisation de cette fameuse dague."
"Je constate que tu y tiens beaucoup. Es-tu si pressé que tu le laisses entendre ou pouvons-nous nous promener un peu?"
"D'accord, je te suis."

Ils marchèrent jusqu'à la clairière car Romik avait envie de réessayer la monte à crû. Dès que Romik s'assit sur sa monture, il commença à ressentir les courbatures de la veille mais il pût quand même continuer. Ils galopèrent pendant longtemps jusqu'à être fort éloignés de Torkanjen Dilurgansan. Cette fois-ci, Romik appréhenda plus aisément cette manière inhabituelle de monter. Ce n'était plus maintenant qu'une question d'entraînement pour qu'il sache monter avec autant de facilité qu'un elfe.
Lorsque les chevaux commencèrent à donner signe de fatigue, ils se mirent au pas et s'arrêtèrent dans un lieu paisible où les arbres étaient suffisamment espacés pour laisser passer beaucoup de lumière. Ils conversèrent longuement, d'une conversation fluide et agréable portant sur des sujets variés. Lorsque Romik commença à avoir faim, ils partirent en quête de nourriture. Ils trouvèrent suffisamment de fruits sauvages pour satisfaire l'appétit du jeune homme et après cela, Gwantholin décida enfin d'apprendre à son ami l'usage de la Dague de Précision.
Gwantholin s'était assise en lotus sur un tapis de mousse, les mains reposant sur ses cuisses, les yeux fermés. Elle avait une respiration lente et silencieuse et elle semblait calme et reposée. Romik tenta de l'imiter mais il ne put tenir dans la posture du lotus bien longtemps car ses chevilles commencèrent à lui faire horriblement mal. Il opta alors pour s'asseoir en tailleur, le dos reposant contre un arbre. Tout comme l'elfe, il ferma les yeux et essaya de se détendre.
"Gwantholin! appela Romik après un temps. Pourquoi doit-on faire ça? Je croyais que tu allais m'apprendre la magie…"
Elle se tourna vers lui. "Si tu veux pouvoir utiliser la magie elfique, tu dois d'abord te mettre dans le même état d'esprit que celui de tous les lanceurs de sorts, c'est à dire que tu dois te sentir bien; tu dois être en accord avec ton esprit. De plus, tu dois apprendre la patience. Même si l'espérance de vie d'un mortel est largement inférieure à celle d'un elfe, tu as du temps devant toi. C'est pour cela que je t'enseigne cet exercice de relaxation. Nous allons le reprendre. Ferme les yeux -c'est important- et essaye de ne pas te concentrer."
"Ne pas me concentrer? Tu veux dire que je dois essayer de faire le vide dans mon esprit, je dois m'efforcer de ne penser à rien? Quand j'étais petit, ma mère me disait cela quand je n'arrivais pas à dormir…"
"C'est un peu cela, mais tu ne dois pas nécessairement ne penser à rien. Laisse tout simplement ton esprit à la dérive. N'agis pas mais ressens; et laisse ton esprit être parcouru par des pensées calmes et apaisantes."
"Bon, je vais essayer" fit Romik, sceptique.
Il mit en œuvre les conseils de Gwantholin et se détendit. Il aurait toutefois préféré faire cela allongé: il était sûr qu'il se sentirait mieux.
Après un certain moment, Gwantholin le " réveilla ". Il était détendu mais il se demandait toutefois s'il ne venait pas de s'être endormi juste avant que Gwantholin ne l'appelle. En effet, il avait l'impression de partager un état de béatitude et il aurait aimé pouvoir y replonger. C'était un peu comme si on l'avait tiré du sommeil et qu'il souhaitait se rendormir.
"Te sens-tu bien maintenant?"
"Oui, je suis reposé et calme."
"Alors nous allons pouvoir commencer." Elle se leva et l'incita à faire de même. "Passe-moi ta dague, je te prie." Il la lui tendit et elle la saisit. Elle se concentra et Romik ressentit les mêmes effets que ceux de la dernière fois: l'étrange picotement familier, le curieux bourdonnement et le halo luminescent enveloppant la dague.
"J'ai maintenant activé la magie de la dague, commenta-t-elle. Maintenant, je peux utiliser ses pouvoirs. Regarde." Elle ouvrit sa main et la mit à plat; la dague reposait sur sa paume. Elle fixa intensément l'objet qui se mit à léviter au-dessus de ses doigts fins, à une hauteur équivalente à une largeur de main. Puis l'arme redescendit et se reposa sur la paume de Gwantholin. Elle ramena sa main en arrière, vers sa tête et curieusement, l'objet était fixé à sa paume, comme si on l'avait collé. L'elfe prit une inspiration et projeta brusquement sa main en avant. La Dague de Précision décolla, elle était lancée. Elle évoluait moins vite qu'un objet qu'on lance et semblait presque planer en accomplissant sa trajectoire.
Gwantholin avait projeté l'arme vers un tronc d'arbre. Un peu avant que la dague n'atteigne l'arbre, l'elfe tendit la main, comme si elle attendait qu'on y dépose quelque chose. La dague stoppa sa course, resta immobile, à plusieurs pieds du sol puis inversa sa trajectoire. Elle revenait vers Gwantholin d'abord lentement puis de plus en plus rapidement jusqu'à ce que l'elfe l'attrape en plein vol.
"Cette petite démonstration te convient-elle?" s'enquit Gwantholin tout en tendant à son ami la dague.
"C'est tout simplement stupéfiant !" Romik était époustouflé. "Et je peux, moi aussi, faire la même chose?"
"J'en suis persuadée; je pense que tu pourras aussi faire exécuter à la Dague de Précision d'autres secrets." Elle lui tendit la Dague de Précision. "Vas-y."
Romik s'exécuta. "Et qu'est-ce que je dois faire, maintenant?"
"D'abord, il faudrait que je t'explique brièvement le principe de fonctionnement de la Dague de Précision. Vois-tu, lorsqu'on lance un sort, on fait appel au mana. Grossièrement, on pourrait dire que c'est une énergie magique qui nous entoure. Elle est présente partout, bien qu'il existe des lieux ou sa concentration est très élevée. On appelle cela des nœuds de mana. Le mana est l'apport d'énergie nécessaire à la création d'un sort. Plus la quantité de mana invoquée est importante, plus l'apport d'énergie à ton sort sera important. Donc le sort sera davantage puissant."
"Mais je me souviens qu'Aïnedegathel m'avait dit que cela pouvait être dangereux" rétorqua Romik.
"C'est vrai, mais utiliser la Dague de Précision est différent de lancer un sort car cette dague est un objet magique. Lors de sa création, le forgeron a gravé les runes que tu peux voir sur cette dague. Ce sont des runes magiques, dans lesquelles on a investi du mana par un procédé très complexe qui dépasse mon entendement. De cela, il en résulte que la Dague de Précision est un objet magique et on fait appel à ses capacités pour l'utiliser. Je sais que les sorciers d'un certain niveau peuvent eux aussi accomplir ce que je t'ai montré mais avec une dague ordinaire. Cela est possible en lançant un sort de télékinésie avancée mais c'est bien plus difficile, inaccessible à beaucoup de personnes tandis que ta dague est utilisable pas presque tout le monde."
"Donc si j'ai bien compris, pour réussir à faire ce que tu as accompli, il faut que j'active la magie de la dague?"
"C'est exactement cela. Pour procéder, il va falloir que tu sentes la dague. Ferme les yeux et sens son énergie."
Romik essaya. Au bout d'une minute, rien n'était arrivé.
"Ça ne marche pas!" se lamenta-t-il.
"Rappelle-toi l'exercice de méditation que je t'ai fait faire. Essaye de te replonger dans ce calme intérieur."
Il itéra sa tentative en essayant de se replonger dans la même attitude que pendant l'exercice de méditation. Il s'efforçait de ressentir la puissance de la dague, tout en restant serein. Il savait que s'il avait peur d'échouer, il ne réussirait jamais.
C'est peut être grâce à cette confiance en lui qu'il y parvint. Au bout de quelques minutes, il put réellement ressentir les effets de la Dague de Précision. C'était comme s'il était parvenu à ouvrir une serrure. Il ne manquait plus qu'il exerce sa volonté sur l'arme pour qu'elle lui obéisse.
Il réouvrit les yeux. Gwantholin le regardait et elle lui souriait. "Tu y arrives" lui dit-elle. Romik fixa intensément la lame et il sentit qu'elle vibrait entre ses doigts. Puis le bourdonnement caractéristique et le halo bleuté apparurent.
"Ça y est, j'ai réussi" dit calmement Romik.
"Oui, tu y es parvenu. Tu as réussi à activer le pouvoir de la Dague de Précision. Félicitations." Après un silence, elle ajouta: "Je crois que tu devrais arrêter, maintenant. C'est bien assez pour aujourd'hui."

CHAPITRE 14

Plusieurs jours s'étaient écoulés et on était maintenant au lendemain de la pleine lune. Si tout s'était déroulé comme l'avait envisagé Todjekelimf, ils avaient déjà essayé de dissiper le sort rendant les runes du parchemin de Gwantholin illisibles. Romik espérait que c'était pour cela que Venjhitia était venue lui dire qu'il devrait se rendre à la hutte de Todjekelimf deux heures environ avant le coucher du soleil.
Depuis le jour où il avait réussi à activer la magie de la Dague de Précision -c'est à dire trois jours auparavant- Romik avait passé beaucoup de temps, seul, à réitérer cette performance et il y était parvenu. Ces fois-ci, il avait eu beaucoup moins de difficultés et il arrivait dorénavant à activer la dague beaucoup plus rapidement. Mais suivant les conseils de Gwantholin, il n'avait pas essayé d'aller plus loin, de lancer la dague et de la faire revenir comme elle le lui avait montré. En effet, elle lui avait dit qu'elle ne pensait pas qu'il serait près pour cela ; il lui vaudrait mieux attendre. L'humain n'avait pas protesté, car souhaitant adopter le mode de pensée elfique -ou du moins s'y intéressant- il savait qu'il devait apprendre la patience.
Enfin, il arriva au point de rendez-vous. L'entrée de la demeure de Todjekelimf consistait en de lourdes tentures qui arrêtaient les regards, mais non les sons. Romik y " toqua ", attendit un temps suffisamment convenable -sans qu'on lui réponde- et souleva les tentures pour entrer. Tous les elfes avec qui Romik avait voyagé étaient présents. Il y avait aussi une demi-douzaine d'autres personnes. Toutes étaient assises sur des coussins posés à même sur le sol.
"Vous êtes la dernière personne attendue à être arrivée, déclara Todjekelimf. Nous allons pouvoir commencer." Il attendit que Romik prenne place, puis il continua : "Vous devez tous vous douter que je vous ai convié en raison de ceci" poursuivit-il en brandissant le parchemin que lui avait donné Gwantholin.
Romik se cala sur ses coussins. Enfin il allait savoir ce que contenait ce parchemin!

Todjekelimf attendit quelques instants puis continua : "Nous avons attendu la pleine lune pour commencer nos rituels. Nous avons agi en groupe ; ce sont ceux qui m'ont apporté leur aide, annonça-t-il en désignant d'un geste ample du bras la demi-douzaine d'elfes qui étaient étrangers à lui. Nous nous sommes préparés durant de longues heures et avons fait appel à la communion pour que notre travail d'équipe soit optimal. Je tiens à vous dire que nous étions dans les meilleures conditions possibles lorsque nous avons essayé de désactiver la magie de ce parchemin.
"Hélas, quels qu'aient été nos efforts, nous avons échoué. Nous sommes dans l'incapacité de briser ce sceau magique. La personne qui l'a crée a fait appel à une magie fort puissante qui m'est étrangère. Je suis navré, notre aide vous a été inutile ; il vous faudra faire appel à quelqu'un de plus versé dans ces arcanes que nous."
Gwantholin prit la parole : "Alors qu'allons nous faire ? Il faut que ce que contient ce parchemin soit très important pour qu'il soit ainsi protégé. Je crois que nous ne pouvons nullement nous permettre de ne pas le lire."
"C'est aussi ce que je conçois" déclara Venjhitia. "Nous ne pouvons pas prendre le risque de négliger ce que contient ce document. Il nous faut essayer par tous les moyens de désactiver ce sort."
"Bien, si vous pensez que ceci est nécessaire je peux alors vous suggérer de vous rendre à Arnœd Keïtzan. Je suis persuadé que le Clairvoyant pourra résoudre votre problème."
"Arnœd Keïtzan ! s'exclama Aïnedegathel. Mais cela va nous prendre des semaines!"
Todjekelimf acquiesça. "Cela est vrai ; aussi, je poursuis mon offre d'hospitalité. Ceux d'entre vous qui souhaitez rester à Torkanjen Dilurgansan le pourront. Ils seront toujours considérés comme des nôtres."
"Je vous en suis fort reconnaissante" répondit Venjhitia.
"Puisque le voyage jusqu'à Arnœd Keïtzan va prendre de nombreux jours, je ne crois pas que vous serez gênés d'en passer un de plus ici. Les miens se chargeront des préparatifs ; ainsi, vous pourrez partir après demain, à l'aurore. Je crois que nous pouvons considérer que cette réunion est achevée, il n'y a plus rien à traiter."
Sur ces paroles, les elfes disposèrent.

"Aïnedegathel, attends ! cria Romik en la rejoignant."
"Qu'y a-t-il?"
Romik attendit, le temps qu'il reprenne son souffle puis: "C'est que je n'ai pas entièrement compris de quoi vous parliez. Quel est le lieu dont vous avez parlé? Et qui est ce Clairvoyant?"
"Il s'agit d'Arnœd Keïtzan. C'est une cité elfe très importante, loin d'ici, vers l'orient. Il nous faudra au moins trois semaines pour nous y rendre. Et pour ta question, le Clairvoyant est un elfe. Il est d'une grande sagesse et il bénéficie de pouvoirs importants."
"Au moins trois semaines? C'est donc plus loin que les montagnes Tarkzijir?"
"Peut être as-tu entendu parler de la forêt Balegathol. C'est une immense étendue d'arbres. Rarement ses sentiers ont été arpentés par des humains. C'est là bas qu'est située Arnœd Keïtzan. C'est en quelque sorte la capitale des elfes, et le plus beau lieu qui existe en ce monde."
"J'ai hâte d'y être. Euh… j'espère que je peux continuer à vous accompagner?"
"Ne t'en fais pas, j'intercéderai en ta faveur."
Romik lui sourit. "Merci. Tu es une vraie amie et je suis content de pouvoir compter sur toi."

Il passa la fin de cette journée et la journée suivante à Torkanjen Dilurgansan. Sachant que la durée de son séjour était limitée, il avait essayé de voir le plus de choses et il était partit à la découverte de la cité. Il arrivait plus facilement à se repérer, il connaissait l'architecture générale des logements et il avait pu observer l'art elfique, que se soient la musique, le tissage ou la gravure sur bois. Il avait d'ailleurs passé de nombreuses heures à perfectionner son travail du bois avec un elfe artisan très amical, du nom d'Hestœvalen. En effet, en tant qu'apprenti maître artisan, il lui était arrivé plusieurs fois d'effectuer des travaux d'ébénisterie à Stanok et c'est peut être pour cela qu'il progressa avec autant de facilité auprès de l'ébéniste.
C'était maintenant le matin, jour du départ. Romik et les autres étaient rassemblés au sol, en dessous de Torkanjen Dilurgansan. Leurs chevaux étaient prêts, et leurs effets personnels avaient été chargés sur les deux chevaux de trait de Romik qui avaient trouvé leur utilité. Il y avait cette fois ci beaucoup moins de monde pour le voyage, et de la petite vingtaine d'elfes ne restaient plus que neuf personnes : Gwantholin, Aïnedegathel, Avemenkel et Sergojvalitur, toujours accompagné de Ruvmirtik. Firdofeïm et Eanepalith étaient aussi du voyage. Il y avait aussi trois autres elfes que Romik connaissait vaguement : Ilpalfejid, Dakgonthë et Veffimtador.
Venjhitia s'avança vers le groupe. "Je vous souhaite un bon voyage, annonça-t-elle. Puissiez-vous arriver à destination promptement, et sans encombres. Je ne vous accompagne pas mais vous pourrez toujours bénéficier de la sagesse d'Eanepalith."
"Si vous le permettez, dit Todjekelimf, j'aimerai vous confier deux personnes qui n'ont pas encore fait leur preuve mais qui pourraient vous apporter leur aide. Voici Tolgââjaz" dit-il en désignant un grand elfe aux épaules carrées, portant à la ceinture un fourreau devant contenir une épée large. Un grand bouclier ovale était passé dans son dos. "Sa lame pourrait vous être utile en cas de danger" ajouta-t-il.
Il présenta la deuxième personne, une elfe aux longs cheveux châtains clairs. "Les talents cléricaux de Targetelan pourraient aussi vous être profitables" se contenta-t-il de dire en passant une main sur l'épaule de la personne en question.
Romik dévisagea ses deux nouveaux compagnons de route. A priori, ils semblaient jeunes, peut être de l'âge de Gwantholin ou moins que cela. Bien que les elfes bénéficient de la jeunesse éternelle, Romik avait appris plus ou moins à distinguer leur âge. Il y parvenait en notant de subtils détails : le port de la personne, l'intensité de son regard… Cela se faisait plutôt de façon instinctive et Romik aurait été incapable d'enseigner à un autre humain comment déterminer l'âge d'un elfe. Il le faisait tout naturellement, sans réellement se donner d'explication sur cela. Bien sûr, il n'était pas toujours sûr de ses estimations…
Donc Tolgââjaz et Targetelan semblaient assez jeunes. Peut-être étaient-ils toujours restés à Torkanjen Dilurgansan et le voyage jusqu'à Arnœd Keïtzan constituerait alors leur première " vraie " sortie.

Avant que les compagnons ne se mettent en route, Venjhitia vint vers Romik. "Pourrions-nous nous entretenir quelques instants, je vous prie ? lui demanda-t-elle. J'aimerais vous faire quelques recommandations."
Ils s'écartèrent du groupe et marchèrent. Ce fut Romik qui prit la parole : "Pourquoi vous ne nous accompagnez pas ? Je pensais que vous vous sentiez aussi concernée par le problème du parchemin de Gwantholin."
"Assurément, je suis concernée par ce parchemin. Seulement, je ne pense pas qu'il soit nécessaire que je vienne avec vous. Je me sens fatiguée et j'aimerais prendre du repos. J'estime qu'il n'est pas nécessaire que je me rende à Arnœd Keïtzan."
"Mmh, je comprends. Vous vous estimez en quelques sorte trop âgée pour ce voyage…"
"Oui, je n'ai pas cœur à cela." Après un silence : "Bien, venons en aux faits. Le voyage que vous allez entreprendre pourra faire montre de danger. En effet, je crois personnellement que la menace que représentent les orcs qui vous avaient attaqués est toujours existante. Certes, ils n'ont pas donné signe de vie depuis quelques jours, ce qui est une bonne nouvelle, mais je ne crois pas qu'ils aient abandonné leur idée fixe."
"D'accord ; je serai toujours prêt à cette éventualité et mon marteau de guerre sera constamment à portée de main. Vous pouvez compter sur moi."
"Il faut aussi que je vous dise que vous allez passer quelques lunes en compagnie d'elfes. Pour l'instant, vous ne semblez pas avoir eu d'incident mais une fois que vous aurez quitté Torkanjen Dilurgansan, vous ne pourrez plus revenir à Stanok avant quelques temps. Alors tâchez de bien vous entendre avec tous les elfes que vous rencontrerez, je vous prie. Il peut malheureusement vous être très aisé d'être mal vu par certains des miens. Alors, je le répète, faites attention à vos actes, en compagnie de Gwantholin…"
Romik ne répondit rien. Il avait saisi le sous-entendu et il ne préféra pas qu'on aborde ce sujet.
"J'ai confiance en vous, Romik, ajouta-t-elle. Je sens que vous êtes quelqu'un de bien. Il est éventuel que vous apportiez un soutien inespéré à notre peuple."
"Je… vous remercie. Au revoir ; j'espère fortement que je pourrai avoir le plaisir de vous revoir."
Venjhitia s'avança vers le jeune humain et elle déposa un baiser sur sa joue. "Moi de même, dit-elle. Puisse la Clairvoyance guider chacun de vos pas, Romik fils de Famik, de Stanok."
"Au revoir, répéta-t-il." Il laissa Venjhitia seule et revint vers les autres, sans se retourner à un seul moment.

"Je n'ai pas fait mettre de selle sur ta jument, annonça Gwantholin à Romik. Veux-tu que je m'en charge?"
"Non, répondit-il. Ce n'est pas la peine" ajouta-t-il en se juchant lestement sur le dos de sa monture.
Et les douze voyageurs partirent.

Le soleil avait atteint le zénith et ils étaient toujours au pas, dans la Forêt Sombre. Comme d'habitude, les elfes voyageaient silencieusement, de façon presque austère et Romik commençait à s'ennuyer. Il décida de nouer conversation avec Targetelan pour tuer le temps. Il vint vers elle et lui proposa de s'entretenir avec lui.
"Je n'y vois pas d'inconvénient" répondit-elle.
"Lorsque Todjekelimf vous a présentée, il a fait allusion à des talents cléricaux, je crois. Est-ce que cela veut dire que vous êtes femme de religion?" fit Romik, perplexe.
"Effectivement, je suis ce que vous appelleriez une prêtresse, bien que je n'ai fait le Serment que récemment." A la mine étonnée de Romik, elle ajouta : "Vous semblez surpris…"
"C'est que chez nous, enfin je veux dire chez les humains, il n'y a que les hommes qui peuvent être prêtres. De plus, je discerne mal ce que vous voulez dire par " serment "."
"Je vois que vous êtes néophyte dans le domaine de la religion elfique. Je vais donc m'efforcer de vous en apprendre plus."
Targetelan resta coite pendant quelques instants, puis elle se mit à parler : "Comme presque toutes les races pensantes, nous croyons en l'existence d'une entité supérieure qui nous a créés et qui continue, parfois, à veiller sur nous. Nous la nommons Ajelebathan, vous la nommez Dieu, mais j'estime que c'est un seul et même être. On dit que c'est Ajelebathan qui façonna le monde lors du Commencement. Il fit apparaître la Lumière, les Eaux, la Terre, la Flore et la Faune. On dit qu'Il se réserva le jour et déclara qu'il serait le témoignage de Son existence. Il réserva la Nuit aux anges, les premiers de Ses enfants. Les anges créèrent alors les Etoiles et la Lune car la Nuit, seule, leur paraissait bien trop morne.
"Voici comment fut créé le monde. Nos légendes disent qu'ensuite Dieu trouva qu'il y avait bien trop de désordre ; mais Il s'était interdit d'y intervenir, car Il estimait ne plus avoir à agir directement sur Sa création. Il créa alors les elfes, qui furent chargés d'entretenir le monde et d'y apporter joie, abondance et prospérité. Ajelebathan était heureux, et Il était particulièrement fier de Ses créations. On dit qu'un de ses anges, nommé Moreldeïn fut tellement subjugué par la beauté des elfes qu'il décida d'imiter le Créateur et il s'isola à l'écart des autres anges, pendant des siècles, à parachever un projet. Et c'est ainsi qu'apparurent les nains. Mais Moreldeïn en fut déçu car les nains sont d'un aspect disgracieux, et on dit que c'est pour cela qu'ils vivent sous terre, dans les cavernes qu'ils ont creusées. Mais Moreldeïn aimait quand même son peuple et bien que les nains soient disgracieux, ils bénéficient de plusieurs qualités. Ainsi, ils sont d'une constitution bien plus importante que celle des autres êtres : ils sont robustes, endurcis et ne craignent pas l'effort. D'ailleurs Ajelebathan ne réprimanda pas Moreldeïn pour sa création, car les nains apportaient aussi une part utile au monde : les elfes s'occupaient des forêts et des plaines, tandis que les nains avaient à charge toutes les étendues rocailleuses. Les elfes étaient spécialisés dans le domaine des arts et de la beauté tandis que les nains affectionnaient le travail de la pierre, la métallurgie et l'orfèvrerie. Et il n'y avait entre elfes et nains nul conflit car ils vivaient généralement éloignés les uns des autres.
"Mais malheureusement, une personne apporta le trouble à toutes ces créations. C'était l'ange Anoïzalkel, que vous nommez le Diable. Anoïzalkel était le plus beau et le plus puissant de tous les anges d'Ajelebathan. Malheureusement, il devint aussi rapidement le plus fier et le plus orgueilleux d'entre tous. Sa présomption atteignit son paroxysme lorsque, jaloux de toutes les oeuvres qu'Ajelebathan avait conçues, il décida de Le surpasser. Son but n'était plus d'imiter ce que faisait Ajelebathan ; il voulait à tout prix montrer aux autres anges qu'il pouvait faire mieux que Lui. Consumé par la convoitise et la jalousie, il créa la pire abomination qui soit : les orcs, ces êtres répugnants qu'on ne saurait laisser vivre. Malheureusement, Anoïzalkel était trop aveuglé pour se rendre compte des horreurs qu'il avait engendrées. Il présenta l'horrible fruit de ses travaux, les orcs, à Ajelebathan qui en fut dégoûté. Il somma sur l'instant Anoïzalkel de détruire les orcs, mais ce dernier, rongé par la perversion déclara qu'il était bien meilleur qu'Ajelebathan et qu'il lui revenait de droit celui de régner sur le Monde.
"Il s'ensuivit un long affrontement entre Ajelebathan et son premier ange, Anoïzalkel. Il est dit que c'est à partir de là que le monde connut la laideur, car il conserva de nombreuses séquelles de ce combat. Mais, finalement, Ajelebathan vainquit et Il renvoya Anoïzalkel dans un autre plan d'existence, l'Enfer. La paix fut rétablie, mais certaines traces de l'affrontement ne disparurent jamais et les orcs continuèrent d'exister. Anoïzalkel ne fut pas banni seul car il avait aussi rallié d'autres anges pervertis à sa cause. Et depuis ce moment là, d'autres monstres apparurent encore.
"Longtemps après, vinrent soudain les humains, et en quelques générations ils parvinrent à se rendre maîtres de toutes les contrées. Beaucoup de nos légendes divergent sur l'origine des humains. Certaines d'entre elles disent que, tout comme nous, ils furent crées par Ajelebathan qui fit apparaître les humains pour apporter un renouveau. D'autre disent que les humains vinrent seuls et qu'ils furent créés par le monde lui-même. Enfin, d'autres légendes disent que les humains furent créés par un ange, tout comme pour les nains, ce qui peut expliquer leur imperfection et leur potentialité à devenir mauvais."
Targetelan s'arrêta quelques temps, puis s'adressa à Romik. "J'apprécierais beaucoup que vous me parliez de votre religion. Je n'en ai rien appris par la bouche d'un humain."
"Eh bien le début de ce que vous avez dit est assez similaire à ce qu'on m'a enseigné, bien que je n'aie jamais entendu dire que les nains existaient à cause d'un ange. Par contre, à partir de l'apparition des humains, cela en effet devient assez différent. Notre religion dit que les premiers hommes furent bien crées par Dieu. Ils vivaient bien loin d'ici, dans un endroit où la terre était pauvre et le labeur difficile. On dit qu'alors Dieu apparut à un de ces humains. Ce prophète, guidé par le Tout Puissant, eut pour tâche d'emmener notre peuple jusqu'ici, et c'est ainsi que l'humain apparut sur ce continent. Nous vivions en paix, et dans la gratitude pour ce que Dieu avait fait pour nous. Pourtant, Dieu à l'époque apparaissait aux humains comme quelqu'un qui pouvait être terrible et on dit qu'il était sans pitié avec certains pécheurs.
"Puis il y a quelques temps, il y a un peu plus de mille deux cents périodes de cela, Dieu envoya Son fils parmi nous pour racheter nos fautes. Le Messie vint et répandit la Bonne Nouvelle. Je crois qu'il a changé beaucoup de choses et Dieu n'est plus considéré de la même façon depuis ce moment là : en choisissant d'incarner un homme, Il a fait un grand acte d'humilité. Mais la plus grande chose qu'il accomplit fut… de se laisser tuer. Je crois que c'est là qu'il prit le plus totalement possible condition humaine. Il mourut car des humains ne l'appréciaient pas du tout ; en effet le Rédempteur illuminait leur faiblesse et éclipsait leur pouvoir. Alors ils montèrent une foule de criminels et de repris de justice contre lui et, après un procès bâclé, ils l'exécutèrent. Je sais que le Sauveur avait le pouvoir de les en empêcher, mais il ne fit rien et les laissa le mettre à mort. C'est cela, le plus grand acte d'humilité qu'il ait jamais fait, selon moi.
"Mais deux jours plus tard, il était ressuscité, il avait triomphé de la mort et il était revenu pour nous dire de ne pas avoir peur car chacun d'entre nous peut accéder au Royaume Eternel."
"Ce que vous m'avez conté est fort intéressant, dit Targetelan. Nous ne considérons pourtant pas le Messie comme une incarnation d'Ajelebathan. Nous reconnaissons son indéniable puissance divine mais pour nous, il est plutôt… un prophète. Ceci, peut être parce que c'est vers vous qu'il est venu, et non chez les elfes."

CHAPITRE 15

Cinq jours étaient passés et ils avaient quitté la Forêt Sombre l'avant veille, en début de soirée. Leur voyage se déroulait maintenant dans une plaine, une grande étendue plate où l'on pouvait parfois voir quelques bois.
Et justement, ils étaient en train d'approcher d'un bois. Il était encore bien trop tôt pour établir un campement, mais à force de côtoyer les elfes, Romik savait qu'ils y auraient probablement passé la nuit s'ils étaient arrivés près de ce bois plus tard dans la journée.
Sergojvalitur chevauchait à côté du jeune humain. Un léger vent frais souffla quelques instants.
"Je crois que nous allons avoir droit à un orage impressionnant, d'ici quelques temps" annonça le ranger.
"Tu en es sûr ?" lui demanda Romik. Pour l'instant, le soleil rayonnait de tout son éclat dans un ciel bleu à perte de vue.
"Crois-moi, je suis ranger et à force de fréquenter et d'observer la Nature, je sais de quoi je parle. Les orages sont fréquents en cette saison par ici, et ils arrivent généralement sans prévenir."
Et effectivement, l'elfe eut raison. La température diminua légèrement, le vent d'abord léger souffla plus fort et de lourds nuages sombres ne tardèrent pas à apparaître. Rapidement, ils voilèrent le soleil et les premières gouttes tombèrent.
"Nous ferions bien d'aller nous abriter dans ce petit bois avant que l'averse ne vienne !" cria Eanepalith aux autres.
Et sur ce, chacun pressa sa monture en direction du petit bois. La luminosité était vraiment faible, et on vit au loin un éclair. Puis, quelques instants plus tard, se fit entendre le tonnerre, lourd et inquiétant. Romik fit avancer sa monture encore plus rapidement. A cinq cent pas du bois, l'obscurité se faisait plus importante et c'était inquiétant, car cela paraissait surnaturel. Et le pire se fit alors voir : durant un bref instant, lorsqu'un éclair surgit du ciel pour illuminer les lieux, Romik revit l'horreur absolue : une foule d'orcs, peut être trente, peut être cinquante, peut être plus, les attendaient. Ils étaient dissimulés parmi les arbres, à quelques mètres de la lisière du bois ; leurs armes étaient sorties, et un rictus torve déformait en une parodie de sourire chacun de leur hideux visage. Effrayée, la jument de Romik se cabra, et il eut du mal à ne pas tomber, puisqu'il n'avait ni selle, ni étriers, ni bride. Il apaisa sa compagne et la força à aller au galop.
"Suivez-moi ! hurla Sergojvalitur. Allons ailleurs, ici nous ne sommes pas à notre avantage !"
Et tous suivirent le ranger. Les chevaux galopaient aussi vite que leurs muscles pouvaient le permettre, et Romik pouvait sentir le vent et la pluie fouetter son visage. Il détourna la tête, et constata avec soulagement que ses deux bêtes de somme le suivaient.
Les orcs sortirent de leur cachette et ils poursuivirent les elfes et l'humain. Les monstres se faisaient distancer, mais ils n'abandonnaient pas leur poursuite et continuaient leur course effrénée, là où des humains auraient été forcés de s'arrêter, faute de souffle. Ils continuèrent à galoper pendant un instant qui sembla interminable à Romik, puis Sergojvalitur les fit s'arrêter au sommet d'une butte.
"Ici, nous aurons un léger avantage, dit-il. Que ceux qui ont des affaires à prendre le fassent, puis relâchez les chevaux : ce n'est pas leur combat !"
Romik se précipita sur un de ses chevaux de trait et en extirpa son équipement de protection. Il revint parmi les autres. Sergojvalitur, Firdofeïm et Dakgonthë avaient sortis leurs arcs et chacun avait une flèche encochée. Les autres elfes aussi s'étaient préparés. Gwantholin avait son étrange bâton et son kriss ; elle était assise en tailleur sur l'herbe mouillée, les yeux fermés. Elle devait être en train de se préparer mentalement au combat. Tolgââjaz attira aussi son attention. Il portait une étrange armure faite de petites plaques pourpres. Il avait dégainé son épée longue et portait un étrange bouclier de poing. Mais le plus surprenant était son heaume : un énorme casque multicolore qui couvrait entièrement sa tête. Il avait la forme d'une tête de dragon et la gueule béante au niveau des yeux de Tolgââjaz lui permettait de voir. Les autres elfes s'étaient aussi préparés. Quelques-uns portaient une armure de cuir, mais la plupart d'entre eux n'avait aucune armure. Ils étaient pour la majorité assis, visiblement en train d'essayer de se reposer. Romik endossa sa longue cotte de mailles, mit son casque, laça son épaulière, noua son écu à son bras gauche et décrocha son marteau de guerre de sa ceinture. Comme pour le dernier combat, il se remémora tout ce que son père lui avait apprit sur l'usage du marteau de guerre.
Et enfin, les orcs vinrent. Ils semblaient être brusquement apparus et encore, on les distinguait mal en raison de la pénombre et de la pluie. Les archers tirèrent immédiatement leurs flèches et recommencèrent immédiatement. Ils semaient la mort parmi les rangs orcs qui, pourtant, n'en étaient nullement apeurés. Ils continuaient leur course effrénée avec une haine visible. Les elfes n'eurent pas le temps de vider leur carquois que les orcs étaient déjà à moins d'un jet de pierre. Ils s'élancèrent alors sur leurs ennemis, Tolgââjaz et Romik en premier, suivis des autres. Tous deux hurlèrent, à la fois pour se donner courage et pour impressionner les orcs.
Le combat commença. Il devait bien y avoir une bonne trentaine d'orcs, mais pourtant, le combat n'était pas trop déséquilibré car les créatures du mal étaient terriblement mal organisées. Romik fut reconnaissant envers son équipement de protection qui lui permit d'amortir beaucoup de coups. Au bout de quelques minutes, il ne restait plus qu'une douzaine d'orcs, et il n'y avait pas d'elfe avec des blessures graves. L'issue du combat semblait proche, et tout ce que Romik espérait était la victoire, sans qu'aucun elfe ne soit occis, en particulier Gwantholin.
Romik donnait la mort sans pitié, écrasant crânes et poitrines de violents coups de marteau, parant les coups en les esquivant ou en bloquant les armes ennemies de son bouclier. Plusieurs fois, des lames entaillèrent sa cotte de maille et les habits de Romik commençaient à être tâchés de sang : de celui des orcs et du sien ; mais le jeune humain ignorait ses multiples douleurs et il continuait à se battre, pour survivre.
Et, enfin, tous les orcs furent à terre. Romik commença à exploser de joie, mais il s'arrêta lorsqu'il vit Aïnedegathel étendue sur le sol. Il courut vers elle, et constata avec soulagement qu'elle n'était pas morte. Elle s'était prise un méchant coup mais elle survivrait. Quelques elfes aussi étaient blessés, mais c'était surtout des blessures mineures.
Toutefois, le combat n'était pas fini. La pénombre s'accrut encore et Romik put entendre un rire guttural démoniaque. Une douzaine d'orcs déboula. Ils étaient restés en arrière et Romik pria le Ciel pour que se soient les derniers car il n'en pouvait plus. Ces orcs semblaient différents de ceux qu'il avait combattus. Leur peau était bien plus brunâtre, et leur équipement était de bien meilleure qualité. Ils portaient tous des armes tranchantes aiguisées avec soin. Romik crut discerner en arrière une autre créature. C'était une orcque et elle avait un aspect terrifiant. Elle portait, comme tous les autres, de hideuses guenilles puantes et ses mamelles pendaient lamentablement. Elle était coiffée d'un casque constitué de bouts d'ossements et elle portait un grossier bâton au bout duquel était accrochée une tête humaine en état de décomposition. La chamane orcque se mit à gesticuler et à brailler des paroles incompréhensibles, qui déchiraient les oreilles de Romik. Mais le jeune humain n'eut pas le temps de s'en préoccuper car la douzaine d'orcs était en train de charger.
Les elfes avaient le dessus sur le combat, qui était pourtant assez corsé pour qu'il y ait le risque que quelques personnes soient sérieusement blessées, voire pire. La chamane orcque continuait de brailler puis, brusquement, elle se mit à crier et à gesticuler encore plus fort. Romik ressentit alors un important frisson dans le dos qui le mit extrêmement mal à l'aise. Il avait le pressentiment que quelques chose d'horrible allait se passer. Et effectivement, il vit la pire horreur à laquelle il fut jamais confronté, et cette chose allait lui donner des cauchemars pendant plusieurs lunes.
L'orage persistait et la chamane orcque parut soudain… plus grande. Son bâton déformé semblait comme animé, c'était comme s'il s'était mis à vivre. Elle le dirigea vers le tas de cadavres de ses congénères et la foudre éclata à cet endroit.
Romik ne vit plus rien pendant quelques instants car l'éclair qui était apparu si près de lui l'avait ébloui. Le frisson qu'il avait ressenti s'était fait encore plus important, jusqu'à être douloureux. Plié en deux, l'humain vit les cadavres orcs léviter au-dessus du sol puis brusquement exploser en mille morceaux. La chair puante retomba sur le sol. Mais curieusement, le tas de chair continuait de s'animer, il semblait bouger. Puis il s'organisa en une forme humanoïde qui s'éleva. Ce monstre était gigantesque et devait faire au moins treize pieds de haut. Son corps affreux était composé de la chair des orcs morts. Les ossements, eux aussi, figuraient sur le corps en un semblant d'armure. Le monstre n'avait pas d'armes, mais ses énormes poings étaient incrustés des ossements acérés des orcs.
L'apparition était terrifiante. Terrifiante à un tel point qu'elle fit battre en déroute le restant de la troupe orcque. Romik, lui, se contenta de pousser un puissant hurlement d'effroi. Aïnedegathel, blessée et exténuée par l'affrontement, pleura de peur. Romik se retourna, et il vit que les autres elfes pleuraient, eux aussi. Ils pleuraient de dégoût face à cette abomination qui était une satire, une négation de la vie.
"Dieu ! mais qu'est ce que c'est que ça ?!" hurla Romik.
"C'est un golem de chair !" répondit Gwantholin. "Un monstre engendré par un puissant sort de nécromancie !"
Gwantholin se dirigea vers Targetelan et chacune d'entre elles brandit son bâton. Elles incantèrent, d'une manière qui rappelait à Romik le sort que Gwantholin avait lancé la première fois qu'ils s'étaient faits attaquer. Simultanément, les deux elfes étendirent la main vers l'avant. Mais rien ne se produisit. Gwantholin proféra des paroles qui semblaient être des jurons.
"Que se passe-t-il ?" demanda Romik, inquiet.
"Notre sort n'a pas fonctionné, répondit Targetelan. Je ne comprends pas, il aurait dû détruire ce golem."
"Alors qu'est-ce qui s'est passé?"
"J'ai bien peur que la sorcière orcque ait ajouté un sortilège d'anti-magie après la création de ce golem."
"De l'anti-magie?" fit Romik.
"Oui, et tant que nous sommes dans cette zone, nous ne pourrons plus canaliser de mana…"
"Alors il ne nous reste plus que la force" annonça Tolgââjaz. Il se tourna vers Romik et l'appela. L'humain acquiesça : ils s'étaient compris.
Ils chargèrent en hurlant sur le golem, brandissant épée longue et marteau de guerre. Ils furent rapidement imités par d'autres elfes, tandis que Sergojvalitur, Firdofeïm et Dakgonthë avaient repris leurs arcs. Romik et Tolgââjaz furent les premiers sur le golem. Le monstre n'était pas encore passé à l'attaque, il devait sûrement être encore affaibli. Malheureusement, ce n'était plus le cas à présent car il riposta dès que les premiers coups furent portés. Mais bientôt, il y eut plus d'une demi-douzaine d'elfes autour du monstre qui se fit assaillir de tous côtés. Romik fut heureux de posséder une arme contondante car son marteau de guerre faisait des ravages sur l'exosquelette du golem. Bientôt, il l'avait suffisamment endommagé pour que les autres elfes puissent entailler la chair. Les flèches des archers, qui avaient été arrêtées par l'armure d'ossements se plantèrent enfin dans la peau du monstre. Romik, par contre, se trouva alors désavantagé par son marteau de guerre qui rebondissait contre la chair molle à chaque coup porté.

Le combat se poursuivait, et les entailles se multipliaient sur le golem qui, pourtant, ne poussait que de faibles cris qui étaient d'ailleurs plus des cris de frustration que de douleur. Quelques elfes s'étaient fait blesser, et certains durent interrompre le combat et se retirer à l'écart. Romik se démenait comme un fou contre le golem de chair, mais chacun de ses coups lui semblait pourtant inutile. Le golem, quant à lui, frappait tout ce qui passait à sa portée, mais dès qu'il se retournait pour porter un coup, une attaque de l'autre côté le forçait à se retourner, aussi n'était-il pas trop dangereux en raison de la supériorité numérique adverse. Les flèches elfes atteignaient à chaque fois leur but et le golem de chair ne tarda pas à ressembler à un hérisson. Pourtant elles ne semblaient infliger que des dégâts mineurs mais Sergojvalitur, Firdofeïm et Dakgonthë continuaient à tirer sans relâche.

Tolgââjaz empoigna son épée longue à deux mains et assena un puissant coup sur le genou du golem. La lame s'enfonça jusqu'à sa moitié dans la chair du monstre qui poussa un long hurlement terrifiant. Cette fois-ci, il souffrait. Tolgââjaz fit tourner sa lame dans la plaie du golem, ce qui le fit souffrir et s'affaiblir davantage. Le golem gesticulait en tous sens pour que l'elfe arrête, mais ce dernier se cramponnait à son épée et continuait encore, sans répit, à blesser le monstre. Malheureusement, il était tellement préoccupé dans sa tâche qu'il ne vit pas venir un coup de bras si puissant qu'il fendit son casque ainsi que son crâne. Le vaillant guerrier s'effondra instantanément, son épée restant plantée dans le genou du golem. Chacun hurla de peine, pris de surprise. Romik aussi ; il n'avait pas eu l'occasion de connaître l'elfe, mais il allait indubitablement lui manquer.
Frustré d'être incapable dans cet affrontement, le jeune humain décida de prendre une initiative. Il se lança sur le golem et essaya, tant bien que mal, à l'escalader. La créature ensorcelée bougeait tout le temps, mais Romik ne lâchait pas prise. Il s'aidait des bouts d'os qui étaient répandus sur tout le corps du monstre pour le gravir. Et petit à petit, il faisait son bout de chemin. Il était déjà à dix pieds de hauteur, et était sur le point d'atteindre les épaules. Plus que quelques pieds, et il atteindrait le crâne du golem où il pourrait assener un coup fatal…
Hélas, le golem ne restait pas immobile et une secousse particulièrement violente fit tomber Romik. Il chuta d'une hauteur de plus de dix pieds et il atterrit sur le sol sur l'épaule gauche. Une horrible douleur le prit instantanément. Pour empirer le tout, le golem se retourna et posa son pied sur le torse de Romik. Bien que l'humain tenta de se protéger à l'aide de son écu, cela n'empêcha pas le golem de continuer à s'appuyer sur lui. Il ressentit une douleur pire, beaucoup plus oppressante, qui lui coupait la respiration. Puis il entendit un horrible craquement d'os. Il souffrait comme un damné et il appelait la mort de venir à lui, car il se sentait incapable de supporter une aussi grande affliction.
Romik aurait effectivement pu mourir, si les elfes n'avaient organisé une contre-attaque. Il s'attaquèrent tous au genou endommagé du golem qui cessa d'écraser Romik. Et ce fut peut-être ce geste qui lui sauva la vie. Un elfe -Romik ne put savoir qui- l'empoigna fermement et l'entraîna à l'écart.
L'humain se trouvait maintenant étendu sur le sol, aux côtés d'Aïnedegathel. L'elfe semblait en mauvais état : sa belle chevelure noir de jais était tâchée de sang.
"J'ai bien peur que nous allions nous dire adieu" déclara Aïnedegathel.
Romik fut surpris, c'était la première fois qu'il la voyait si triste et si pessimiste ; elle qui donnait d'habitude une attitude si joviale…
"Non ! Je refuse de me laisser tuer !"
"Hélas nous ne pouvons rien faire. Les armes sont impuissantes contre ce golem de chair. Quant à la magie, nous n'arrivons même pas à y faire appel…"
"Targetelan a dit qu'on ne pouvait pas utiliser le mana, c'est bien ça?"
"Malheureusement, oui. Je ne sais comment ils ont pu faire cela, mais ils sont parvenus à créer une sphère d'anti-magie."
"Peut-être, mais je crois que ceci ne nécessite pas de mana" déclara Romik en sortant la Dague de Précision de sa tunique.
"Tu espères peut-être pouvoir occire un golem avec une dague, même enchantée? Je crois que nous sommes condamnés." Elle prit une voix grave : "Romik, j'ai été très heureuse de t'avoir connu. Tu es un ami très plaisant. J'ai passé de bons moments avec toi."
"Tais-toi, lui répondit l'humain d'une vois calme. Tu ne vas pas mourir, est-ce que c'est compris?" Il s'efforça de se redresser, malgré les horribles douleurs que lui infligeaient son épaule et ses côtes. Une fois assis, il s'appliqua à reprendre les exercices de détente que lui avait enseignés Gwantholin. Il ferma les yeux et tenta d'oublier qu'il se trouvait sur un champ de bataille, à quelques pieds d'une horreur engendrée par de la nécromancie. Il contrôla sa respiration et parvint à inspirer et expirer paisiblement. Il essayait de ne pas penser aux horreurs qu'il venait d'avoir vu et subi. Pour oublier cela, il pensait au jour où Gwantholin lui avait appris à se servir de la Dague de Précision. Ils s'étaient trouvés dans un endroit paisible, près de Torkanjen Dilurgansan. Ensuite, il se concentra sur Gwantholin, pour s'apaiser. Il visualisait la fois où il l'avait vue, adossée à un arbre, ses adorables yeux pers fermés, chantant de toute son âme un chant elfique. Elle était si gracieuse, si plaisante…
Romik ouvrit les yeux et fixa sa dague qu'il parvint à activer. Un léger bourdonnement se fit entendre, la lame s'entoura d'un halo luminescent tandis que la manche de la lame vibrait dans sa main. Romik se concentra encore plus sur la Dague de Précision, tout en continuant à penser à Gwantholin. Brusquement, il ressentit un grand changement dans son être. Lorsqu'il leva les yeux et qu'il regarda autour de lui, il voyait différemment. Les formes autour de lui, qu'elles soient mobiles ou non étaient étrangement inconsistantes. C'était comme si un étrange brouillard était apparu. Par contre, la luminosité était forte, presque aveuglante, et bien que Romik entendait le vent et ressentait la pluie, l'orage lui semblait très lointain, comme partiellement effacé.
Son regard fut attiré par le golem. Le monstre était remplacé par une sorte d'ombre éthérée, gris foncé et noir. Autour de la créature magique, il pouvait voir des formes humanoïdes claires, blanchâtres : les elfes. Romik se retourna pour contempler Aïnedegathel. Il parvenait avec peine à distinguer ses traits. C'était comme si son corps était devenu… nuageux. Le plus surprenant était le contour éthéré, qui prenait des couleurs très claires. En regardant l'elfe, il voyait curieusement le Bien qui était en elle. C'était comme s'il était parvenu à examiner la pureté de son âme.
Romik regarda de nouveau en direction du golem qui était toujours aussi sombre. Maintenant, il voyait clairement que ceci représentait la malveillance qui l'habitait ; autour, les formes représentant les elfes étaient toujours aussi claires et Romik pouvait lire en elles le Bien. Il voyait parfois aussi des halos lumineux jaunes que portaient les elfes ; la Dague de Précision avait aussi revêtu cette couleur. Ceci devait indiquer les objets magiques.
Son regard fut attiré par quelque chose à l'écart du groupe de combattants. Cela en était très éloigné mais Romik parvint quand même à lire son aura qui reflétait une âme sombre, habitée par le mal. Il comprit : c'était la sorcière orcque que tout le monde semblait avoir oublié. Ensuite, il réussit même à distinguer un peu mieux les détails : le bâton noueux était coloré d'une lumière jaune fluorescente ; il devait être hautement magique. Le sombre halo lumineux autour de l'orcque était similaire à celui du golem et les deux êtres reflétaient le Mal. Curieusement, Romik voyait des sortes de liens qui unissaient la chamane au golem. C'était comme si l'orcque était une marionnettiste et qu'elle contrôlait le monstre. Oui ! c'était cela ! Pour détruire le golem de chair, il fallait d'abord détruire la personne qui l'avait créé et qui continuait toujours à le diriger : la chamane orcque.
Toujours en semi-état de transe, Romik se releva. La douleur que tout son corps lui criait était lointaine, et de toute façon, il n'en avait cure car il devait agir. Empoignant fermement la Dague de Précision dans sa main droite, il la lança doucement en face de lui. La dague quitta sa main et évolua lentement d'abord, à quelques pieds du sol, puis Romik d'un effort mental, la fit s'accélérer. Lorsqu'elle arriva au niveau de l'orcque, elle évoluait à une telle vitesse qu'elle la traversa littéralement, puis elle continua sa trajectoire. Romik intima l'ordre à la Dague de Précision de revenir, et l'arme transperça de nouveau l'orcque. Romik fit de même plusieurs fois, jusqu'à ce que la sorcière s'écroule sur le sol, et que l'aura l'entourant disparaisse.
Alors, il interrompit enfin l'immense effort qu'il avait déployé pour contrôler la Dague de Précision, qui tomba alors, imitée quelques instants après par Romik, qui s'évanouit, épuisé et blessé.